La libération conditionnelle de Michelle Martin : il y a mieux à faire que de hurler avec les loups !
Par David Martens le Mardi, 07 Août 2012 PDF Imprimer Envoyer

Michelle Martin, l’ex-femme de Marc Dutroux,  fait l’objet d’une décision de libération conditionnelle de la part du tribunal d’application des peines. Depuis lors l’espace public est envahi par des manifestations d’indignation, de révolte, de colère, d’injures voire de menaces, relayées par la presse qui en fait ses choux gras. Or si l’émotion est un vécu tout à fait respectable et légitime, il est beaucoup moins légitime de juger et de fonder sur elle seule toute une politique, surtout lorsque les droits et libertés fondamentales sont en jeu.

Ne nous trompons pas de combat. Ceux qui prétendent défendre les intérêts des victimes ou parler au nom des victimes en faisant des appels à la haine voire au lynchage public  sont indignes des victimes et ne servent pas leur cause. Réactions violentes et manifestations de refus devant le couvent qui accueillera Michelle Martin ne se situent ni dans le prolongement ni dans l’esprit de la marche blanche, mais la trahissent au contraire, elle qui avait été silencieuse et digne. Les victimes méritent autre chose qu’une hystérie collective, récupérée par certains. Les victimes méritent aussi la défense de la libération conditionnelle, outil d’insertion et de lutte contre la récidive, donc de protection de la société.

Oui, la libération conditionnelle est un atout important du système pénal. Elle permet d’individualiser chaque condamnation, d’adapter la modalité d’exécution de la peine, de réduire les dommages causés par l’intervention de la machine pénale elle-même. Elle permet de favoriser la réinsertion sociale et de diminuer les risques de récidive. Elle assure une période de transition entre la prison et le retour à la liberté : pendant cette période, des conditions sont imposées dont l’objectif est de mettre en place ce qui permet d’aider le retour dans la société sans retomber dans la criminalité. Pendant cette période une guidance sociale, un suivi, un contrôle encadrent et accompagnent le ou la libéré(e). C’est une étape importante.  Pour éviter de nouvelles victimes,  la société toute entière a le plus grand intérêt à ce qu’elle soit menée à bien.

Régulièrement des projets ou propositions de loi veulent la rendre plus difficile d’accès, ou même la supprimer. La droite s’est faite championne de telles initiatives, mais elle n’en a malheureusement pas le monopole. Ne tombons pas dans ce piège. Désinvestissement de l’Etat dans l’économique et le social pour laisser libre cours à la violence capitaliste et renforcement de l’Etat dans le pénal et la répression vont de pair : mais quel modèle de société construit-on là ?

L’unique vraie solution, non démagogique et non populiste, l’unique vraie solution émancipatrice tant pour les victimes que pour les auteurs d’infractions, c’est de mettre en oeuvre ce qui favorise la réinsertion. Le refus de la libération conditionnelle est une voie sans issue. Et une voie dangereuse. Une voie qui donne l’illusion de la sécurité tout en se dispensant de travailler au fond des choses, seul moyen de construire une sécurité véritable.

La libération conditionnelle ne s’applique pas à des anges ni des enfants de chœur, mais à des condamnés ? Bien-sûr ! C’est pour eux qu’elle existe : pour construire une politique pénale qui tente d’être la plus juste possible. Au sens de justice et de justesse : d’adéquation à la situation du condamné au moment où elle lui est accordée. Le tribunal d’application des peines a estimé ce moment venu pour Michelle Martin. Il dispose de tous les éléments du dossier et de la situation, éléments que ceux qui s’opposent avec le plus de véhémence ne possèdent pas. Soulignons l’extrême dignité et intégrité de Gino Russo : malgré qu’on veuille l’entraîner sur le chemin de la réaction émotionnelle, il déclare vouloir rester rationnel et ne pas se permettre de faire un commentaire sur un jugement dont il ne connaît pas tous les éléments. Quelle leçon d’humilité mais aussi de lucidité, de courage et de responsabilité. Ce ne sont pas les plus grandes gueules qui font les meilleures politiques.

Le jour où Michelle Martin sera effectivement mise en libération conditionnelle, l’intérêt de la société entière sera d’en permettre la réussite. C’est là qu’on verra la maturité du peuple belge.

Et cette affirmation n’enlève rien à la rage incompressible et salutaire contre la justice pénale qui écrase sans distinction victimes et délinquants, familles et amis de ceux qui ont affaire à elle. Car cette justice est une justice de classe, tant à l’égard de Michelle Martin que des victimes, et ce n’est pas leur faire injure que de dire cela, mais au contraire reconnaître que la Justice qui prendra en considération la vérité profonde de toute personne impliquée dans le drame de la criminalité, comme victime ou auteur, pour chercher une solution réelle et équitable, sera révolutionnaire ou ne sera pas. Et donc à des années lumière de notre actuelle justice bourgeoise, insensible et froide !

Photo : Patrick James


Gino Russo, le père de Melissa, refuse de former un jugement sur la libération de Michelle Martin: « Nous n’avons pas eu accès au dossier »

Par Frédéric Soumois

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Gino Russo. Ph.: Belga

Gino Russo, le père de la petite Melissa Russo, enlevée à l’âge de 8 ans à Grâce-Hollogne le 24 juin 1995 en compagnie de son amie Julie Lejeune, puis assassinée par Dutroux, refuse de former un jugement sur la décision de libération de Michelle Martin, la complice de Dutroux, après 16 ans de détention sur les 30 auxquels elle avait été condamnée. « Ce genre de décision se prend sur base d’un dossier complet qui impose des conditions de reclassement et des restrictions explicites. Mais le problème est que nous ne les connaissons pas, qu’elles ne sont pas communiquées aux parents des victimes. Comment juger une décision que nous ne connaissons pas ? A priori, il peut paraître surprenant de libérer aujourd’hui une personne qui a directement provoqué la mort d’enfants, alors qu’on a affirmé il y a une semaine vouloir renforcer les punitions pour les auteurs de crimes homophobes. Quelle est la logique ? Plus que mon avis, c’est celui de Laetitia et de Sabine (NDLR : les deux victimes de Dutroux qui ont survécu) qui sera important. Vous me demandez de laisser parler mon cœur, mais je ne veux pas le faire, même si on va libérer quelqu’un qui est responsable de la mort de ma fille. On essaie de m’entraîner sur ce terrain, de m’y faire sombrer. Je m’y refuse. Mais je sais qu’on préfère les gens qui pleurent à ceux qui réfléchissent. Je veux rester rationnel. Et c’est pour cela que je veux lire l’arrêt argumenté du tribunal avant de donner un avis circonstancié ».

Article paru sur Lesoir.be le 31 juillet 2012






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