Pour une alternative anticapitaliste en Italie
Par Flavia D'Angeli le Mardi, 05 Juin 2007 PDF Imprimer Envoyer

L’assemblée nationale de l’association Sinistra Critica (opposition de gauche, issue de Rifondazione comunista, PRC) s’est tenue à Rome, les 14 et 15 avril derniers. Cette rencontre a été organisée à un moment extrêmement délicat pour l’avenir de la gauche radicale en Italie. En effet, Romano Prodi et Massimo d’Alema, leaders de l’Unione (coalition anti-Berlusconi), construisent un nouveau Parti démocrate (au centre) ; Fausto Bertinotti (PRC) et Fabio Mussi (DS, majorité de l’ex-PCI) posent les bases d’un nouveau regroupement de gauche, prétendument anti-libéral, mais de plus en plus social-libéral dans les faits, dans le cadre du Parti de la gauche européenne ; si bien que la gauche anticapitaliste doit à nouveau définir les conditions politiques et organisationnelles de son avenir.

Comme souvent, l’Italie montre le chemin à l’Europe : ainsi, les interrogations auxquelles l’opposition de gauche du PRC se trouve confrontée, font irruption aujourd’hui en France et nous concernent aussi en Suisse. Comment sortir de l’impasse ? Comment poser les bases d’un véritable projet féministe, anticapitaliste, anti-impérialiste et respectueux de l’environnement, « sans si, ni mais » ? Voici la question à laquelle Flavia d’Angeli tente ici de répondre. (jb & sp)

Notre association, Sinistra Critica, se présente toujours ainsi, dans tous ses manifestes : « Association Sinistra Critica, féministe, écologiste ». Je crois que nous devons revendiquer le fait que nous sommes une association qui a pour trait d’identité de départ, la revendication de la légitimité, de la nécessité, de l’importance, de la centralité de l’organisation des femmes, afin qu’elles existent, y compris dans ce processus, comme facteur subjectif fortement représenté (…). Plus la gauche se pense comme opposition radicale à l’ordre politique et social existant, plus elle doit faire en sorte qu’en son sein, une subjectivité autonome des femmes vive de manière permanente, structurée, énergique et visible. Le fait d’être féministe est un élément constitutif de son existence. En d’autres termes, une gauche qui entend mettre en discussion l’ordre social existant sera féministe ou ne sera pas. Parce que sans la moitié du monde, on ne peut pas faire de politique (…).

Beaucoup de gens de gauche, en particulier de la gauche actuellement au gouvernement, considèrent que ce sont des discours un peu dépassés, un peu superflus – « mais comment, disent-ils, encore les féministes, ces folles débridées ? » – En réalité, tous les jours Ratzinger [Benoît XVI] nous rappelle que ce n’est pas le cas. Tous les jours, la réalité des faits nous en convainc. Ces mêmes faits qui révèlent que la première cause de mortalité des femmes dans le monde, c’est la violence des hommes : les maris, les pères, les frères, les fiancés ; c’est-à-dire cette famille traditionnelle que les évêques et une grande partie du gouvernement actuel veulent défendre et qui, pour les femmes, n’est très souvent qu’un cauchemar (…) [Référence aux débats sur le Pacs italien, qui ont divisé le gouvernement Prodi et dans lesquels sont intervenus fortement le Vatican et ses relais institutionnels et médiatiques].

Centralité des mouvements sociaux

Mais revenons un peu à nous, soit à l’association Sinistra Critica. Aujourd’hui, nous avons tous ensemble (groupes sociaux, mouvements, syndicats, organisations locales, etc.) essayé de discuter de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Nous nous sommes posés cette question fondamentale : comment articuler une opposition sociale à un gouvernement qui ne nous plait pas, qui continue à proposer des politiques que nous détestons : la guerre, le libéralisme, etc… ? Nous avons clairement affirmé que nous ne voulions pas que soit fondé, au cours de cette assemblée, le 12e parti communiste d’Italie, ou que soit proclamée une scission d’avec le PRC, qui s’est déjà divisé de lui-même […]. C’est une assemblée en revanche qui part de la difficulté dans laquelle nous nous trouvons, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, pour proclamer qu’on ne peut en sortir qu’en essayant de retisser des liens sociaux, des luttes, des conflictualités.

Nous l’avons dit et nous en sommes convaincus : les mouvements sont les moteurs de tout processus politique. Les partis sont et doivent être des instruments au service des mouvements, mais ce sont ces derniers qui changent l’histoire ; ce sont les mouvements qui font l’histoire. Nous croyons vraiment à cela, pas comme ceux qui, au sein du PRC, ont développé jusqu’ici la mystique du mouvement. Une mystique qui proclamait hier que les mouvements étaient tellement forts que nous allions au gouvernement pour changer le monde, la société. Cette même mystique qui aujourd’hui parle de désert social et impose que nous avalions toutes les pilules, la guerre y compris, sous prétexte que les mouvements sociaux ont disparu […]. Nous n’avons jamais défendu cette mystique. Nous sommes convaincus de la centralité des mouvements sociaux. Nous sommes convaincus que les mouvements doivent être construits patiemment, qu’ils ont besoin de temps, qu’ils doivent être respectés dans leur parcours, leurs modalités, qui sont certes parfois un peu extravagantes, mais quoi qu’il en soit certainement plus intéressantes que la politique politicienne de certains partis ou organisations politiques que nous avons été obligés de fréquenter au cours de toutes ces années.

Rifondazione comunista c’est nous !

Cependant, nous sommes également l’association Sinistra Critica. Beaucoup d’entre nous dans cette salle ont été, sont et veulent à continuer à être – avant qu’ils ne soient renvoyés l’un après l’autre comme des malpropres – des militant-e-s d’un parti. Et donc nous sommes des personnes, des camarades qui continuent à penser qu’il est quoi qu’il en soit nécessaire, utile et important de construire une subjectivité politique, de nous donner des instruments d’initiatives politiques. Beaucoup d’entre nous […] ont créé ce Parti, le PRC, qu’encore aujourd’hui j’ai envie d’appeler paradoxalement mon Parti […]. Nous l’avons construit contre vents et marées en 1991 […] ; nous l’avons défendu du lynchage à gauche qui a suivi la décision, en 1998, de rompre avec le premier gouvernement Prodi. Ce parti, nous l’avons amené, pas seuls bien sûr, mais avec différents groupes, dans la rue à Gênes, au sein des mouvements contre la guerre. Ce parti, quelqu’un comme Franco Turigliatto, plus que moi, a contribué à le créer, jour après jour, dans les cercles, les fédérations etc.

Le problème c’est qu’aujourd’hui quelqu’un s’est emparé de notre parti. […] Le groupe dirigeant du PRC, à commencer par son leader […], a décidé que cette anomalie italienne, c’est-à-dire l’existence d’un parti qui, malgré toutes ses limites, tentait d’échapper par la gauche aux ruines du 20e siècle, devait être supprimée. […] Ce même groupe dirigeant a décidé que, dorénavant, nous avions quelque chose à faire avec Fabio Mussi [chef de file de l’aile gauche des DS – Democratici di Sinistra] ; mais vous vous rendez compte, Mussi ? Le même Mussi avec lequel le Parti, dans son ensemble, avait rompu en construisant une alternative à la Bolognina [du nom du quartier de Bologne où avait été annoncée, en 1989, le projet de créer le Partito democratico della sinistra (PDS) sur les ruines du Parti communiste] et aux DS [Democratici di Sinistra, regroupement qui a remplacé le PDS en 1998].

Nous ne nous résignons pas

La majorité actuelle du PRC a donc décidé que ce parti ne doit plus exister. Ils l’ont tant et si bien décidé qu’ils répètent à l’envi que le PRC est une organisation qui va continuer à exister. Parce que pour réussir à tirer ce parti dans une autre direction, il faut que le groupe dirigeant tente de convaincre au moins quelques uns de ses militants en leur disant : « Pas de souci, le wagon demeure, le problème est que l’on change de voie » […]. Ils peuvent continuer à appeler ce parti Rifondazione comunista, mais en votant la guerre, en votant les coupes budgétaires sur les retraites, en votant ce que chaque jour ils votent au Parlement, ça devient autre chose ; c’est déjà autre chose que le parti que nous avons connu.

Et alors ? Alors, nous ne nous résignons pas à cette évolution. Nous ne voulons pas choisir entre avaler cette soupe, c’est-à-dire la logique de la réduction des dommages en votant la guerre etc., ou rentrer à la maison […]. Non, nous ne voulons pas nous résigner à cela. Nous savons qu’il existe un espace réel de construction dans ce pays d’une gauche alternative, anticapitaliste. Une gauche qui récupère le sens de la politique, non comme art de la médiation, selon la formule d’un homme important [référence à Fausto Bertinotti qui parlait de la politique comme de l’art du compromis entre le désir et le possible, cf. La Repubblica du 26 février 2007], mais comme participation, conflit, élaboration d’une transformation collective de l’existence et de la vie des gens. Parce que nous croyons vraiment à la construction d’une alternative sociale et que nous ne pensons pas pouvoir la mener avec Prodi et D’Alema ; c’est notre seul défaut. Nous continuons à croire à cette politique. Nous croyons que la sanction infligée à Franco Turigliatto [exclusion du PRC pour n’avoir pas voté le programme guerrier du gouvernement] l’a été également parce qu’il a démontré sur le terrain quel type de politique ils étaient en train de développer. Cette politique qui, si elle n’est pas transformation, conflit et participation, devient simple administration de ce qui est, ou au mieux, réduction des dommages. C’est pour cela que Franco Turigliatto a été sanctionné.

Nous ne nous résignons pas ; nous n’allons pas rentrer à la maison ; nous ne démobilisons pas. Nous continuerons à construire des initiatives, des mouvements, de la conflictualité sociale, et nous continuerons à construire également l’association Sinistra Critica comme instrument au service de la reconstruction d’une gauche alternative et anticapitaliste dans ce pays. Nous ne croyons pas que cette alternative puisse mourir avec Fausto Bertinotti, et donc nous pensons que le camarade Franco Turigliatto ne doit même pas songer un seul instant à aller cultiver son jardin : il doit demeurer au service de cette expérience, de ce parcours qui commence ici.


* Paru dans le périodique suisse « solidaritéS » n°107 (02/05/2007), p. 8-9. Traduction, titre, intertitres et coupures de notre rédaction.

* Flavia D’Angeli est membre de Rifondazione comunista et de l’association Sinistra Critica. Elle a été coordinatrice du département Précarité qui a été dissout par le PRC après la manifestation contre la précarité du 4 novembre 2006. Elle a été membre aussi de la direction des Jeunes communistes. Ce discours, ainsi que ceux de Franco Turigliatto, Salvatore Cannavò ou Giorgio Cremaschi, entre autres, peuvent être écoutés en italien sur le site : www.errenews.altervista.org.

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