L’intifada de l’opposition au Liban
Par Nicolas Qualander le Jeudi, 07 Décembre 2006 PDF Imprimer Envoyer

L’assassinat du député Pierre Gemayel, le 22 novembre dernier, avait retardé l’échéance. Mais l’opposition libanaise a néanmoins tenu sa promesse et, vendredi 1er décembre, près d’un million de personnes, affluant de tout le pays, sont descendues dans les rues du centre-ville de Beyrouth.

La rupture est désormais définitivement consommée entre l’opposition, emmenée par Hassan Nasrallah, dirigeant du Hezbollah, et le leader chrétien Michel Aoun d’une part, le gouvernement de Fouad Siniora d’autre part. La direction de Hezbollah n’hésite plus à qualifier celui-ci de « gouvernement Feltman », du nom de l’ambassadeur américain à Beyrouth. Les manifestations ne vont désormais plus cesser. Les principaux centres institutionnels du pays sont bloqués par les manifestants, qui ont également installé des campements sur les principales places de la ville. L’opposition regroupe le Hezbollah, le mouvement Amal, second parti de la communauté chiite, les mouvements pro-syriens, comme le Marada du député Sleiman Frangié, le Courant patriotique libre du général Michel Aoun, majoritaire dans la communauté chrétienne, ainsi que des forces nationalistes et progressistes, comme le Mouvement du peuple de Najah Wakim, ou la Troisième Force, de l’ex-Premier ministre Selim Hoss. La mobilisation est également soutenue par nombre d’intellectuels et de journalistes de la mouvance nationaliste et de gauche, principalement regroupés autour du quotidien Al Akhbar. 

Le Parti communiste libanais (PCL), pour sa part, a assuré une présence à la manifestation du 1er décembre, avec nombre de ses dirigeants et militants, bien qu’il n’ait pas officiellement appelé à y aller : il attend du Hezbollah et de Aoun des positions plus fermes sur la question de la déconfessionnalisation du système politique libanais, et des réformes sociales à apporter en cas de chute du gouvernement Siniora. Concernant la déconfessionnalisation, le PCL ne propose pas seulement un rééquilibrage du gouvernement, mais la mise en place d’un gouvernement de transition qui élabore une nouvelle loi électorale brisant la répartition des circonscriptions et des hauts postes de l’État, sur des bases confessionnelles.

Dimanche 3 décembre, le PCL a organisé une manifestation de plusieurs milliers de personnes, qui a rejoint symboliquement le rassemblement des autres forces de l’opposition - membres du Hezbollah, aounistes et nationalistes - sur la place Riad-Solh. Le PCL devait également organiser une conférence de toute la gauche libanaise, le 6 décembre, afin de créer un front politique. Il laisse cependant les portes ouvertes à la discussion avec le Hezbollah, d’autant que les deux mouvements se sont considérablement rapprochés au cours de la guerre du Liban de juillet et août derniers, et que nombre de sympathisants des deux mouvements plaident pour un accord politique entre eux concernant les manifestations de rue. Le PCL a d’ailleurs présenté plusieurs listes communes avec le Hezbollah et le Courant patriotique libre du général Aoun au cours des récentes élections professionnelles et étudiantes.

Spectre de la guerre civile

La démission du gouvernement Fouad Siniora, d’orientation pro-occidentale, reste l’objectif principal des manifestants. Ils visent son remplacement par un cabinet d’unité nationale et la tenue de nouvelles élections. La radicalité des manifestants est perceptible. Ils critiquent un gouvernement aux ordres de Paris, de Washington et de la corruption. Ils dénoncent les États-Unis et Israël. Tous les partis, quels qu’ils soient, soulignent aussi la nécessité de recourir à des moyens pacifiques, et de ne pas céder aux provocations venant de la droite libanaise pro-occidentale : une atmosphère sourde de guerre civile règne sur le pays, alimentée par l’assassinat de Pierre Gemayel, par les attaques contre des permanences et des habitations personnelles de dirigeants de l’opposition, par des affrontements de rue sporadiques entre chrétiens pro-aounistes et chrétiens partisans des Forces libanaises de Samir Geagea.

Le quotidien As Safir a ainsi révélé une affaire de camps d’entraînement armés par ces derniers, ainsi qu’un projet de tentative d’assassinat du général Michel Aoun, le tout alimenté par la question de l’arrivée d’armes via l’ambassade américaine. Les divisions entre chiites et sunnites antisyriens font également peser un grand risque sur le pays et sur la résistance. La question de la construction d’une société de résistance et d’un État de résistance, posée par Hassan Nasrallah, et celle de la déconfessionnalisation du système politique libanais, posée par la gauche, sont étroitement liées. Mais les opposants à cette perspective sont nombreux et les États-Unis, comme les élites libanaises pro-occidentales, n’hésiteront à aucun moment à réveiller le cauchemar de la guerre civile et des affrontements communautaires pour éviter toute alternative crédible au néocolonialisme dans la région. 


Quelques repères

Dans la majorité (Bloc du 14 mars) :

  • Courant du futur. Sunnite, majoritaire au Parlement. Le Premier ministre, Fouad Siniora, en est issu.
  • Parti socialiste progressiste. Dirigé par Walid Joumblatt, fils du fondateur du parti, Kamal Joumblatt. Représente majoritairement la communauté druze (chrétiens).
  • Forces libanaises. Parti chrétien (plus spécialement maronite), dirigé par Samir Geagea.
  • Phalanges libanaises. Mouvement chrétien maronite nationaliste et conservateur. Pierre Gemayel, assassiné le 21 novembre, en était membre.

Dans l’opposition :  

  • Courant patriotique libre. Mouvement du général Michel Aoun. Opposition chrétienne nationaliste. 21 sièges au Parlement.
  • Mouvement Amal. Second parti de la communauté chiite, dirigé par Nabih Berri, président du Parlement. Quinze députés au Parlement.
  • Hezbollah (« Parti de Dieu »). Mouvement politique chiite dirigé par Sayed Hassan Nasrallah. Quatorze députés au Parlement.
  • Parti communiste libanais (PCL). Son secrétaire est Khaled Haddaeh. Le PCL n’est pas représenté au Parlement.

* Paru dans Rouge n° 2184 du 7 décembre 2006.

Voir ci-dessus