Le combat internationaliste et antibureaucratique du Che
Par Antonio Moscato le Dimanche, 08 Octobre 2000 PDF Imprimer Envoyer
L'apport politique et théorique d'Ernesto Che Guevara au renouveau et à la relance du marxisme révolutionnaire en Amérique latine - et pas seulement en Amérique latine - a été l'objet d'une campagne systématique de déformations et de calomnies avant d'être relégué dans l'oubli par la quasi-totalité du mouvement ouvrier international. La lecture schématique et unilatérale, voire carrément fausse, qu'en ont fait des courants révolutionnaires latino-américains et des intellectuels, à commencer par le livre de Régis Debray, a également joué un rôle négatif.

 

Par ailleurs, Guevara avait été déjà de son vivant la cible d'une campagne de dénigrement avant tout par des bureaucrates staliniens. A Cuba, Anibal Escalante, leader - pour reprendre la définition utilisée à l'époque par Fidel Castro - d'une «microfraction» pro-stalinienne, condamnée une première fois en 1962 et une deuxième fois en 1968, avait concentré ses attaques sur Guevara en le présentant comme un trotskyste qui aurait défendu l'idée d'« exporter la révolution » et fait des « tentatives d'imposer la ligne cubaine aux autres partis communistes ». Selon Raul Castro, Escalante avait, entre autres, déclaré que « le départ du commandant Ernesto Guevara de Cuba fut un événement positif» car Guevara était « l'un des adversaires les plus résolus de la politique soviétique ».

 

A l'époque, une telle attaque semblait dirigée contre la direction castriste dans son ensemble dans la mesure où Guevara avait toujours affirmé sa confiance en Fidel et n'avait jamais accepté qu'on lui attribue un rôle autonome. La plupart des accusations lancées contre lui, visaient Fidel qui avait critiqué sans ménagement certains partis communistes latino-américains (par exemple, celui du Venezuela) et, plus généralement, apparaissait lui aussi opposé aux méthodes et aux orientations de la bureaucratie soviétique. Mais depuis 1968, aussi bien le soutien de Fidel ' a l'invasion de la Tchécoslovaquie et son attitude sans critique à l'égard du « camp socialiste » que le tournant opéré en Amérique latine avec l'aval donné à des gouvernements bourgeois « progressistes » (Pérou, Panama, Argentine, Equateur, etc.) et même l'attitude à l'égard d'Allende au Chili amenaient à réexaminer, au moins en partie, ce jugement.

 

En fait, Guevara avait représenté une sensibilité particulière au sein du mouvement révolutionnaire cubain ou, pour ainsi dire, l'une des « âmes » du castrisme, même si, répétons-le, pour sa part, il aurait rejeté une telle appréciation. Heureusement, l'attitude de Cuba pendant la lutte révolutionnaire au Nicaragua et dans le cas de Grenade a indiqué par la suite que l'orientation internationaliste fondamentale de Guevara était partagée par les autres dirigeants cubains, qui étaient eux aussi conscients que l'extension de la révolution dans d'autres pays d'Amérique latine représentait, en dernière analyse, la meilleure défense de leur révolution et de ses acquis.

 

L'internationalisme apparaît comme un leitmotiv des écrits, des discours, des interviews et des conversations de Guevara. Il suffit de lire ou relire ce qui a été publié dans les différentes langues et d'avoir à l'esprit ce que disaient, à l'époque, les dirigeants des partis communistes (pour ne pas parler des dirigeants sociaux^ démocrates) pour saisir le contraste.

 

Peu après la victoire de la révolution, Guevara réalise de nombreux voyages dont le but n'est pas uniquement d'obtenir des aides ou de négocier les approvisionnements nécessaires pour résister au blocus impérialiste. Il suit avec la plus grande attention les événements à l'échelle mondiale. Il perçoit les premiers signes de relance de la résistance palestinienne ; il salue avec enthousiasme la révolution algérienne ; il rencontre les dirigeants yougoslaves ; il visite l'Inde, le Japon et l'Indonésie. Il veut connaître ce qui se passe dans d'autres régions du monde, surtout dans le but de mieux comprendre les perspectives de la révolution en Amérique. Dans son article l'Amérique vue du balcon afro-asiatique (automne 1959), il écrit par exemple, «Avec la perspective de ce balcon, j'apprends à mieux comprendre les événements auxquels j'ai participé depuis le moment sublime des douze. »

 

En faisant allusion au geste naïf d'un homme d'un pays lointain qui lui avait caressé la barbe en croyant qu'il était Fidel, et lui avait demandé : « Est-ce que vous êtes l'un des membres de l'armée de guérilleros qui dirige la lutte pour la libération de l'Amérique ? », il conclut : « Je dois répondre que si, à lui et aux centaines de millions a afro-asiatiques qui, comme lui, marchent vers la liberté dans cette époque atomique nouvelle et incertaine, je dois lui dire également que je suis un autre frère parmi cette multitude de frères qui, dans cette partie du monde, attend avec une anxiété infinie que soit consolidé le bloc qui détruira une fois pour toutes la présence anachronique de la domination coloniale.»

 

Dans les premiers temps, l'affirmation du caractère unitaire du processus révolutionnaire au niveau mondial allait de pair avec une confiance un peu naïve dans le rôle de l'URSS et des autres « pays socialistes ». Depuis 1962, l'accent est mis, en revanche, sur le lien direct entre les luttes révolutionnaires. L'URSS avait causé une déception au moment de la crise des missiles qui avaient été d'abord installés et ensuite retirés sans contrepartie et même sans informer les dirigeants cubains des clauses qui prévoyaient un droit d'inspection de la part des Etats-Unis sur le territoire cubain. Qui plus est, l'exemple des « pays socialistes » lui paraissait de moins en moins reluisant au fur et à mesure qu'il pouvait vérifier la qualité des produits qu'ils délivraient à Cuba, les conditions qu'ils imposaient, la formation qu'ils donnaient aux jeunes cubains qui allaient dans leurs universités, leurs écoles militaires et leurs centres de formation politique.

 

Son attention se déplace alors vers le Vietnam. Il saisit immédiatement l'importance internationale de la lutte des vietnamiens : « Dans une région lointaine du monde ils sont en train de lutter pour notre sécurité », écrit-il. « Le soutien à leur cause, avant d'être un devoir, est une nécessité. Si nous soutenons la révolution vietnamienne - il continue -, nous ne le faisons pas que par devoir d'internationalisme prolétarien, par ce désir de justice que la révolution nous a Inculqué à nous tous. Nous le faisons aussi parce que ce front de lutte est très important pour le futur de l'Amérique. » Sans savoir que son sort personnel serait tranché, quelques années plus tard, par l'efficacité des officiers des marines qui avaient fait leur expérience en Indochine, il conclut : « Là-bas, au Vietnam, on est en train d'entraîner les forces qui demain pourront freiner nos guérilleros, ces guérilleros que nous considérons comme les nôtres dans tout le territoire américain. »

 

Dans son Message à la Tricontinentale, l'approche devient encore plus explicite, Guevara y critique aussi le « monde progressiste » dont la solidarité avec le Vietnam lui rappelait l'encouragement passif de la plèbe romaine aux gladiateurs qui se battaient dans le cirque. Face à l'internationale de l'assassinat et de la trahison, l'internationale de l'impérialisme et de ses valets, il ne s'agissait pas « de souhaiter le succès à la victime de l'agression, mais de partager son sort dans la mort ou dans la victoire. »

 

Tactique et stratégie de la révolution

 

C'est donc une vision de l'internationalisme qui se base sur la compréhension de l'interaction des différents fronts mondiaux. Elle est marquée aussi par une forte inspiration morale que Guevara exprime en paraphrasant à plusieurs occasions (y compris dans la lettre d'adieu à ses fils) un passage de José Marti: « Vous devez surtout être capables de ressentir au plus profond de vous-mêmes toute injustice commise contre n'importe qui dans n'importe quelle région du monde, voilà la qualité la plus belle d'un révolutionnaire. »

 

Depuis les premiers écrits, où il amorce sa réflexion sur l'expérience cubaine en polémiquant contre tous ceux qui excluaient toute possibilité d'une extension de la révolution dans d'autres pays, Guevara explique que « des facteurs exceptionnels devaient donner à la révolution cubaine des caractéristiques particulières » et que « toute révolution contient ce genre de facteurs exceptionnels ». Il ajoute, immédiatement après, qu'« Il n'est pas moins clairement établi que les révolutions obéissent également à certaines lois auxquelles les sociétés ne peuvent échapper». Dans sa polémique contre Escalante et d'autres communistes dogmatiques, il n'ignore pas que l'impérialisme a accru sa vigilance et que des nouvelles luttes révolutionnaires en Amérique se heurteront à des nouvelles difficultés qui les rendront plus dures et plus coûteuses. Mais ces luttes restent inévitables. Guevara souligne, à ce propos: «Les révolutionnaires ne peuvent prévoir toutes les variantes tactiques susceptibles d'advenir au cours de la lutte pour leur programme de libération. Les véritables capacités d'un révolutionnaires se mesurent à son habileté à trouver des tactiques révolutionnaires adéquates pour chaque changement de situation. »

 

En démentant ceux qui l'accusaient d'ultra-gauchisme, il précise: «Ce serait une erreur impardonnable que de sous-estimer ce que veut gagner un programme révolutionnaire par un processus électoral donné.» Mais en même temps, il met en garde contre tout dérapage électoraliste : «Quand on nous parle de conquérir le pouvoir par un processus électoral, notre question est toujours la même : si un mouvement populaire s'empare du gouvernement en gagnant un large vote populaire et décide de commencer les grandes transformations sociales qui forment un programme, ne se trouvera-t-il pas immédiatement en conflit avec les classes réactionnaires du pays ? L'armée n'a-t-elle pas toujours été l'instrument de ces classes ? S'il en est ainsi, il est logique de supposer que l'armée sera aux côtés de sa classe et prendra part à la lutte contre le nouveau gouvernement peut être renversé et le jeu ancien recommencera ad aetemam. »

 

On dira que ce n'est pas une découverte sensationnelle; ce n'est que la réaffirmation de ce qu'est l'ABC du marxisme. Mais il ne faut pas oublier pourquoi cette réaffirmation était prononcée. L'opportunisme et le cynisme des dirigeants staliniens avaient abouti, en Amérique latine aussi, à des formes de collaboration de classes particulièrement révoltantes. A Cuba, au début des années quarante, le Parti communiste avait donné une couverture à Batista en envoyant au gouvernement deux de ses membres, et ensuite il n'avait pas hésité à condamner «l'aventurisme» de cet assaut à la caserne Moncada qui marqua le commencement de la lutte révolutionnaire de Fidel Castro et de ses compagnons. Encore en 1957 il avait critiqué le Mouvement du 26 juillet en disant que son « terrorisme » offrait des prétextes à la dictature pour commettre ses crimes. Dans le pays d'origine de Guevara, l'Argentine, le Parti communiste avait fait preuve de sa capacité de s'adapter à des gouvernements bourgeois et avait qualifié de «fasciste » le premier gouvernement de Peron qui avait mobilisé les masses des travailleurs et adopté des mesures anti-impérialistes, fussent-elles partielles et contradictoires.

 

La nécessité de réaffirmer des vérités premières pour des révolutionnaires fut par ailleurs, confirmée après la mort du Che. En 1970, le secrétaire du Parti communiste chilien, Luis Corvolan, affirmait qu'au Chili, les forces armées étaient inspirées par un « esprit professionnel » et « le respect pour le gouvernement constitutionnel ». Son collaborateur principal à l'époque, Volodia Teitelbaum, suivait son exemple en reconfirmant la confiance du PC dans l'armée deux jours avant le coup d'Etat de Pinochet ! Malheureusement, ces vieilles mystifications étaient reprises dans une résolution adoptée à La Havane en juin 1975 par tous les partis communistes latino-américains, le PC cubain y compris ; l'armée était présentée comme une institution susceptible de se transformer en « un élément de progrès et même de potentialité révolutionnaire ».

 

Guevara était loin de tirer de ses prémisses la conclusion que des issues catastrophiques étaient inévitables. Tout en estimant, à juste titre, que les forces armées n'accepteraient pas de bon gré des réformes sociales et ne se résigneraient pas docilement à leur propre liquidation comme caste, il affirmait que « l'armée pourrait être battue par l'action du peuple armé en défense de son gouvernement ».

 

Certains ont reproché à Guevara d'avoir sous-estime le travail patient d'organisation au sein de l'armée, non pour la transformer mais pour en préparer la désagrégation, c'est-à-dire un travail se reliant à la tradition communiste des années vingt. En fait, Guevara n'exclut pas que la révolution puisse se valoir de l'aide de cellules militaires lui fournissant des armes et rejoignant la lutte révolutionnaire. Mais, selon lui, le danger existe que certains n'envisagent qu'un coup d'une partie de l'armée contre une autre ; dans ce cas de figure, la structure de caste de l'armée resterait intacte. Sauf si un autre facteur intervenait, c'est-à-dire une grave défaite qui désagrège l'armée et pousse une partie d'elle à rejoindre spontanément les forces populaires. Dans une telle hypothèse, la question de l'armement des révolutionnaires et d'une force militaire indépendante se poserait quand même. Faut-il rappeler que Trotsky était arrivé à des conclusions analogues après l'expérience de 1905 ?

 

Un aspect très important des conceptions de Guevara concerne les bourgeoisies nationales. Lorsqu'il écrit, celles-ci restent pour les partis communistes pro-soviètiques des interlocutrices privilégiées, du moins dans leurs vœux. Les partis communistes pro-chinois ont à ce sujet une orientation similaire. Guevara, qui était opposé, par nature, à tout dogmatisme et qui, par ailleurs, n'avait milité dans aucun parti avant d'adhérer au Mouvement du 26 juillet, une formation assez éclectique, précise sa pensée sur la base d'une sobre analyse de la réalité. Il n'exclut pas que des bourgeois individuellement ou même des secteurs de la bourgeoisie puissent dans un certain contexte appuyer un processus révolutionnaire en le considérant comme le moindre mal. Il indique sans réticence et embellissement qu'un tel phénomène s'était produit justement à Cuba.

 

Mais il réfléchit sur les raisons de ce phénomène en n'ignorant pas certaines ambiguïtés des formulations de Fidel dans la première phase de la lutte et même de la pratique des guérilleros (par exemple, il décrit efficacement comment, sous l'impact de la rencontre avec les paysans, les guérilleros étaient passés d'un respect absolu pour la propriété privée à l'adoption systématique d'expropriations du bétail et à la décision d'appliquer une réforme agraire radicale). Il fait remarquer, en même temps, que les bourgeois « démocrates » d'Amérique latine avaient tiré leur propre leçon de l'expérience cubaine et que dans d'autres pays, les choses ne se passeraient sans doute pas comme à Cuba.

 

Ses conclusions sont exprimées sous la forme la plus nette dans le Message à la Tricontinentale que nous avons déjà mentionné et qui représente dans un certain sens son testament politique : « Les bourgeoisies nationales ne sont plus du tout capables de s'opposer à l'impérialisme - si elles l'ont jamais été - et elles forment maintenant son arrière-cour. Il n'y a plus d'autres changements à faire: ou révolution socialiste ou caricature de révolution. »

 

La réflexion du Che sur cette question avait commencé en 1954, lors de sa participation à l'expérience réformiste du gouvernement guatémaltèque de Jacobo Arnenz (il l'avait rappelé discrètement au premier congrès latino-américain de la jeunesse au mois d'août 1960). Elle s'était développée davantage sur la base de l'analyse de l'impuissance du président vénézuélien Betancourt, prisonnier de son armée et de sa police. « Nous ne prétendons pas lui dire ce qu 'il devrait faire - explique Guevara au congrès sus-mentionné -, mais nous lui rappelons que la révolution cubaine s'est sauvée parce qu 'elle n 'a pas hésité à fusiller les tortionnaires de la dictature et à dissoudre l'armée et tous les corps de répression ».

 

Contre les tendances bureaucratiques

 

Un autre aspect des conceptions de Guevara, qui l'oppose au stalinisme et le rapproche du marxisme révolutionnaire, est sa préoccupation d'éviter que Cuba adopte le « modèle » soviétique. Les allusions en la matière sont toujours prudentes, mais sans ambiguïté. Donnons quelques exemples.

 

En juillet 1963, Guevara parle à un colloque sur la planification à Alger. Parmi les erreurs que les révolutionnaires cubains avaient commis, il indique avant tout la tendance « à copier dans les moindres détails, les techniques de planification d'un pays frère ». Dans un discours prononcé en mai 1963, il aborde les problèmes de la révolution en Amérique latine, mais il traite aussi des déformations qui s'étaient produites dans la société cubaine post-révolutionnaire avec le danger de perdre le contact avec les masses. Il dit notamment: « Nous avons pris un chemin qui a été défini sectaire, mais qui est stupide plus que sectaire: c'est le chemin de notre séparation des masses, le chemin qui combine mesures nécessaires et mesures absurdes ; le chemin de la suppression non seulement de la critique de la part de qui a le droit légitime de la faire, c'est-à-dire le peuple, mais aussi de la vigilance critique de la part de l'appareil du Parti, qui s'est transformé en un exécutant en perdant ses fonctions de vigilance, d'inspection. »

 

II insiste sur le fait que la responsabilité la plus grande en incombe aux responsables du gouvernement, mais il ajoute que les gens auxquels il s'adresse ont, eux aussi, leur responsabilité : « Pourquoi je vous dis que, vous aussi, vous avez une part de responsabilité ? Par exemple, les Comités de défense de la révolution, une institution surgie au feu de la vigilance populaire, qui exprimait la préoccupation du peuple de défendre sa propre révolution, se sont transformés en « tout faire », en une imposition, en un repère d'opportunistes. Ils se sont transformés en une organisation antipathique au peuple. » II souligne que, de cette façon, on avait affaibli les rapports avec les campagnes qui avaient été la source de recrutement de l'armée de la guérilla pendant deux ans et qu'on avait abandonné et laissée aux mains des CDR.

 

De nombreux innocents avaient été arrêtés, on avait créé une « terreur rouge » pour contrecarrer une « terreur blanche qui n existait que dans la tète de quelques déséquilibrés ». Les corps de sécurité, eux aussi, avaient risqué de se transformer en « organismes antipathiques au peuple ». Guevara n'élude pas non plus le problème de la torture : la décision de ne pas y avoir recours « pour éviter les choses terribles qui se sont passées dans de nombreux pays en défendant des principes justes » était à l'honneur de la révolution cubaine. Mais des exceptions s'étaient produites. L'allusion à des pays où « des choses terribles se sont passées » était absolument claire et elle ne pouvait pas du tout plaire aux staliniens.

 

Guevara explique ensuite qu'il ne faut pas considérer contre-révolutionnaire seulement celui qui lutte contre la révolution, mais aussi celui qui utilise son influence pour obtenir une maison, des voitures, pour violer les normes de rationnement et qui finalement dispose de tout ce dont le peuple ne peut pas disposer. Il tire la conclusion qu'il était nécessaire de travailler pour reconquérir la confiance dans la révolution et en même temps « considérer Cuba comme une partie de l'Amérique : ici on a fait une expérience qui a une valeur historique et qui sera transférée sur le continent, même si nous ne voulions pas ».

 

Ce discours était prononcé en mai 1962. Pour Guevara, il était déjà clair que le sort de Cuba ne dépendait pas seulement de son propre développement. Les hypothèses que certains ont avancées sur sa « disparition » en 1965-1966, étaient fantaisistes et irresponsables. Mais elles reflétaient une donnée réelle: Guevara s'était efforcé de contrecarrer le danger de bureaucratisation par l'exemple, la discussion, l'effort de surmonter l'arriération matérielle et culturelle. Il avait constaté son impuissance. Il ne voulait pas devenir un opposant. Il estimait qu'il avait donné sa contribution à la révolution cubaine et que de l'intérieur il ne pourrait pas faire davantage. C'est pourquoi il choisissait de mettre son expérience au service d'« autres sierras ».

 

Briser l'isolement du Vietnam en développant « un internationalisme prolétarien authentique, avec des armées prolétariennes internationales dont le drapeau de lutte soit la cause sacrée de la rédemption de l'humanité », c'était la tâche qu'il estimait utile d'accomplir plutôt que de poursuivre le débat sur les problèmes économiques auxquels pourtant il avait donné une impulsion très grande et qui représente incontestablement l'une de ses contributions les plus importantes au développement de la pensée marxiste révolutionnaire (2).

 

Revue Quatrième Internationale n°26-27, décembre 1987

 

1. Le livre de Régis Debray, Revolucion en la revolucion ? a été publié à Cuba en 1967.

2. Sur le débat économique à Cuba et la contribution du Che cf. Ecrits d'un révolutionnaire (Paris, La Brèche, 1987).

Voir ci-dessus