Pour ou contre l’avortement ? C’est pas la question !
Par Barby le Vendredi, 20 Octobre 2006 PDF Imprimer Envoyer

Depuis les années '70, des femmes belges ont mené une bataille cruciale et intense pour le droit à l'IVG (Interruption Volontaire de Grossesse). La loi dépénalisant l’avortement est définitivement d'application depuis 1991. Mais, en Belgique comme en Europe, le droit à l'IVG est mis de plus en plus sous pression. Des manifestations pour le “droit de vivre”, comme celle du 25 juillet dernier à Bruxelles, sont apparues depuis un an dans toute l'Europe. Et dans certains pays européens l'avortement reste un crime, interdit et punissable par la loi.

L'avortement: un acquis important mais menacé

Quand on parle du droit à l'IVG, il est facile de dire que celle qui est pour ce droit est pour l'avortement et contre la vie. Une IVG, même si elle est plus accessible aujourd'hui, n'est pour aucune femme un choix facile. Elle est souvent suivie par des problèmes psychologiques. Mais il est aussi problématique d'élever un enfant non désiré ou un enfant auquel on ne peut pas donner les soins nécessaires pour différentes raisons: la honte, le coût économique, la vie professionnelle, la fatigue, la peur… Toutes les femmes qui demandent l'IVG n'ont pas les mêmes droits: certaines ont plus d'argent que d'autres, certaines ont davantage d'enfants, certaines peuvent être très jeunes ou célibataires ou maltraitées, certaines n'ont pas de travail ou craignent de le perdre… Une IVG, quelle qu'en soit la raison, est en premier lieu le choix de la femme elle-même !

Quinze ans après la mise en vigueur de la loi en Belgique, de nouveaux débats surgissent où les points de vue et les discours de la droite extrême sont mis en avant: le droit du foetus, la discussion autour du droit d'adoption pour les homosexuels et les lesbiennes, le débat sur l'euthanasie, les accouchements sous X… Il est important de se rappeler aujourd'hui les éléments de la lutte antérieure et de ne jamais les oublier. Car si ce droit acquis est menacé aujourd'hui, quelles seront les menaces qui nous attendront demain?

Les femmes, et des hommes comme le Docteur Peers, ont lutté parce que l'avortement était interdit et pénalisé par la loi dans un passé récent. Le droit à disposer librement de son corps et à l'autonomie -"Baas in eigen buik" ("Maîtresse de son propre ventre")- était au centre du message des "Dolle Mina's"(1). Dès le début des années '70, les débats et discussions concernant le droit de décider soi-même d'avoir des enfants ou non, de sa sexualité, de sa grossesse étaient menés dans et par le mouvement féministe, avec les actions des Dolle Mina comme avant-garde.

Lors de l'arrestation en 1973 du Docteur namurois Peers pour la pratique d'avortements dans de bonnes conditions, le débat autour de l'IVG a fait irruption sur la place publique et dans l'agenda politique. La conséquence directe de son arrestation était la légalisation de la publicité pour les moyens de contraception. De nombreux hôpitaux et centres de planning pratiquaient ouvertement et dans de bonnes conditions des IVG. Entre 1981 et 1990, une dizaine de femmes et leurs médecins sont encore poursuivis. Il a encore fallu continuer le combat.

Avortement et contraception en Belgique aujourd'hui

Depuis 1991, l'IVG est légalisé et partiellement dépénalisé en Belgique. Bien que l'avortement figure toujours dans le Code Pénal, la loi Michielsen-Lallemand permet l'IVG en certaines circonstances très précises. La femme doit se trouver dans une situation de détresse, l'IVG doit avoir lieu pendant les quatorze premières semaines de la grossesse, elle doit être informée des autres options et l'intervention doit se pratiquer par un médecin dans des conditions médicalement correctes.

Sur base des chiffres de 2005, environ quinze mille femmes belges par an font appel à une IVG. La moitié des jeunes femmes âgées entre 15 et 19 ans qui ont subi une IVG n'avaient utilisé aucun moyen de contraception ni de protection. Pour les filles de moins de quinze ans, ce taux monte à deux tiers !

Impossible donc de parler de l'IVG sans entamer la discussion sur les différents moyens de contraception et l'éducation à la sexualité dans notre société. Mais il ne suffit pas de fournir une information compréhensible et de briser les tabous sociaux persistants et les mécanismes d'oppression des femmes; l'accès à la contraception doit rester ouvert à toutes les personnes.

Ces dernières années, le remboursement de "la pilule" par la Sécurité Sociale a été remis en question à plusieurs reprises. Sous la pression de quelques firmes pharmaceutiques, 90% des pilules contraceptives ont été rayées de la liste des médicaments remboursés en 2005. Cette situation était socialement inacceptable. Suite à une réaction politique (e.a. Demotte), un accord est intervenu avec ces firmes pharmaceutiques et tous les contraceptifs ont été réintégrés dans le système de remboursement dès le 1 janvier 2006 (en échange d'une diminution des contributions fiscales pour l'industrie pharmaceutique !). Cependant, cette attaque capitaliste reste une première et une véritable menace pour le droit des femmes de choisir librement (le moment) d'avoir ou non un enfant.

Le droit à l'avortement: les "nouvelles" menaces

Le collectif belge "Papa, Maman et moi" a été conçu à l'origine dans le cadre d'une campagne contre le projet de loi autorisant l'adoption par les couples homosexuels. Pour sa campagne de 2006, ce collectif a décidé de défendre le "Droit à la Vie" et a organisé la première "Journée européenne pour la Vie" (avec un grand V bien sûr) le 25 juillet au Palais de Justice de Bruxelles. Une troisième marche européenne est déjà annoncée pour le dimanche 21 janvier 2007 à Paris par le collectif français "30 ans, ça suffit" ( 30 ans de loi Veil).

Par le passé, les campagnes contre la dépénalisation de l'IVG en Belgique étaient surtout l'œuvre du lobby "Pro Vitae". Et aujourd'hui, qui se regroupe derrière cet appel ? L'éditeur responsable du tract de “papa maman et moi” est le cofondateur et porte-parole du Front Nouveau de Belgique. Lors des élections de 1999, il appelait à voter "FN" et depuis lors il est le partenaire officiel du parti fasciste français. Lors du défilé Gay Pride, il a organisé une campagne d'affichage homophobe à Bruxelles. L'appel à manifester a été signé par l'Association Catholique des Infirmières, la Ligue des Familles Polonaises (de Pologne), Laissez-les Vivre/SOS Futures Mères (France), Civitas Belgique, un ambassadeur pensionné belge, un chercheur CNRS français, Yves de Seny (sénateur pensionné PSC-CdH) et d'autres.

Il s'agit clairement d'un ramassis bigarré de chrétiens de la droite extrême. En plus de cette manifestation, certains de ces groupuscules organisent des débats, des exposés et des formations dans les écoles, avec le soutien d'images de propagande poignantes et des témoignages de "survivants" d'IVG. Ces groupes n'appellent pas uniquement pour la criminalisation de l'avortement, mais ils sont aussi contre son remboursement par l'INAMI. En plus, ils sont opposés au stérilet et à la pilule du lendemain, tout cela en agissant au nom de la bioéthique. De nombreuses personnes qui soutiennent ces groupes dirigent le débat sur le "droit à la Vie" jusqu'aux échelons les plus élevés de l'Etat.

En décembre 2005, cinq collaborateurs et collaboratrices (deux médecins et trois assistant-e-s) du centre de planning familial CEVO d'Ostende ont été convoqué-e-s au Tribunal Correctionnel de Bruges. En 2001 une fille de quatorze ans leur avait demandé un avortement. Parce que sa grossesse était trop avancée, le délai légal de six jours entre la première consultation et l'IVG ne pouvait être respecté. Selon le CEVO et l'équipe qui a pratiqué l'IVG, il s'agissait d'un cas de force majeure justifiant une entorse à la légalité. Le parquet en a fait une question de principe. En février 2006, l'équipe a été acquittée sur toute la ligne. Alors qu'à Bruges ce procès eut lieu sous les feux des médias, le GACEPHA, l'association francophone des centres pratiquant l'IVG, a manifesté en faveur d'un allongement du délai maximum légal entre la conception et l'intervention. Trop de femmes belges se dirigent encore vers les Pays-Bas ou le Royaume-Uni parce que ce délai légal y est plus long. Mais, clairement, seules les femmes qui disposent de ressources suffisantes peuvent concrètement choisir cette option.

Pendant la campagne autour de la Constitution européenne de 2005, la place croissante des églises dans le projet constitutionnel devenait limpide. D'un côté, le droit à l'avortement n'est nullement présent dans le texte. De l'autre, des figures comme le Cardinal Trujillo ont pu prendre la parole à plusieurs reprises pour transformer des résolutions du Parlement européen en faveur du droit à l'IVG en délit.

Fin 2005, une exposition contre le droit à l'IVG était montée dans le Parlement européen. L'IVG y était comparée à la Shoah. L'expo était organisée par l'ultraconservatrice Ligue des Familles Polonaises avec l'appui de l'Eglise Catholique polonaise, l'Association polonaise de la protection de la vie humaine et quelques députés polonais. Quand l'expo a été enlevée, les organisateurs ont crié à l'atteinte à la libre expression. Les eurodéputé-e-s qui répliquaient étaient qualifié-e-s de "nazis".

Pendant sa visite en Espagne en juillet 2006, le pape Benoît XVI soulignait encore l'importance de la famille traditionnelle. Ses paroles étaient une attaque directe contre le gouvernement espagnol actuel qui a approuvé les mariages entre homos ou lesbiennes et le droit à l'avortement.

Chaque année, vingt mille femmes portugaises doivent encore avoir recours à l'avortement clandestin. A cause de cette situation, quelques milliers d'entre elles se retrouvent hospitalisées avec des complications. Une dizaine d'entre elles décèdent suite à une IVG pratiquée dans de mauvaises conditions. Début 2007, le Portugal organisera un nouveau référendum sur la question du droit à l'IVG. Le résultat du vote ne sera valable que si la moitié des citoyens y participent. Lors d'un référendum similaire en 1998, seul 30 % du corps électoral s'est présenté, dont 51 % s'est prononcé contre la légalisation.

Le droit à l'IVG est chaque jour davantage sous pression. Mais de nombreuses femmes ne se soucient plus guère de cette lutte et des attaques contre ce droit acquis. C’est là que réside la menace la plus grande et la plus dangereuse !

Soutenez et signez la pétition contre les attaques sur le droit à l'avortement : www.petitiononline.com/lavie/petition.html

(1) Dolle Mina était un groupe de femmes Flamandes (Gand, Anvers, Louvain, Bruges et Ostende) qui luttait entre autre pour plus de crèches et d'aires de jeux, pour des droits égaux pour les femmes et pour le droit a la contraception et l'avortement. Notons que des femmes rallié au RAL (LRT) était des membres actives des noyaux de Dolle Mina à Gand et Anvers.

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