Pourquoi Hitler préparait la guerre
Par Ernest Mandel le Mardi, 18 Juillet 2000 PDF Imprimer Envoyer

Les causes profondes de la deuxième guerre mondiale sont liées à l'expansion impérialiste et à ses contradictions. La guerre elle-même a été déclenchée par une puissance impérialiste précise, l'impérialisme allemand, et par les secteurs de la bourgeoisie allemande étroitement liés avec la production d'armements, secteurs qui avaient aidé Hitler à établir le troisième Reich.

Hitler prépare l'attaque de l'URSS

Dès 1931, Trotsky prévoyait que la venue au pouvoir de Hitler signifierait la guerre contre l'URSS. En 1964, l'historien britannique Trevor-Roper écrivait: «Hitler fit clairement apparaître que la diplomatie seule ne lui permettrait pas d'atteindre son but final: l'élargissement du Reich vers l'Est. Il y aurait une guerre, une guerre contre la Russie». Dès qu'il fut devenu chancelier, Hitler commença immédiatement à réarmer l'Allemagne. Son programme était double: l°) relance immédiate de l'industrie frappée par la crise en créant les conditions d'une augmentation du profit global et du taux de profit; 2°) dans les dix années, attaquer l'URSS pour donner à l'impérialisme allemand un empire en Europe de l'Est.

Les grands traits de ce Lebensraum (1) avaient déjà été brossés par l'annexionnisme de l'impérialisme allemand radical et de ses trusts, et par les accords de Brest-Litovsk (2). Les ressources naturelles et l'industrialisation de l'URSS étaient alléchantes. Certes, la conquête et le pillage de l'URSS n'impliquaient pas automatiquement une guerre européenne, pour ne pas parler d'une guerre mondiale. Les nazis auraient certainement préféré diviser leurs adversaires pour les neutraliser et les éliminer les uns après les autres. Il aurait été beaucoup moins coûteux pour eux de convertir la Tchécoslovaquie et la Pologne en alliés forcés contre l'URSS, comme la Hongrie, que de devoir d'abord les soumettre militairement.

Mais cela n'était possible que moyennant des changements politiques importants dans les cercles dirigeants de la bourgeoisie de ces pays, et si ceux-ci cessaient d'être des états-clients de l'impérialisme français et (dans une moindre mesure) de l'impérialisme britannique. Et cela aurait nécessité à son tour l'accord ou la résignation passive de Paris et de Londres face à la domination allemande en Europe. Hitler essaya d'atteindre ces objectifs, pas à pas, entre 1935 et 1939, en combinant les menaces, la séduction, le chantage, les extorsions et les pressions militaires.

Ces manoeuvres lui apportèrent un certain nombre de succès en 1934-38: remilitarisation de la zone du Rhin, Anschluss (3) de l'Autriche, annexion des Sudètes (4). Mais l'échec était assuré une fois que l'armée allemande occupa Prague en mars 1939. A partir de ce moment, l'impérialisme britannique (avec en remorque son allié français in-décis) se décida à résister par la force à toute future expansion allemande dans l'Est de l'Europe. Hitler le savait, mais ne voulait pas perdre son avance en armement moderne en reportant la guerre: il risqua délibérément une guerre avec la Grande-Bretagne en attaquant la Pologne le 1er septembre 1939.

Après la conquête de la Pologne, Hitler fit une tentative peu sincère de mettre fin à la guerre en échange de la reconnaissance par Londres du statu quo international du moment, c'est-à-dire sans restaurer l'indépendance de la Pologne et de la Tchécoslovaquie. Sur le plan diplomatique, Staline appuya cette manoeuvre. Mais Hitler savait que les chances étaient minces de voir la Grande-Bretagne capituler ainsi politiquement.

Les objectifs de l'impérialisme britannique

L'impérialisme britannique avait pour objectif à long terme d'éviter qu'un pouvoir hostile ne domine complètement le territoire européen, parce qu'il comprenait qu'une domination de ce type ne ferait que pré-parer une attaque totale de l'impérialisme allemand contre lui-même. Hitler n'avait-il pas prouvé dans la question tchécoslovaque que ses promesses n'étaient que des chiffons de papier? (4)

Hitler fit une seconde tentative, encore moins sérieuse, d'éviter une guerre mondiale après la défaite française de mai-juin 1940. Une nouvelle fois, il exigea que Londres se résigne au fait accompli. Mais se sentir tranquille avec un continent européen dominé par Berlin, sans une forte armée française indépendante, était encore plus douteux pour la City. Cela signifiait en tous les cas le désastre assuré pour la Grande-Bretagne en tant que puissance mondiale, sans parler du risque d'invasion militaire à court terme. Quoique Lord Halifax ait appuyé une tentative de médiation de Mussolini, la grande majorité de la bourgeoisie britannique se rangea derrière la détermination de Churchill de lutter sur-le-champ, sans permettre que Hitler consolide ses positions. Hitler le savait et c'est la raison pour laquelle il n'arrêta pas un jour ses plans militaires, économiques et politiques d'extension de la guerre.

De la même manière, Hitler décida délibérément d'attaquer l'URSS avant même que la Grande-Bretagne soit éliminée. Il prit cette décision dès 1940 et en porte toute ta responsabilité, même si d'autres puissances l'ont influencé et orienté dans ce sens par leurs propres actions et réactions. La responsabilité de l'impérialisme allemand pour le déclenchement et l'extension de la deuxième guerre mondiale est aveuglante, et contraste avec la situation de juillet-août 1914 où toutes les puissances se précipitèrent dans une guerre mondiale sans savoir trop bien ce qu'elles faisaient.

En arrière-plan; la crise

Le choix de l'impérialisme allemand en faveur d'une agression ouverte et à grande échelle ne peut être comprise que dans le cadre de la profonde crise économique, sociale et morale qui frappait la bourgeoisie allemande depuis 1914. Ainsi la relance de l'économie allemande sous le régime nazi s'appuyait dès le début sur l'industrie lourde, les machines-outils et la construction de routes. Toutes les devises furent utilisées pour constituer des stocks de matières premières en perspective d'une guerre. L'industrie chimique fut développée dans l'idée d'une conversion à la production militaire. Il était clair que la guerre menaçait, et même qu'elle était inévitable. En même temps, à partir de 1935, le Traité de Versailles fut systématiquement violé pour construire une force militaire de technologie supérieurement développée.

Certaines forces plus conservatrices ou prudentes dans la bourgeoisie allemande, y compris dans l'armée, mirent périodiquement en question cette orientation précipitée non seulement des nazis mais aussi des points d'appui dont ils disposaient au sein même de la bourgeoisie. Leurs protestations timides restèrent sans effet, au moins tant qu'Hitler remporta des succès. L'opposition ne prit une certaine ampleur qu'après les défaites de El Alamein, Alger et Stalingrad (6): la bourgeoisie allemande n'était pas candidate au suicide, ni à la destruction par l'Armée Rouge. Mais même alors son opposition resta très fragile.

Le mode de développement de la structure de l'industrie et du capital financier allemands, durant les premières années du Reich, est un indice éloquent de ces options fondamentales de la classe dominante en Allemagne. Mais la course au réarmement total n'était pas seulement téméraire d'un point de vue diplomatique et militaire. Elle était aussi un pari désespéré avec l'économie allemande pour enjeu. En 1938-39, l'économie connaît une grave crise financière. Le déficit de l'Etat atteint 55 milliards de RM en 1938-39 et 63 milliards en 1939-40, contre seulement 18 milliards et 25 milliards en rentrées fiscales et douanières. La dette publique s'accrut de façon vertigineuse. Certains suggèrent qu'il y à un lien direct entre cette crise et le choix en faveur de la Blitzkrieg (7) en 1939-40.

Etant donné que le paiement des intérêts sur la dette publique devenait un problème grave et que les résultats des exportations baissaient en dépit de la politique de dumping, les lois de la reproduction du capital s'imposèrent: il y aurait une sévère récession économique, sauf si on mettait en circulation un courant massif de biens matériels. Les capacités de production de l'Allemagne avaient atteint leurs limites extrêmes. La classe ouvrière, les petits indépendants et les juifs avaient donné le maximum. Il ne restait qu'une possibilité: augmenter la production matérielle à travers un vol massif au-delà des frontières. Bref, il fallait une guerre de conquête. Et cette guerre fut déclenchée.

La Gauche, 24 avril 1990

Notes :

(1) «Espace vital», par analogie avec la biologie, l'espace nécessaire au développement de l'économie allemande.

(2) Accords de 1918, par lesquels le jeune Etat soviétique dut abandonner de vastes territoires à l'Allemagne en échange de l'arrêt de la guerre.

(3) L'adhésion forcée de l'Autriche au Troisième Reich en 1938.

(4) Hitler occupa la Tchécoslovaquie en 1938 et annexa la région de langue allemande des Sudètes. En échange de la reconnaissance internationale de cette annexion il «promit» la fin de l'expansion du Reich.

(5) C'est à Versailles que les vainqueurs de la première guerre mondiale imposèrent à l'Allemagne de lourdes compensations (à payer par la classe ouvrière) et une limitation sévère de sa puissance militaire.

(6) El Alamein: défaite de l’Afrika Korps face à l'armée britannique à la fin de 1942. Alger: était aux mains du gouvernement pro-allemand de Vichy. Stalingrad: Fin 1943 l'Année rouge écrase la Sixième Armée nazie.

(7) Guerre éclair mettant en oeuvre les blindés avec couverture aérienne pour conquérir vite des positions stratégiques en profondeur dans le territoire ennemi.


Démoralisation française et fermeté britannique

Dans son livre sur la Deuxième Guerre Mondiale, l'historien anglais Taylor (1) essaie de circonscrire de plus près la responsabilité du régime nazi dans le déclenchement de cette guerre. Malgré de nombreuses considérations intéressantes, sa conception globale est indéfendable. D'après lui, Hitler était au fond un opportuniste qui n'avait pas établi un plan chronologique pour ses guerres et ses conquêtes et qui ne frappait que lorsque les circonstances lui semblaient favorables. En principe, il n'est pas essentiel d'avoir établi un plan précis pour établir sa domination sur l'Europe tout comme, pour Taylor, il n'est pas essentiel de commencer les préparatifs pour la conquête à une date fixée. Hitler et l'impérialisme allemand voulaient établir en Europe un Nouvel Ordre et cela, en soi, rendait une nouvelle guerre inévitable.

Un nouvel ordre européen bien préparé.

Un certain nombre d'affirmations de Taylor manquent de fondement : «Jusqu'en 1936, le réarmement était surtout un mythe». De nombreux documents de la Reichswehr (2) le contredisent et des groupes du grand capital insistaient déjà en 1932-34 sur un doublement des dépenses militaires. Taylor dit également: «Dans les six années fiscales 1933-1939, le réarmement coûtait par an quelque 40 miliards de Reichsmark et environ 50 milliards à l'éclatement de ta guerre». Une approximation plus exacte serait plutôt de 80 milliards.

Le 15 mars 1939, la Bohème est devenue un protectorat allemand «... comme conséquence imprévue des événements en Slovaquie», écrit Taylor. Pourtant, l'évolution en Slovaquie était loin d'être imprévisible: elle était bien préparée et exécutée pour démanteler davantage une Tchécoslovaquie déjà partagée. Et encore: «II n'y avait rien de sinistre ni de prémédité dans le protectorat de Bohème... il avait toujours fait partie du Saint Empire Romain». Hitler n'a-t-il peut-être pas été sinistre lorsqu'il rompit une promesse faite quelques mois plus tôt ? «Nous ne voulons pas de Tchèques, pour moi je ne vois pas d'inconvénient à leur donner des garanties» (3). Et Hitler n'était-il pas sinistre lorsqu'il revendiquait l'Alsace-Lorraine et l'Artois en tant qu'anciens territoires de l'Empire Romain ? Quand on veut redessiner la carte de 1' Europe sur base d'arguments historiques, on sait où l'on commence mais pas où l'on finit. On pourrait décomposer à nouveau l'Allemagne et l’Italie en milliers de petits Etats.

L'argument de Taylor manque de cohésion. Ou bien l’on se tient à la Realpolitik (4), et alors aucune des conceptions morales n'a de poids, mais alors on doit aussi accepter la réaction britannique à l'occupation de la Bohème comme un simple fait et comme un échec au niveau de la Realpolitik. Ou bien l'on a un jugement de valeur sur la réaction britannique («exagéré», «déplacé») contre cette occupation et par conséquent aussi sur l'occupation elle-même («logique», «à juste titre», «inévitable»). Taylor écrit: «Hitler n'avait aucune idée qu'il parviendrait à éliminer la France du théâtre de la guerre lorsqu'il envahit les Pays-Bas et la Belgique le 10 mai 1940. Il fit un pas défensif: pour la défense de la région de la Ruhr contre une invasion alliée. La conquête de la France a constitué un extra imprévu». Le plan Manstein-Guderian (5) avait pourtant été conçu pour l’élimination de la France après celles de la Belgique et des Pays-Bas.

Dans la conception de Taylor, la politique étrangère est déterminée par les réactions à la situation internationale telle qu'elle se présente par hasard; les acteurs principaux, en jouant le jeu, ne sont pas ancrés dans les forces intérieures et économiques du pays, mais planent dans un espace qui, en dernière instance, est déterminé par leur caractère personnel et leurs motivations personnelles. Aux yeux de Taylor, Hitler devient ce faisant «le prisonnier» de son propre schéma chronologique et la réussite de son propre projet (le Nouvel Ordre en Europe) n'est menacé que par sa propre irrationalité.

«Le combat européen qui a commencé en 1918, lorsque le délégué allemand se fit annoncer à Foch (6) pour l'armistice... s'est terminé en 1940... et a été «l'Ordre Nouveau» d'Europe: il a été dominé par l'Allemagne... La réussite de l'Allemagne dépendait de l'isolement du reste du monde. En 1941, il va attaquer l'Union Soviétique et déclare la guerre aux USA». C'est faux sur toute la ligne. La Deuxième Guerre Mondiale était sans aucun doute possible une guerre pour la domination mondiale. Il aurait été impossible «d'isoler» l'Europe du reste du monde, non seulement pour des raisons militaires et stratégiques mais aussi pour des raisons économiques évidentes. Juin 1940 n'a pas mis un terme à «une lutte européenne»; en juillet, encore avant la Bataille d'Angleterre (7) les études opérationnelles pour une campagne de Russie avaient déjà commencé. Une domination allemande sur l'Europe n'était possible qu'avec le consentement de toutes les grandes puissances, ou au moins avec le consentement passif de tous les peuples concernés. Et cela n'a pas été le cas, ni en été 1940, ni au printemps 1941.

Certes, Taylor a raison lorsqu'il considère que l'impérialisme allemand est un impérialisme au même titre que tous les autres. Mais comprendre que nous vivons dans un monde de gangsters économiques ne suffit pas: il faut identifier le gangster spécifique du moment et identifier ses crimes spécifiques. Il est clair comme l'eau de source que l'impérialisme allemand a déclenché délibérément la guerre contre la Pologne, et ce faisant la guerre mondiale, et que la classe dominante allemande, ses généraux et son fürhrer y ont joué un rôle très personnel, quelle qu'ait d'autre part été la responsabilité des autres grandes puissances impérialistes.

Le défaitisme français

La démoralisation et le défaitisme de la bourgeoisie française ont également joué leur rôle, en rapport évident à la situation déterminée et aux intérêts sociaux spécifiques. A la fin de la Première Guerre Mondiale, la France s'était acquis une position politico-militaire dominante qui ne correspondait pourtant pas aux rapports des forces au niveau européen ou mondial. Ni le capital français, ni son industrie ne pouvaient entretenir des armées en Europe Occidentale et Orientale qui lui auraient permis d'étouffer dans l'oeuf une tentative allemande de reprendre le dessus. L'échec financier et diplomatique de l'occupation de la Ruhr par la France en 1923 (9) avaient bien montré le gouffre entre les ambitions diplomatiques et la puissance économique. La faiblesse politique de la France était une conséquence de sa faiblesse matérielle et non l'inverse.

De plus, de larges secteurs de la bourgeoisie française avaient peur de la force potentielle de la classe ouvrière qui s'était manifestée lors de la grève générale de 1936. L'élimination du «danger communiste» était pour beaucoup une véritable obsession et avait priorité sur la situation internationale. De plus en plus, ces secteurs de la bourgeoisie considéraient que la démocratie parlementaire était une entrave insupportable à l'élimination de la force syndicale.

Juste avant que n'éclate la guerre, ces idées étaient incarnées par Laval et le maréchal Pétain (10) semblait la personnalité tout indiquée pour diriger cet «ordre nouveau». Dès le 17 mars 1938, Laval pouvait annoncer à Mussolini qu'il allait former un gouvernement sous Pétain et qu'il «torderait le cou aux communistes s'ils s'aventuraient à s'y opposer».

La bourgeoisie Française craint la classe ouvrière

Lorsque le 23 mai 1940 Paul Reynaud forme un nouveau gouvernement, il prend dans son cabinet différents ministres à tendance conservatrice d'extrême-droite. La crainte d'une révolte ouvrière était encore très grande, même après la grève générale de septembre 1938 qui avait pourtant échoué. La peur du général Weygand était même tellement forte qu'il voulait, tout comme Laval et Pétain, terminer la guerre coûte que coûte: «Si le gouvernement veut garder haut la combativité de la troupe et éviter un mouvement révolutionnaire à Paris, il doit à tout prix rester dans la capitale, y tenir la situation sous contrôle, même au risque d'être fait prisonnier par l'ennemi», dit de lui l'amiral Auphan. Weygand dit aussi: «Il y va de l'ordre intérieur et de la dignité».

De 1929 à 1938, la Grande-Bretagne était adversaire d'une domination de la France en Europe. Mais elle ne désirait pas non plus une hégémonie allemande. La politique «d'apaisement» de Chamberlain était en relation avec le temps que Londres estimait nécessaire pour rattraper le retard de 3 à 4 ans encouru dans son réarmement face à 1’Allemagne. Malgré le fait qu'il s'agissait là d'une tentative illusoire et sotte d'éliminer Hitler, il ne s'agissait pas du tout d'accepter une Europe dominée par Berlin.

L'enjeu Britannique: l'empire.

Contrairement à la bourgeoisie française, la bourgeoisie britannique n'était ni démoralisée ni défaitiste: c'était tout l'Empire qui était en jeu ! Le conflit entre Chamberlain et Churchill ne portait pas sur la question de savoir si oui ou non il fallait capituler mais bien sur la manière dont il fallait préserver l'empire britannique et s'opposer à Hitler. La voie suivie par Hitler offrit automatiquement le pouvoir gouvernemental à l'aile politique de Churchill (11). L'aile politique de Chamberlain avait songé à la possibilité de détourner la politique agressive de l'Allemagne vers l'URSS.

Mais, après l'occupation de Prague, il devint évident que les conquêtes d'Hitler en Europe Centrale et Orientale lui avaient procuré une position suffisamment puissante que pour attaquer l'Empire britannique. De l'autre côté du monde, l'impérialisme japonais s'emparait pas à pas de la Chine et aspirait aussi à conquérir tout le Sud-Est de l'Asie, encore une autre menace pour l'Empire britannique.

La Gauche, 14 mai 1990

Notes

(1) Taylor, A.J.P., The Origins of the Second World War, London

1964.

(2) Nom des forces armées allemandes de 1919-1935.

(3) En septembre 1938, Hitler pro-mettait la fin de l'expansion allemande en échange de la re-connaissance de la Bohème en tant que territoire du Reich allemand.

(4) Realpolitik: politique qui se base sur la situation existante et qui tend vers des résultats immédiatement tangibles, libre de toute conception idéologique.

(5) Plan d'attaque «cas Jaune» des deux généraux avec comme première phase la conquête des

Pays-Bas et de la Belgique et ensuite celle de la France.

(6) Ce maréchal français avait représenté les Alliés lors des pourparlers pour l'Armistice, en novembre 1918.

(7) La bataille pour le contrôle de l'espace aérien du sud de l’Angleterre en 1940-'41 a été gagnée par la Royal Air Force.

(9) Occupation française (avec l’aide de la Belgique) pour extorquer une avance de 1 milliard de Mark Or sur les 132 milliards de Mark Or dus par 1'Allemagne à titre de réparations pour la Première guerre mondiale.

(10) Laval, plus tard ministre du gouvernement pro-allemand de Vichy, sous la direction de Pétain.

(11) Au début de 1940, le conservateur Churchill allait succéder à Chamberlain en tant que premier ministre.


L’entrée en guerre du Japon, des Etats-Unis, l’offensive contre l’URSS

Alors que la guerre se prépare en Europe, le Japon est occupé à conquérir par étapes la Chine et vise également le Sud-Est asiatique. Washington est opposé à la suprématie du Japon en Asie de l'Est et dans l'Océan Pacifique tout comme Londres est opposé à la suprématie allemande en Europe. A long terme les USA s'attendent donc à un conflit. Entre-temps, il s'agit pour eux d'empêcher la consolidation du Japon en tant que super-puissance économique et militaire.

Dans ce but, l'administration Roosevelt impose un embargo non officiel sur les importations japonaise de matières premières et intensifie son aide à Tchang-Kaitchek (1). Pour éviter la confrontation avec Washington, Tokyo aurait dû se retirer de Chine. Mais, en occupant l'Indochine - avec l'aide du gouvernement de Vichy (2) - le 23 juillet 1941, et en conquérant ainsi une tête de pont pour une attaque future contre la Malaisie et Singapour, le Japon a choisi la confrontation, suite à quoi Roosevelt annonce le blocus officiel du Japon.

L'Impérialisme japonais

Ce sont ses besoins économiques qui dictent au Japon la voie à suivre. L'empire du soleil levant importait 66% de son pétrole des USA et la majeure partie de ses matières premières des Indes Néerlandaises, de l'Indochine française, de la Malaisie anglaise, des Philippines américaines et de Chine.

Au début, les conflits en Asie et en Europe apparaissaient comme des conflits distincts. Mais ensuite les succès de l'Allemagne ont incité Tokyo à conquérir les colonies européennes dans le Sud-Est asiatique. Lorsque, à la fin de juillet 1941, les Etats-Unis mettent un terme à toutes les exportations de matières premières pour arrêter la progression japonaise en Chine, le Japon savait ce qui lui restait à faire. Même les cercle les plus radicaux du gouvernement impérial japonais ne visaient pas une guerre de longue durée, une guerre totale, jusqu'au bout. Même pas le 5 novembre 1941, lorsqu'ils décident de porter un grand coup aux Américains. Tokyo espérait plutôt une paix de compromis qui lui permettrait de stabiliser sa sphère d'influence. Mais Washington va rester intraitable...

Pearl Harbour

L'opinion publique américaine était contre la guerre. Mais l'attaque japonaise du 7 décembre contre Pearl Harbour (3) donne à Roosevelt le prétexte pour façonner l'opinion publique à sa façon. Aussi importants qu'aient été les intérêts américains dans le Pacifique, le centre d'intérêt de l'impérialisme US était en Europe, parce que c'est à partir du Vieux Continent que partaient les ramifications permettant de tenir en main l'économie mondiale. A partir de 1939, tous les stratèges américains étaient d'accord sur ce point. Début 1941, les états-majors britanniques et américains décident que la priorité de l'effort de guerre doit aller à l'Europe. Ils maintiennent cette orientation, même après Pearl Harbour.

La décision de l'impérialisme américain d'intervenir directement pour provoquer un réarrangement de l'ordre économique et politique mondial constitue, à côté de la volonté de l'Allemagne et du Japon d'élargir leurs frontières politico-économiques, une autre cause immédiate importante de la Deuxième Guerre Mondiale. La majorité de la bourgeoisie des Etats-Unis s'était groupée autour de Roosevelt pour formuler une nouvelle stratégie internationale de l'impérialisme US. La cause en est que l'économie américaine avait été soumise à une transformation profonde, surtout après la crise de 1929. Elle disposait d'énormes réserves de capitaux non investis, de capacités de production et de force; de travail excédentaires.

Les tentatives faites avec la politique du New Deal (4) avaient permis aux Américains de surmonter les aspects les plus saillants de la crise. Mais en 1938 les USA comptaient de nouveau 12 millions de chômeurs. Il devaient se tourner vers le marché mondial: investir les capitaux à l'étranger, les prêter et exporter des marchandises comme jamais auparavant. Cet effort d'expansionnisme de l'impérialisme US présupposait pourtant un marché mondial stable et garanti. "Un monde sûr pour la démocratie" était le slogan avec lequel on allait mettre un terme à l'isolationnisme américain (5).

Mais Roosevelt devait manoeuvrer avec plus de précautions que Hitler et que les chefs de guerre japonais: son pays était encore démocratique. Il ne pouvait pas imposer la guerre à la population américaine. L'attaque surprise de Pearl Harbour constituait donc un magnifique prétexte pour impliquer les Etats-Unis dans le conflit mondial, et rencontrer ainsi la ferme volonté de la classe dominante américaine.

Guerre contre l'URSS

L'attaque allemande contre l'URSS ne résulte pas d'une décision concertée du capitalisme mondial, c'est-à-dire d'une concertation entre les impérialismes britannique, français» allemand et américain. L'isolement de l'Union Soviétique et ses problèmes internes laissaient au contraire le champ libre pour la lutte des différentes puissances impérialistes entre elles.

L'ouverture du front de l'Est était en premier lieu l'affaire de l'impérialisme allemand qui, ce faisant, voulait se renforcer face à ses rivaux occidentaux. En URSS même, une contradiction explosive s'était développée entre les infrastructures industrielles et militaires renforcées par le plan quinquennal d'une part, et la crise politique provoquée par les purges de Staline et sa diplomatie brutale d'autre part. Les purges avaient décapité l'Ar-mée Rouge et désorganisé la défense nationale. La diplomatie avait livré la Pologne et l'Europe à Hitler. Cela rendait plus facile une attaque ultérieure contre l'URSS. Mais le plan quinquennal va permettre à l'URSS de gagner la guerre.

L'impréparation de l'Année Rouge en 1941 était la conséquence directe du manque de compréhension par Staline de la situation en Europe et des intentions de Hitler, c'est-à-dire de l'impérialisme allemand. Quelques années auparavant, le maréchal soviétique Toukhatchevsky (6) avait prouvé que l'armée française ne s'opposerait pas activement à l'Allemagne dont l'agressivité était surtout dirigée vers l'Est. Mais Staline était convaincu que Hitler n’attaquerait pas une Union Soviétique "qui se comporterait correctement".

Le Pacte de non-agression germano-soviétique de 1939 représentait plus un mouvement stratégique qu'un mouvement tactique de sa part. Dans une étude de l'Etat-major général de l'Armée Rouge, datée de décembre 1940, l'idée que l'Allemagne pourrait être un ennemi potentiel est rejetée avec force. Les projets de manoeuvres proposés ne tenaient pas compte de la situation et des besoins des forces armées et il n'y était pas question d'un plan de guerre coordonné. Le "Plan 1941 de défense de la frontière", que l'état-major général établissait en avril et avec lequel l'URSS devait entrer en guerre deux mois plus tard, limitait le rôle de l'Armée Rouge à la défense des frontières extérieures et attachait peu d'importance à une défense stratégique.

L'URSS avait pourtant toutes les raisons de se renforcer à court terme et le mieux possible contre une attaque allemande, d'autant plus que les Britanniques et les Français avaient hésité très fort - c'est le moins que l'on puisse dire - à conclure avec Moscou une alliance militaire pour la défense de la Pologne. Mais le Pacte Hitler-Staline comprenait une clause secrète sur le partage de la Pologne (7), et cela alors qui n'était pas encore question d'une attaque allemande contre ce pays. Staline donnait donc le feu vert à Hitler et délivrait pour un certain temps le Troisième Reich du cauchemar d'une guerre sur deux fronts.

Les conséquences de la "Realpolitik" cynique de Staline ont été terribles pour la population soviétique. La Deuxième Guerre Mondiale a coûté à l'Union Soviétique 20 millions de vies humaines et des dégâts matériels incommensurables. Une politique plus clairvoyante et moins cynique aurait pu épargner à l'URSS tant de souffrances. Ainsi peut-on affirmer que cette politique compte également parmi les causes principales du déclenchement de la Deuxième Guerre Mondiale.

La Gauche, 21 mai 1990

Notes

(1) Tchang Kaichek : Maréchal cl dirigeant "nationaliste" chinois qui luttait plus contre les communistes que contre les envahisseurs japonais.

(2) Les autorités coloniales de l'Indochine (Vietnam, Laos et Cambodge) avaient reconnu le gouverne-ment pro-allemand de Vichy.

(3) La base de la marine des Etats-Unis à Hawaï dans la partie occidentale de l'Océan Pacifique.

(4) Avec la "Nouvelle Distribution" (New Deal) la bourgeoisie américaine donnait partiellement satisfaction aux besoins sociaux de la classe ouvrière. Mais le "New Deal" a surtout servi à consolider une restructuration complète du capitalisme américain.

(5) La politique "isolationniste" des Etats-Unis consistait à se tenir a l'écart des événements mondiaux.

(6) Toukhachevsky a été exécuté sur ordre de Staline. Ce faisant, il a liquidé un des grands stratèges de l'Armée Rouge.

(7) Le Pacte prévoyait un partage le la Pologne entre l'Allemagne et l'URSS et comprenait certaines clauses secrètes sur l'annexion des Etats baltes.

Voir ci-dessus