Mouvement de grève pour le pouvoir d'achat. Analyse
Par Jef Van Der Elst le Samedi, 22 Mars 2008 PDF Imprimer Envoyer

Au début de 2008, les grèves chez les fournisseurs et plus tard chez Ford Genk même ont déclenché un véritable mouvement de grève dans différentes entreprises du secteur privé. Les revendications pour le pouvoir d'achat se trouvaient au centre du mouvement mais par ailleurs, des problèmes concernant l'organisation du travail ont été mises clairement en avant. Pour chacun qui doit travailler pour gagner sa vie sans être gouverneur de la Banque Centrale, il est clair que la récente série de hausses des prix signifie une atteinte sérieuse au pouvoir d'achat et que notre système d'index compense insuffisamment ceci. En annexe, des revendications ont aussi été formulées en rapport avec l'abus des contrats temporaires qui dure depuis des années et l'engagement injustement systématique d'intérimaires. De ce fait, se crée un sous-groupe de travailleurs mal payés avec des statuts incertains et un avenir incertain.

 

 

Les grèves spontanées qui se sont donc produites ont mis à nu les points douloureux des véritables abus qui sont pratique quotidienne dans beaucoup d'entreprises. En même temps, elles ont aussi révélé la vulnérabilité de grandes entreprises avec les systèmes just in time et l'usage multiple des entreprises de sous-traitance. Les grèves spontanées ont donc mené à des succès partiels et ont déclenché dès lors un effet de boule de neige.

 

par Jef Van Der Elst

 

UNE VAGUE DE GREVES…

 

Les grèves et conflits se poursuivent sans faiblir durant les mois de février et mars. Des augmentations de salaires, quoique peu importantes, et des primes uniques sont obtenues. Ceci aussi bien en Flandres qu'en Wallonie. Quelques exemples du début de mars:

- conflits dans le secteur électricité dans le Sud du pays: des jeunes travailleurs en ont marre d'être payés beaucoup moins que les "anciens" pour le même travail

- une grève spontanée chez Aldi à Roeselaere aboutit à une prime unique d'une moyenne de 400 euros pour tous les travailleurs d'Aldi

- une petite majorité donne son accord pour la proposition de réconciliation chez Nystar (Umicore Balen) qui inclut une hausse des chèques-repas

- etc…

Les revendications pour la hausse du pouvoir d'achat ne sont pas un phénomène Belge. Deux exemples. 150.000 travailleurs du secteur public ont fait grève en Allemagne pour une augmentation salariale de 8 pour cent. Dans cette même Allemagne, le syndicat du secteur chimie exige une augmentation de 7 à 8 % sur une période de 14 mois.

…AVEC DES CARACTERISTIQUES SPECIFIQUES

Les grèves et conflits Belges rompent avec le modèle qui est passé dans le domaine public depuis le Plan Global de 1993 et sont aussi partiellement causées par ce modèle.

Plus encore que les actions contre le Pacte des Générations, les mobilisations spontanées contre le Pacte Global et le Plan global plus récent de 1993 ont été des conflits profonds dans le secteur privé. L'enjeu était la liberté de négocier et donc aussi la possibilité de laisser les réalités de terrain intervenir au moment de stipuler les augmentations de salaire dans la conclusion des conventions collectives au niveau sectoriel et au niveau de l'entreprise. Malgré les grandes grèves et manifestations, ce Plan Global a été imposé par le gouvernement catholique-rouge d'alors. Depuis lors, dans le secteur privé, les discussions des conventions collectives se font dans un carcan déterminé par la norme salariale.

La norme salariale

 

Tous les deux ans, le Conseil Général [Conseil Général des Entreprises] *** établit une norme salariale indicative pour la conclusion d'un Accord Interprofessionnel (AIP). Un Accord Interprofessionnel est un accord valable pour tous les travailleurs du secteur privé, quel que soit le secteur dans lequel ils travaillent. Un AIP stipule donc le minimum du minimum pour les travailleurs dans le privé. Sur base des évolutions de salaires prévisibles dans les pays environnants, on fixe un niveau maximal des augmentations de salaires. Pour la période 2007-2008, celui-ci a été fixé à 5%: les salaires ne peuvent pas grimper de plus de 5% étalés sur deux ans, y compris les augmentations d'index.

 

Un gentleman's agreement

 

En complément de cette norme salariale, il y a, pour la période 2007-2008, des dispositions plus sévères pour cette norme. Il y a la déclaration commune du groupe des 10 en mars 206:

 

"Une économie plus compétitive en faveur de l'emploi. Ce groupe des 10 mène une existence assez fantomatique et se compose de topnégociateurs des syndicats, des employeurs et d'organisations des classes moyennes. Une citation de ce document:

 

"Compte tenu des éléments du rapport, les partenaires sociaux veulent une application plus stricte de la loi de 1996 pour la garantie préventive du pouvoir de concurrence et la stimulation de l'emploi. Les partenaires sociaux recommandent aux secteurs qui ne l'ont pas encore fait de négocier dans le cadre de l'AIP 2007-2008 un mécanisme de correction de manière à éviter d'éventuels écarts salariaux"

 

En langage humain: dans le temps, la norme salariale était appliquée de manière un peu souple, maintenant il faut veiller à ce que ces 5% soient au maximum 5 % et ne soient pas dépassés. Le dernier Accord Interprofessionnel reprend cette déclaration.

 

Des accords all-in

 

Ceci mène à des accords all-in dans nombre de secteurs et d'entreprises: la norme salariale est remplie y compris l'index. Un exemple venant du secteur des métaux nobles:

 

"Le 1er juin 2008, tous les salaires sont augmentés du solde de 5,0%, diminué de la somme de l'index réel du 1er mai 2007 et de l'index réel du 1er février 2008. Si ce solde est négatif, il n'y a pas d'application de l'augmentation de salaire. Cette formule du solde doit être considérée comme exceptionnelle et unique".

 

Un autre exemple pris dans le secteur de la métallurgie:

 

"Calcul du solde. Le 1er octobre 2008, tous les salaires horaires effectifs, ainsi que les primes d'équipes et primes de production non exprimées en pourcentage (à moins qu'il existe à ce sujet, au niveau de l'entreprise, des accords sectoriels dans un autre sens) sont augmentés de 0,4%, toutefois à augmenter ou diminuer de la différence entre la somme des indexations réelles et l'inflation prévue de 3,9 % durant 2007 et 2008".

 

Le secteur de la métallurgie est un secteur très vaste et représente la majorité des travailleurs occupés dans le métal. Dit en langage humain: lorsque l'inflation est supérieure à ce qui était attendu (plus de 3,9% en deux ans), les travailleurs du métal peuvent se brosser pour leur augmentation.

 

Ces accords all-in ont été conclus dans différents secteurs.

 

Un bref intermezzo

 

Pour comprendre la réalité du mouvement de grèves actuel, on doit encore savoir ce qui suit.

Le même accord interprofessionnel contient aussi une petite partie à propos d'avantages liés aux résultats. En fonction des buts réalisés, dans certaines circonstances, des avantages sont attribués au personnel d'une manière fiscalement avantageuse. Le même groupe des 10 a développé ceci et de ce fait, est apparue, le 20 décembre 2007, la convention collective de travail 90 qui règle ces avantages liés aux résultats. Les chiffres de la plupart des entreprises en 2007 vont de bon à très bons. On peut attendre quelque chose.

 

La réalité économique

 

Les gens pèsent le pour et le contre, la réalité décide

 

2007 est une bonne année pour les entreprises, mais la situation est toute autre pour les travailleurs. Dans la deuxième moitié de 2007, le pouvoir d'achat commence à se réduire à cause de la forte hausse des produits de base et surtout celle du coût de l'énergie. Chacun – sauf le gouverneur de la Banque Nationale – expérimente cela quotidiennement. La conséquence: une longue vague de grèves: le travailleur veut aussi sa part du gâteau.

 

Une conclusion provisoire: rompre le Plan Global

 

Depuis 1993, le Plan Global pose un carcan sur les négociations salariales dans le privé. L'idée de base est que l'emploi est maintenu par la maîtrise des coûts salariaux. Il devient de plus en plus évident que ce raisonnement est aussi fuyant qu'une passoire. Les années écoulées ont eu soin d'assurer des bénéfices solides aux entreprises. Les travailleurs n'en ont toutefois pas profité. Ces bénéfices n'ont pas amené de jobs supplémentaires et n'ont pas empêché non plus que de plus en plus de travailleurs se trouvent sous une très forte pression avec des contrats temporaires ou un travail d'interim. On peut en lire les conséquences chaque jour dans la presse. A la fin de 2008, des négociations reprennent autour du renouvellement des conventions collectives de travail dans les entreprises et les secteurs. Les attentes sont élevées. Pour négocier sur base de la réalité dans les entreprises, le Plan Global doit être rompu.

Voir ci-dessus