Le seul espoir : la solidarité active et résister toutes ensemble !
Par Sonia Mitralia* le Vendredi, 25 Janvier 2013 PDF Imprimer Envoyer

La tournée féministe qui a eu lieu  récemment dans une dizaine de villes  en France  a permis aux femmes du Portugal, d’Espagne,  de Grèce, d’Angleterre, de Hongrie et de France de dessiner une première fresque du gâchis humain, causée par  les politiques  des créanciers qui empêchent l’application des droits humains, sèment des crises humanitaires et le chaos en Europe. Le témoignage de ces  femmes sonne l’alarme et nous prévient de ce que pourrait être bientôt le sort de nous toutes. Voici le texte de la participation de Sonia Mitralia.


En Grèce, nous femmes sommes en train de subir une régression historique sans précédent de nos droits et de notre vie quotidienne.

Et voila  tout de suite en quoi se résume cette  vie quotidienne dans la Grèce au temps de la Troïka : extrême insécurité et misère, répression et dépendances, violences, exclusion de l’accès aux soins et… désespoir !

Désespoir parce que la Troïka et ces serviteurs locaux persistent, sadiquement, encore et encore avec cette politique catastrophique et improductive qui a déjà démoli l’Etat Providence en moins de trois ans, a fait exploser l’économie, a provoqué la récession, le chômage de masse…

Les chiffres de la dette sont impitoyables : la dette publique était de 299 milliards de dollars en 2009, soit 129,3% du PIB avant les accords avec la Troïka. L’an  2011, selon les chiffres du gouvernement, elle a dépasse les 368 milliards 169 du PIB et selon certains  estimations elle pourrait dépasser les  200% en l’an 2020….

Comment ne pas désespérer, quand l’écrasante majorité de la population, hommes et femmes réunies  subissent les effets désastreux de ces  politiques, qui ne résolvent pas la dette et nous  enfoncent dans la crise humanitaire, dans le chaos, de plus en plus, de plus en plus et tout ça … pour rien !


La vie des femmes dans cette Grèce gouvernée par la Troïka

Tout d’abord, le droit au travail a explosé.  L’arme de la dette a inversé la tendance historique à l’amélioration continue de la position des femmes sur le marché du travail depuis les années 1980. Désormais c’est la régression, non pas passagère, mais historique: Avant la crise, le chômage des femmes s’élevait à 12%, désormais il s’élève officiellement à 29-30%. Et pour les jeunes femmes  de 15-24 ans, il atteint  61% … une vraie catastrophe pour elles, qui réalisent qu’elles n’ont plus d’avenir ! Désormais il y a déjà énormément plus de personnes inactives (surtout des femmes) que d’actives. Et un tiers de  celles qui travaillent ne sont pas payées. Dans les supermarchés souvent les vendeuses sont payées en espèce.

Quant au droit à la libre maternité ou au libre choix de décider si on veut avoir des enfants, il est lettre morte : Quelle ironie de l’histoire ! Il y a quarante ans on se battait contre la maternité forcée, aujourd’hui on nous refuse le droit d’avoir un enfant…

La pauvreté, la misère,  l’insécurité ont déjà provoqué 15% moins de naissances. 3.000.000 des Grecs sans couverture maladie doivent payer désormais l’accès aux soins, qui sont commercialisés et privatisés.

Un exemple : L’accouchement n’est plus gratuit depuis longtemps, mais maintenant il coûte cher, très cher : 800 euros et 1600  pour la césarienne.

Voila ce qu’en dit l’Ordre des Médecins Grecs -plutôt conservateur- dans un communiqué récent : « C’est un drame quotidien les femmes enceintes qui viennent accoucher par césarienne et ne le peuvent pas parce qu’elles ne peuvent pas payer ». « Ces femmes doivent alors accoucher dans la rue, encourant ainsi le risque de mourir ou de donner la vie à un enfant infirme à vie ».

En plus, même celles qui peuvent payer « accouchent dans certains hôpitaux sans la présence de gynécologue parce  qu’il y a manque de personnel en raison des coupes budgétaires » !...


Le hold-up du siècle !

Mais, il y a pire que ça. Tout l’Etat Providence grec est bel et bien détruit. Le résultat est que tous les services publics assumés auparavant par l’Etat, des jardins d’enfants aux hospices des gens âgés et même les soins  médicaux sont maintenant pris en charge par… les femmes en famille !  Et tout ça gratis, sans même qu’on reconnaisse ce travail impayé. Travail, d’une valeur  vraiment astronomique, dans ce qu’on pourrait à juste titre appeler …le plus grand hold-up du siècle !

L’énorme somme d’argent ainsi économisé par cette typique opération néolibérale  va directement au paiement de la dette. Pourquoi ? Parce que selon le dogme néolibéral,  il faut donner la priorité absolue à la satisfaction des créditeurs et des banquiers et non pas aux besoins élémentaires des citoyens !

Avez-vous jamais  entendu parler de tout ça ? Non, personne ne prend la peine même de mentionner  ce hold-up colossal de plusieurs centaines de milliards d’euros.

Alors, c’est un fait que seules les premières et principales victimes de cette opération, c'est-à-dire nous les femmes pouvons parler, dénoncer  et surtout mobiliser  et lutter contre ce hold-up.  Car il ne s’agit pas seulement de plus en plus de travail impayé  mais aussi et surtout d’une attaque générale contre les droits que nous avons obtenus grâce à nos luttes ces 40 dernières années.

Mais, il y a plus. Une telle privatisation des services publics grâce au travail impayé des femmes doit être justifiée idéologiquement  afin qu’elle soit acceptée.  C’est pourquoi les femmes doivent être présentées  comme « naturellement » dédiées à leurs familles, à leurs maris et leurs enfants, à leurs travaux ménagers.

Pourquoi ? Parce que, ils disent, c’est ça leur « mission », la « mission » des femmes, d’être les servantes des autres et dans notre cas présent, d’être le substitut de l’Etat Providence désormais démantelé.

Vous connaissez très bien le nom de cet emballage idéologique, de cet alibi idéologique : Son nom est patriarcat, la pire espèce du bon vieux patriarcat qui va maintenant la main dans la main avec la plus récente et à la fois la plus barbare expression du capitalisme néolibéral…

Ce mariage du capitalisme et du patriarcat se traduit à quelque chose de concret : Que nous avons juste un choix, servir ! Servir, prendre soin, nourrir, nettoyer nos gosses, les personnes âgés,  nos fils, frères et maris au chômage, tous ceux qui ne peuvent plus avoir leur propre appartement et sont obligés  de se regrouper dans la même maison.

Mais, s’agit-il simplement d’un retour au foyer ? A un retour aux années cinquante, avant les acquis féministes, à un modèle de famille basée sur le couple où l’homme travaillait à l’usine et la femme à la maison ? Il n’est pas à exclure que le crash social, qu’une société de chômeurs sans état social,  sans société civile, engendrent une  famille qui  tend à régresser vers  une forme plus archaïque de vie communautaire, vers une espèce de tribut où les droits individuels n’existeraient plus du tout pour nous.

Pourquoi ce gâchis humain ?

Pourquoi tout ça ? Parce que cet argent devrait aller en priorité et automatiquement au paiement de ses créanciers !

Mais, vous allez nous demander, pourquoi tout ça ? A quelle logique obéissent ces politiques qui sèment la misère et détruisent toute une société. Pourquoi ce gâchis humain ?

Notre réponse est catégorique : Parce qu’il ne faut plus satisfaire en priorité les besoins de citoyens, mais ceux des créanciers et des banquiers !

Oui, c’est en février 2012 que l’Eurogroup, c'est-à-dire ceux qui gouvernent actuellement l’Europe, ont imposé à la Grèce non seulement d’inscrire dans sa Constitution la priorité absolue des créanciers mais aussi la mesure hallucinante d’instituer un compte bancaire bloqué au Luxembourg où sera déposée la soi-disant « aide » de l’Europe à La Grèce… que la Grèce ne pourra pas toucher.

Ceci constitue une véritable contre-révolution d’intérêt planétaire. Pourquoi ? Parce que depuis toujours jusqu'à ce fatidique Février 2012, le Droit International se fondait sur un principe intangible, celui de « l’Etat de Nécessité » qui impose aux gouvernements du monde de donner la priorité à la satisfaction des besoins fondamentaux de leurs citoyens, c'est-à-dire à la Sante, à l’Education, à l’aide aux plus démunis, etc. Ce qu’a imposé l’Eurogroup à La Grèce ne concerne pas seulement la Grèce mais tout le monde !

Pourquoi ? Parce qu’il  constitue un précédent qui vise à détruire le principe de l’Etat de Nécessité et à le remplacer par celui de la priorité des créanciers.

C’est comme s’ils nous disaient cyniquement, vous pouvez mourir, nous on s’en fout car la seule chose qui nous intéresse c’est servir les intérêts des créanciers et rien d’autre.

Et l’avenir de la démocratie en Grèce et en Europe ?

Cependant, ces politiques n’ont pas pour seul résultat l’appauvrissement monstrueux des Grecs. En réalité, ces politiques sont aussi en train de tuer l’avenir de la démocratie en Grèce et en Europe. Elles font naître un monde de violence aveugle, un monde sans règles, une jungle où le pire est possible. Ce monde prépare le terrain pour l’extrême droite et les fascistes, pour leurs crimes contre les libertés, les minorités nationales et sexuelles, leur haine contre les femmes et les droits féministes.


Est-ce que la Grèce deviendra aussi le laboratoire des violences totalitaires ? Non seulement nous sommes en train de vivre une sorte d’accoutumance à la vie violente, à l’indifférence pour la vie humaine, mais c’est aussi la politique qui devient de plus en plus violente tandis qu’on met en cause des conquêtes comme l’interdiction de la torture d’Etat qui se banalise.

Pour gagner les élections en mai,  quelques jours avant les élections,  deux ministres sociaux-démocrates,  tristement célèbres pour la répression sauvage des manifestations contre la Troïka et le démantèlement du système de santé, ont mis en scène le triste spectacle d’un véritable lynchage public des femmes prostituées séropositives (étrangères croyaient ils). En faisant paraître leurs photos sur le Net et la télévision,  les autorités appelaient la population à la délation pour faire arrêter celles qui, selon ces ministres, « constituent une bombe sanitaire a horlogerie », « polluent la société de maladies contagieuses » et  donnent la mort par le sida aux pères de famille grecs. Ces mesures ont été votées  par le Parlement grec et l’opinion publique s’est une fois de plus habituée à la  haine raciale et sexiste.

D’autre part un député du parti néo-nazi « Aube Dorée » a attaqué deux femmes députées de gauche dans le studio durant une émission transmise en direct pendant la période électorale au printemps dernier. Cet acte de violence, au lieu de susciter l’indignation et la réprobation a au  contraire suscité une grande vague de sympathie populaire et a contribué au succès électoral de l’Aube Dorée, qui est aujourd’hui le troisième parti,  selon tous les sondages. Qualifiant les immigrés de « sous-hommes »  en pleine séance du Parlement grec, ce même parti néo-nazi a déjà a son actif plusieurs assassinats d’immigrés ainsi que d’attaques meurtrières contre les Roms, les homosexuels, les militants de gauche ou les minorités nationales ! Et évidemment, puisqu’elle  prône l’accès aux droits sociaux, (crèches, nourriture, soins médicaux, solidarité) seulement pour les grecs, l’Aube Dorée attaque périodiquement des crèches ou même des hôpitaux avec l’objectif déclaré de mettre a la porte manu militari les « étrangers » afin de faire de la place aux Grecs !

Que faire avant qu’il ne soit pas trop tard ? Comment résister au fléau néolibéral et à la monte fasciste et totalitaire? Comment affronter le chantage de la dette et ces mesures d’austérité cauchemardesques, comment nous défendre contre la violence ?

D’abord, nous avons un besoin urgent de ne pas rester seules. Nous avons besoin d’aide, de solidarité active des mouvements sociaux et les féministes en Europe. Il faut que chacune de nous dans nos pays respectifs, se  batte contre les mêmes politiques liberticides d’austérité inspirées et appliquées par les mêmes ennemis.

En somme,  il faut résister toutes ensemble, par delà les frontières nationales.

Oui, il faut le dire haut et clair : nous devons bâtir un mouvement féministe européen de masse contre l’austérité mais aussi contre la dette illégitime qui est à la racine de nos malheurs.

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*Sonia Mitralia, membre de l’Initiative des femmes contre la dette et les mesures d’austérité, Grèce, Comité grec contre la dette et du CADTM international,


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