Grèce : Vers un gouvernement de rupture ? Entretien avec Dimitris Hilaris *
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"La situation en Grèce suscite des espoirs et provoque des débats stratégiques à gauche. Un gouvernement de gauche est-il possible à Athènes ? Pourrait-il ouvrir une brèche dans la politique néolibérale brutale de l’Union Européenne ? La Grèce est-elle condamnée à quitter l’Euro, voire l’Union Européenne ? Quelles leçons tirer de la victoire de SYRIZA le 6 mai? Ces débats traversent aussi la Quatrième Internationale. La discussion porte principalement sur l‘appréciation de SYRIZA et l’attitude à son égard. Le Bureau de l’Internationale a adopté une résolution que nous avons publiée sur notre site. Nos camarades de la section grecque, OKDE-Spartakos, sont en désaccord avec cette prise de position. L'échange de courrier entre eux et le Bureau de l'Internationale est disponible notamment sur le site europe-solidaire. A notre école de printemps, nous avons accueilli notre camarade Giorgos Mitralias, membre de Syriza, dont plusieurs articles ont été publiés sur notre site. La LCR a pris position dans cette discussion, par le bais d’une résolution de son Secrétariat, déjà mise en ligne ici (« SYRIZA, l’anticapitalisme et nous »). Ci-dessous, un entretien avec un camarade de l'OKDE sur la question du "gouvernement de gauche". LCR-Web


Grèce : Vers un gouvernement de rupture ? Entretien avec Dimitris Hilaris *

Propos recueillis par Paolo Gilardi


A la veille des élections du 6 mai 2012, le ministre des finances d’Allemagne, Wolfgang Schäuble enjoignait les Grecs d’élire une majorité « qui respecte les engagements pris envers les créanciers internationaux par la coalition gouvernementale actuelle »[1]. Peine perdue, puisque plus de 65 % des Grecs ont voté contre les diktats de l’Union Européenne, de la Banque centrale européenne et du Fonds monétaire international. Une période nouvelle s’est ouverte en ce 6 mai à Athènes. Pour en parler, Dimitris Hilaris, de l’organisation OKDE-Spartakos, partie prenante de la coalition Antarsya.


L’Anticapitaliste : Dimitris, un premier bilan du vote du 6 mai ?

Dimitris Hilaris : Il faut relever trois faits marquants. D’abord, le résultat du 6 mai est un désaveu cinglant de la troïka. C’est un vote contre l’austérité qui nous est imposée, c’est l’aboutissement des mobilisations de ces mois. Ensuite, il faut souligner le fait que, pour la première fois depuis la chute de la dictature, ce n’est pas le Pasok qui fait le plein des voix des classes populaires, mais les forces à gauche de la social-démocratie. Syriza, la coalition de la gauche radicale, le parti communiste et la coalition de la gauche anticapitaliste, Antarsya, récoltent ensemble presque 30 % des voix. Si on leur ajoute les Verts, on frôle les 35%. Décidément, on assiste à un changement du comportement électoral des salariés.

Et le troisième fait marquant ?

Il découle de ce qui précède. C’est la polarisation de la vie politique, à gauche comme à droite. Au moment où les partis de l’austérité s’effondrent, c’est la gauche radicale qui polarise les débats d’un côté de l’échiquier, ce sont les nazis qui réussissent à droite…

Justement, ils ont fait 7 %. C’est énorme, non ?

7 % c’est seulement le parti de l’Aube dorée. Il faut additionner à leur résultat, ceux de deux autres petites formations d’extrême droite. Oui, il y a une gauche radicale qui émerge, mais aussi une droite radicale.

Les classes moyennes qui penchent pour les solutions autoritaires ?

A mon avis, la droite extrême a été votée par trois catégories : des étudiants qui ont été labourés par l’intervention de l’extrême droite dans les facultés, une partie de la droite « sociale » qui ne croit plus à la droite conservatrice asservie à la troïka et enfin des déçus du Pasok, mais aussi du parti communiste, le KKE, pour qui, le vote à l’extrême droite prend une logique anti-système. Ils ont été 500.000 à voter pour eux, mais ce n’est pas encore un électorat stabilisé, fidélisé.

Probablement que, lors des prochaines élections le 17 juin ils reculeront, mais c’est presque sûr qu’ils entreront au parlement, puisque 3 % leur suffisent.

D’aucuns ont tiré des parallèles entre la situation actuelle en Grèce et la République de Weimar qui fut le prélude à l’arrivée au pouvoir d’Hitler…

La comparaison doit être faite avec beaucoup de prudence. On ne sort tout de même pas aujourd’hui de presque cinq ans de guerre. Et nous n’avons pas, contrairement à l’Allemagne des années 1919 à 1923 une situation économique aussi désastreuse. Et, en plus, contrairement à l’époque, il n’y a pas en Grèce une activité des groupes paramilitaires comme elle existait en 1919, par exemple… Il y a une dynamique analogue, mais … prudence.

Et Syriza, la coalition de la gauche radicale, anti-libérale, fondée en 2004 ?

C’est le parti qui a su capitaliser la dynamique des mouvements en cours, qui a fait voler en éclats l’hégémonie du Pasok et du parti de la Nouvelle démocratie. Syriza a su être en phase avec les gens. Alors que le KKE faisait miroiter un paradis lointain et que nous, de la coalition Antarsya, restions largement propagandistes, Syriza a su donner une issue crédible à la situation, à travers du mot d’ordre d’un gouvernement de gauche. En même temps, ses réponses sont souvent confuses : mis sous pression, les dirigeants de Syriza font dans la cacophonie. Certains prétendent qu’ils aboliront unilatéralement la dette et les accords avec la troïka. D’autres, plus prudents, mettent aux commandes le maintien dans l’Europe. La situation est compliquée, mais il faut l’aborder sans sectarismes.

C’est-à-dire ?

Nous, coalition des forces anticapitalistes, devons participer à ce débat. Syriza, qui risque bien de se renforcer lors du scrutin du 17 juin, devra probablement s’allier à d’autres pour gouverner. Mais un fait est là, nouveau, l’hypothèse d’un gouvernement de gauche. Cette question doit descendre de la tête des partis au mouvement social.

Il y a deux conditions à la création d’un gouvernement de gauche : un programme politique de rupture avec la troïka qui annule la dette et les mémorandums, au risque de se faire exclure de l’Europe.

Et puis, le transfert du pouvoir vers le bas. Un gouvernement de gauche ne peut représenter les intérêts de celles et ceux d’en bas que dans la mesure où celles et ceux-ci ont du pouvoir. Il faut donc un transfert de compétences, de pouvoirs, vers les assemblées populaires. Ce serait la première tâche d’un gouvernement de gauche que de convoquer une Constituante nationale des assemblées populaires.

* Dimitris Hilaris est membre de la direction de l’OKDE-Spartakos (section grecque de la IVe Internationale) et du Comité international de la IVe Internationale. Cet entretien a été publié dans L’Anticapitaliste n° 70, journal de la Gauche anticapitaliste (Suisse).



[1] Celle du Pasok et de la Nouvelle démocratie.

Voir ci-dessus