Mondialisation et asile
Par France Arets le Mercredi, 08 Décembre 2004 PDF Imprimer Envoyer

La mondialisation de l'économie a une double conséquence. D'une part, les politiques néo-libérales engendrent un accroissement des mouvements migratoires parmi les populations victimes de ces politiques dans les pays en développement, à cause de la dégradation de leurs conditions de vie; d'autre part, les pays industrialisés utilisent ces migrations pour accroître leurs profits grâce à l'exploitation de travailleurs clandestins.

Dans les pays en développement, on observe des pertes d'emplois et de revenus, une croissance du chômage et de la pauvreté, notamment parce que la production locale agricole et artisanale est ruinée par l'importation imposée de différents produits. Mais aussi parce que les plans d'ajustement structurel imposés par le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale aux pays endettés entraînent des pertes d'emploi dans le secteur public en général, une augmentation des dépenses des particuliers pour l'éducation et la santé, une hausse des prix pour les denrées alimentaires de consommation courante qui ne peuvent plus être subsidiés par les gouvernements… A cela il faut ajouter les conséquences des privatisations qui touchent la distribution d'eau ou d'électricité...

Dans les pays dits "de l'Est", la privatisation croissante a comme conséquence une perte d'emplois conséquente; on assiste également à un détricotage de la sécurité sociale… De par le monde, guerres, conflits se multiplient, jetant sur les routes de l'exil des populations entières (la majorité se trouvant dans des conditions plus que précaires dans les pays voisins du pays d'origine…). C'est là un des effets pervers de la globalisation, nombre de conflits recouvrent des enjeux économiques: en Irak, dans le Golfe, le pétrole; en Sierra Leone ou au Libéria, les diamants… ce sont là des exemples connus. En Afrique, dans la région des Grands Lacs, la situation est complexe et on nous présente les guerres comme des conflits ethniques, en nous cachant que ce sont aussi des guerres pour l'uranium ou les composants utilisés par l'électronique, comme le coltan, utilisés par nos gsm ou play-stations...

D'autres fuiront les dictatures, ou les régimes autoritaires dans lesquels les Droits de l'Homme sont bafoués, que les administrateurs qui dirigent la Banque Mondiale ou le FMI (Etats Unis, Europe Occidentale, Japon…) ont un intérêt à laisser en place parce qu'ils soumettent leurs économies aux diktats du commerce mondial et des firmes transnationales.

Et la Belgique dans tout cela ?

Depuis la régularisation de 2000, la politique d'asile et d'immigration a été de plus en plus restrictive. Les procédures se sont accélérées , avec la formule "last in, first out" (dernier arrivé, premier sorti)… En clair cela signifie que les interviews sont bâclées à l'Office des Etrangers, tout comme les traductions… Que la Convention de Genève est interprétée de manière de plus en plus restrictive, il faut prouver les persécutions dont on a été l'objet, avec des preuves personnelles: "pourquoi, Monsieur, n'avez-vous pas en main une attestation du policier qui vous a battu ou torturé ?". Le candidat réfugié est a priori considéré comme un menteur, profiteur et doit démontrer le contraire. Des groupes entiers de personnes sont collectivement exclus du droit d'asile. C'est pour cela que des Afghans, des Iraniens, des Kurdes ont dû mener de longues grèves de la faim, simplement pour être entendus, pour que l'on réexamine leurs dossiers, pour que tout le monde sache que l'Afghanistan, l'Iran, ou la Turquie pour les Kurdes ne sont pas des pays sûrs… Le combat qu'ils ont mené pour sortir de l'ombre, leur détermination, l'appui qu'ils ont eu, des assemblées de voisins qui se sont crées à Ixelles et à Saint-Gilles, de toute une série de mouvements et d'associations un peu partout, leur ont permis d'obtenir des résultats (que nous n'avons pas le temps de détailler ici…). Il n'empêche que le gouvernement continue sa politique d'enfermements et d'expulsions, toujours violentes, même si la technique du coussin n'est plus utilisée… Et lorsque la personne refuse l'expulsion à plusieurs reprises, elle est vouée à une expulsion collective, sans contrôle, sans témoins, sous escorte musclée… La Belgique est tout-à-fait en pointe dans ce domaine : 17 vols en 2003 ! (source: question parlementaire le 13 février 2004). En matière de régularisation, demandes individuelles établies sur base de l'article 9 .3, en 2004 on estime à environ une réponse positive pour 6 demandes… Cette politique restrictive ne fait qu'augmenter le nombre d'illégaux : réponses négatives aux demandes d'asile et de régularisation, effet dissuasif qui fait que beaucoup de personnes n'introduisent plus aucune demande… Alors qu'aujourd'hui un mouvement se dessine à partir des sans-papiers et des mouvements et associations qui luttent à leurs côtés pour obtenir une régularisation de tous les sans-papiers, le Ministre Dewael stigmatise à nouveau les " profiteurs " et prévoit de restreindre l'accès aux recours au Conseil d'Etat (dernier recours possible, non suspensif d'une expulsion éventuelle), ainsi qu'une limitation des possibilités du regroupement familial… : fermer les yeux face aux besoins sociaux, ouvrir la bouche pour parler mieux que le Vlaams Blok...

Dans les pays du Nord, la libéralisation totale de l'économie se traduit par un développement de la flexibilité et de la précarisation des emplois pour tous, la multiplication des emplois sous-statutaires etc. Dans ce contexte, appel est fait, en fonction de la conjoncture, à des travailleurs migrants pour les emplois non-qualifiés, dans le cadre d'une économie sous-terraine de sous-traitants, c'est-à-dire, une main d'œuvre clandestine, surexploitée, avec les salaires les plus bas, et évidemment sans aucune sécurité sociale. Cette situation pèse naturellement sur le niveau des salaires de l'ensemble des travailleurs. Les sociologues anglais utilisent la dénomination suivante pour ces emplois occupés par une masse non- qualifiée, les 3 D: "dirty, degrading, dangerous": sales, dégradants, dangereux...

Même si l'exemple date, cela vaut la peine de rappeler ce qui a été découvert à El Ejido (Almeria, Espagne) en 1998: 30.000 hectares de serres en plastique occupant 25.000 clandestins… pour que nous puissions manger des poivrons en hiver. Parmi ceux-ci, seuls 33% habitaient dans des maisons ou appartements, le reste vivait dans des bâtiments en ruine ou hangars. Seuls 45% habitaient dans des foyers alimentés en eau. 54% étaient illettrés (données fournies par Nadine BRAUNS, dans Imagine en mars 2001).

En Belgique, le travail des clandestins s'effectue dans l'agriculture (cueillette), la construction, le textile, l'Horeca, les services domestiques, et sur le marché du sexe… En même temps, les pays du Nord accueillent des travailleurs qualifiés, avec permis de travail, dans la recherche etc. En Belgique, l'immigration dite "économique" est stoppée depuis longtemps déjà, mais on peut entrer avec un permis de travail pour des secteurs qualifiés pour lesquels il y a pénurie, par ex. la recherche, des domaines pointus de l'informatique… et aussi, allons y, le football ...

Face cachée et face publique des politiques d'immigration

Ce que nous venons de voir nous montre la face cachée de la politique d'immigration dans les pays du Nord, pourquoi leurs gouvernements ont un intérêt dans le développement d'une immigration clandestine. La face publique, c'est le renforcement des contrôles aux frontières, de l'incarcération dans les centres fermés et des expulsions. Cette face publique s'appuie sur un discours gouvernemental qui vise à regagner un électorat acquis à l'extrême droite, en agitant la menace d'un afflux d'immigrants, du terrorisme… L'étranger est criminalisé: placé en détention dans un centre fermé, il est assimilé à une personne ayant commis un délit… En réalité, enfermement et détention ont pour but de dissuader les "illégaux" qui approvisionnent le marché des travailleurs clandestins de s'organiser pour obtenir des conditions de travail décentes et un droit au séjour -par peur de l'expulsion-, et de renforcer la division des travailleurs...

Cette politique d'enfermement et d'expulsion peut être modulée, tant en Belgique que dans l'Union Européenne, en fonction de la conjoncture économique. On peut l'intensifier à un moment donné s'il y a un excès de travailleurs clandestins en regard de la conjoncture. La politique de fermeture des frontières qui empêche l'accès légal à un pays d'accueil de l'Union Européenne a de graves conséquences. Comme nous l'avons vu, les raisons de migrer sont multiples, et cette fermeture des frontières fait que ceux qui arriveront jusqu'ici par tous les moyens se retrouveront sans droits et voués à l'exploitation clandestine. Mais elle encourage aussi un nouveau secteur lucratif: les réseaux de passeurs… qui ne reculent devant rien… Les morts de l'Europe-forteresse se chiffrent par milliers, perdus dans les mers au large de l'Italie ou de l'Espagne, dans de frêles embarcations qui chavirent, ou jetés à la mer...

Des camps à l'extérieur des frontières de l'UE ?

Les gouvernements de l'Union Européenne s'organisent pour lutter contre l'immigration clandestine, avec le projet d'installer des camps de tri des réfugiés à l'extérieur des frontières de l'UE. Souci humanitaire, disent-ils. Ou volonté de diminuer les flux migratoires qu'ils ne peuvent plus maîtriser, alors qu'ils les ont suscités… La politique européenne en matière d'immigration est devenue de plus en plus sécuritaire et restrictive depuis la création de l'espace Schengen en 1990 (pays membres de l'UE de l'époque à l'exception de la Grande-Bretagne et de l'Irlande): liberté de circulation à l'intérieur pour les ressortissants UE et renforcement des frontières extérieures.

En juin 2002, le Conseil de l'Union Européenne de Séville se donne comme priorité la lutte contre l'immigration clandestine. En réalité la fermeture des frontières a surtout comme but de limiter l'immigration légale, avec toujours la perspective d'alimenter le marché du travail en clandestins. Comme la principale possibilité qu'il reste de migrer légalement est la demande d'asile, c'est le détricotage du droit d'asile qui sera mis en oeuvre. La menace doit être assez forte pour dissuader les candidats à l'immigration.

Le Conseil affirme comme objectif d'arriver à des normes législatives communes en matière d'accès au séjour et jette les bases d'une coopération opérationnelle en matière de politique de rapatriement: une centralisation des données est mise en place et un accord est pris sur l'organisation de vols charters communs pour les expulsions sur une base bilatérale ou trilatérale. Il est aussi prévu d'obtenir des accords de réadmission des candidats réfugiés avec les pays d'origine ou de transit, avec en échange des promesses d'un renforcement de la politique de coopération au développement.

En juin 2003, le sommet de Thessalonique reprend les discussions avec le même objectif de renforcer cette coopération opérationnelle. On discute sur la proposition faite par Tony Blair en mars 2003 de traiter les demandes d'asile, soit dans les pays d'origine, soit dans des zones de transit par l'installation de centres aux frontières de l'Union qui effectueraient le traitement et le tri des demandes d'asile pour le compte de l'ensemble des Etats membres. La proposition Blair est appuyée par les Pays-Bas, le Danemark et l'Autriche.

Le Haut Commissariat aux Réfugiés avait pris position en avril pour dénoncer cette proposition en estimant qu'il y avait un risque que les zones de transit n'offrent pas une protection effective, qu'il s'y organise des rapatriements collectifs forcés contraires à l'article 4 du protocole 4 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits Humains. Par contre le HCR n'écarte pas la possibilité d'ouvrir de tels centres aux frontières de l'U.E., mais à l'intérieur de l'UE! Il n'y a pas d'accord sur ces propositions.

En 2003 également, le règlement "Dublin 2" prévoit le renvoi d'un demandeur d'asile vers le pays par lequel il est entré dans l'Union Européenne, déniant ainsi toute liberté de choisir un pays d'accueil pour le demandeur et ignorant la complexité des trajectoires des candidats à l'asile. Le HCR dénonce aussi le fait que ce mécanisme, à terme, créera un grand déséquilibre en transférant nombre des demandes d'asile vers les nouveaux Etats membres qui forment pour l'essentiel la nouvelle frontière extérieure.

Le Conseil européen du 29 avril 2004 à Luxembourg adopté une série de directives en vue d'harmoniser la politique d'asile. Il propose une accélération de la procédure d'asile, notamment en permettant d'écarter directement des demandes considérées comme non fondées parce que la personne est originaire de ou a transité par un pays considéré comme "sûr" ! Cela est décidé, mais aucun accord (publiquement en tout cas…) ne se fait sur une liste de pays… Cette notion est évidemment très dangereuse: qu'est-ce qu'un pays sûr ? Ne peut-on être victime d'une persécution spécifique dans un pays dont le gouvernement se présente comme démocratique ? Sans compter l'instabilité politique dans toute une série de régions… Cette notion bafoue la Convention de Genève qui donne le droit d'asile à chacun en fonction d'une persécution dont il est personnellement victime.

Le Conseil adopte également la distinction entre deux statuts: celui de réfugié et celui dit "de protection subsidiaire" s’appliquant aux victimes de conflits armés, statut qui offrira une protection limitée dans le temps, nouvelle restriction…. Le Conseil adopte aussi le principe des "charters" d'éloignement collectifs mis en œuvre par plusieurs pays de l'U.E., alors que le Parlement Européen l'avait rejeté en séance plénière le 20 avril ! Parallèlement, des améliorations sont proposées en matière de déroulement de la procédure, de droit à un recours effectif…. Pour ceux qui n'auront pas été écartés par le premier tri...

En août 2004, les Ministres de l'Intérieur, allemand, Otto Schily et italien, Giuseppe Pisanu proposent à nouveau de créer une institution européenne chargée du tri des demandes d'asile et de migration dans des camps situés hors des frontières de l'U.E.. Sont évoqués: la Lybie, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, la Mauritanie… Les mêmes questions restent posées: quelles garanties de respect des conventions internationales dans ces zones de transit ? Quel appel, quel recours seront possibles ? En cas de réponse positive, comment déterminera-t-on le pays d'accueil ? De nouveau aussi l'accent est mis sur les accords de réadmission avec clairement la promesse d'incitants économiques ou la menace de sanctions...

Au cours de toute cette période, les expulsions collectives organisées conjointement par plusieurs pays membres de l'Union se poursuivent… Les naufrages au large de l'Italie ou de l'Espagne aussi, avec leurs lots de morts, assassinés par l'Europe-forteresse. Prochains enjeux: le Conseil Justice et Affaires intérieures ces 17 et 18 octobre à Florence et, le 5 novembre, le sommet des 25 chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union européenne.

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