Avant le second tour des présidentielles : ciel couvert sur la France
Par Mauro Gasparini le Dimanche, 06 Mai 2012 PDF Imprimer Envoyer

Le premier tour des élections présidentielles a donné son verdict. « Comme d'habitude », sommes-nous tentés d'écrire, les sondages n'ont pas donné le résultat définitif. Et malheureusement, c'est l'extrême-droite du Front National qui a fait mieux que prévu, contrairement à la gauche antilibérale et anticapitaliste. Seule lueur dans la grisaille : Sarkozy est en mauvaise position pour se faire réélire. Au vu de l'odeur pourrie de cette fin de campagne électorale, on aurait du mal à tenir une semaine de plus !

Un score historique pour l'extrême-droite qui vient de loin

Le fait marquant du premier tour aura été le score de Marine Le Pen, candidate du Front National, qui a fait plus de six millions de voix, soit une progression de 500000 voix par rapport aux scores historiques de 2002 réalisés par son père. C'est le résultat de 5 ans de discours et politiques racistes, sexistes et islamophobes, sous la houlette des gouvernements de Sarkozy, qui a promis dans sa campagne de diviser par deux l’immigration légale et d’organiser un référendum sur les expulsions de sans-papiers...Mais c'est aussi le fruit des cautions apportées par les médias et une certaine « gauche » qui sont tombés dans les pièges de l’extrême droite, en défense d'une conception étroite de la « laïcité », étiquette hypocrite reprise par tous les xénophobes aujourd'hui. Cela s'est encore concrétisé récemment par le vote en janvier 2012 de l'interdiction de la garde d'enfants à domicile pour les femmes portant le foulard, votée par la majorité PS au Sénat. Ces résultats du premier tour sont une victoire symbolique pour l'extrême-droite, qui améliore encore son audience et sa légitimité, et augmente ses possibilités futures de s'infiltrer dans l’appareil d’Etat.

Le FN peut compter sur un électorat dont l'implantation sociale est variée: des petits patrons aux professions libérales en passant par les franges de la classe ouvrière en voie de marginalisation, dans des régions touchées par la désindustrialisation et le chômage de masse. Sur le plan géographique, ce sont les petites villes et les quartiers en périphérie des grandes villes qui ont le plus voté pour le FN. Ce vote est donc fort dans les zones industrielles les plus marquées par la crise, particulièrement dans le nord-est de la France. Marine Le Pen est ainsi arrivée deuxième dans le Pas-de-Calais, avec 25, 5 % des voix (9% de mieux qu'en 2007 !). Dans ces départements ouvriers, le vote Sarkozy a par contre fortement baissé par rapport à 2007. S'il ne faut pas banaliser ou nier la progression de l'extrême-droite, son score important en apparence chez les ouvriers et les chômeurs est aussi le produit d'un effet d’optique lié à l’abstention : ils ne votent pas plus que les autres catégories sociales pour Le Pen, mais ils votent moins que la moyenne pour les autres candidats, et sont plus nombreux chez les abstentionnistes et les non-inscrits. L'électorat FN est également majoritairement masculin et presque entièrement blanc, qui ne se limite plus à un vote de protestation et adhère de plus en plus aux idées racistes défendus par ce parti.

La conscience de classe n'est pas un produit automatique de la crise capitaliste. Sans perspectives positives d'en sortir, la crise fermente la xénophobie et la frustration sociale (qui peut aussi se retourner contre les fonctionnaires). Des travailleurs se raccrochent à l'avantage de la couleur de leur peau (ou de leur soi-disant « civilisation ») quand leur condition sociale se détériore. Cette colère transformée en frustration peut alors devenir de la haine et irriguer les courants racistes et néofascistes, comme on l'observe notamment en Grèce et dans d'autres pays européens. C'est pourquoi l'antifascisme conséquent doit développer un discours anticapitaliste convaincant, certainement quand des partis qui se prétendent « socialistes » mènent des politiques antisociales. La lutte antiraciste et antifasciste est une tâche centrale pour les anticapitalistes, pour empêcher la division des classes populaires, qui affaiblit notre camp social face aux attaques néolibérales.

A droite : Sarkozy plagie les fascistes, Bayrou recule et l'UMP menace d'imploser

Les sondages ne se sont pas trompés sur un point : Sarkozy est en position défavorable avant le deuxième tour de l'élection présidentielle. Il n'a pas pu réussir une deuxième fois le tour de 2007, quand sa campagne déjà marquée très à droite lui avait permis de siphonner les voix frontistes. Cette fois, les électeurs ont préféré l'original à la copie. Mal parti pour le 6 mai, Sarkozy a été jusqu'à plagier le FN dans les deux dernières semaines de campagne, allant de provocation en provocation, dans l'espoir de récupérer l'électorat de Le Pen. En prônant la défense des « frontières » contre « l'Europe passoire » (sic), de « l'Identité nationale », en défendant ces « français qui ne manifestent pas, ne protestent pas, ne cassent pas », puis en appelant pour le 1er Mai à un rassemblement à Paris pour le « vrai travail », dans une référence à peine voilée à Pétain, avant de dire qu'il y aurait « trop d'immigrés en France », Sarkozy a franchi toutes les barrières qui restaient entre la droite et l'extrême-droite. De même, il a utilisé le même type de discours face à François Hollande, prétendant que 700 mosquées auraient appelé à soutenir le candidat du PS.

Cette campagne menée à la droite de la droite a aussi commencé à fissurer l'UMP, le parti de Sarkozy. Ainsi, les anciens premiers ministres de Jacques Chirac (qui soutient...François Hollande), Raffarin et Villepin, ont vivement critiqué la tonalité des discours de Sarkozy. D'anciens sarkozystes comme Fadela Amara soutiennent également Hollande. Le centrisme de François Bayrou n'a eu que 9% des votes (soit la moitié de son score de 2007) et subit la polarisation consécutive à la crise économique et sociale, mais ces 9% pèseront au second tour...et il a lui aussi appelé à voter Hollande. L'UMP est donc tiraillé entre une aile très à droite qui voudrait une collaboration poussée avec le FN et une aile qui veut revenir à des discours de la droite gaulliste classique. Ces tensions pourraient augmenter après la probable défaite du président sortant, a fortiori si le FN reste aussi haut aux législatives et tend la main aux UMPistes déçus.

Le PS au second tour malgré lui

François Hollande a réussi la première étape, puisque c'est la première fois que le président sortant est deuxième lors du premier tour. Selon les sondages de sortie des urnes, il aurait eu ses meilleurs résultats dans les couches supérieures du salariat (34% chez les diplômés de l’enseignement supérieur) et ses moins bons chez les non-diplômés (21 %). Hollande a terminé sa campagne en maintenant un discours assez vide, laissant la porte ouverte à l'austérité de gauche qu'il ne manquera pas de mettre en œuvre une fois élu. Il a même un peu droitisé lui aussi sa fin de campagne, en mettant en avant la mise en place de quotas d'immigration de travail, le maintien des centres de rétention et des déportations d'immigrés, l'accélération de l'examen des demandes de régularisation. Seul point positif, il n'a pas abandonné l'octroi du droit de vote aux étrangers aux élections locales. Sa campagne social-libérale, sans promesses et sans espoir, ne mobilise pas la population. C'est aussi ce qui explique que malgré qu'il bénéficie de l'immense rejet de Nicolas Sarkozy dans la population et du soutien de quasiment tout l'espace politique du centre à la gauche radicale, il n'ait qu'une maigre avance dans les sondages. Hollande aura du mal à gouverner « tranquillement » sans renforcer ses liens avec les directions syndicales et avec une partie au moins du Front de Gauche. Le bulletin de vote Hollande reste la seule possibilité pour se débarrasser de Sarkozy et mettre le mouvement social et syndical dans des conditions moins défavorables à court terme. Quoi qu'il en soit du résultat ce dimanche 6 mai, il faudra préparer dès le lendemain la riposte sociale à l'austérité.

Le Front de Gauche : un succès ambivalent et des ambigüités persistantes

A la gauche du PS, le Front de Gauche a réussi à émerger avec 11,1% des voix, mais il n'est pas parvenu aux objectifs de son candidat Jean-Luc Mélenchon, qui souhaitait passer devant Hollande (sic), ou au minimum devant Marine Le Pen. La dynamique de sa campagne, dont on a souligné tant l'aspect positif que les contradictions (mobilisation de la population sur les places, pour appeler aux urnes sans appeler aux luttes sociales), n'aura donc pas permis la  "révolution par les urnes" fantasmée. Autre paradoxe de la campagne du Front de Gauche : celui-ci a mené « de front » la bataille contre le FN, tout en ayant à certains moments un discours aux accents protectionnistes, laïcards et patriotiques, saupoudrés de références à l'influence de la France dans le monde (cautionnant en partie l'impérialisme et le colonialisme dans les DOM-TOM), qui déforcent ce combat. Le NPA a contacté toutes les forces sociales et politiques de gauche pour mobiliser contre le meeting final du FN à Paris avant le premier tour, sans réponse du Front de Gauche. Et celui-ci refuse de réponse à ce stade-ci à la proposition du NPA de regrouper les forces anti-austérité pour préparer la riposte sociale.

Le PCF se réjouit de stopper son hémorragie des dernières décennies et Mélenchon ambitionne maintenant de devenir président en 2017. Il a d'ores et déjà réussi à agréger la grande majorité des votes à gauche du PS et des Verts, en incarnant le « vote utile » de la gauche radicale. Le vote de la gauche radicale revient donc à son niveau de 2002, mais avec un déplacement de l'équilibre en faveur des antilibéraux au détriment des anticapitalistes. Le problème de ce score est qu'il ne permet pas de garantir des résultats suffisants aux législatives pour faire décrocher réellement le PCF du PS (dont les communistes ont besoin pour maintenir leurs élus). Or le Front de Gauche maintient son ambigüité et le « suspense » quant à sa future collaboration (et la forme qu'elle pourrait prendre) avec le PS. Mélenchon est d'ailleurs très peu critique sur le PS dans l'entre-deux- tours. La décision finale de toutes les composantes du Front de Gauche d'ici quelques semaines (après les législatives) aura une importance capitale dans l'optique de l'élaboration d'un bloc social et politique anti-austérité en France.

De maigres résultats pour un NPA qui se cherche encore

Le résultat de nos camarades du NPA, 411 183 voix (1,15 %) est maigre, malgré une toute fin de campagne réussie dans les médias et sur le terrain, avec de gros meetings comme à Toulouse, et un élan de sympathie indéniable autour du candidat Philippe Poutou. Sa campagne a en effet pâti de plusieurs difficultés internes et externes. Sur le plan externe, la défaite des luttes sociales en 2010 puis leur baisse d'intensité, la pression sur le vote utile à gauche et même à la gauche de la gauche (les défaites sociales rendent séduisante l'idée d'un sauveur suprême), l'ignorance et le mépris des médias qu'a subi Poutou ont joué un rôle non-négligeable dans ce score. Au niveau du NPA lui-même, ses divisions perpétuelles depuis sa naissance, aggravées par les conditions dans lesquelles s'est fait le choix du candidat (proposé en dernière minute et approuvé à une très courte majorité par le Conseil politique national du NPA) puis par des ralliements de certaines figures du NPA au FDG (annoncés et relayés complaisamment dans les médias), le fait que le candidat était beaucoup moins populaire que Besancenot au départ et très peu préparé à l'exercice d'une campagne présidentielle, ont aussi déforcé la campagne.

Il était important que le NPA puisse présenter une alternative anticapitaliste lors de ces élections, ce qu'il a fait, sans rien lâcher sur le fait que les luttes sociales d'ampleur sont vitales pour que cette alternative puisse prendre devenir réalité, ni sur l'indépendance vis-à-vis du PS et la nécessité d'un troisième tour social. Mais le style de la campagne n'a sans doute parfois pas été optimal. Le fait que Philippe Poutou soit « un ouvrier », a sans doute été un peu trop mis en avant, ce qui a pu parfois laisser penser que sa campagne s'adressait plus à la classe ouvrière dans le sens étroit du terme, ce qui n'était pourtant pas le cas. Au-delà de ça, la campagne du NPA n'a pas hésité à utiliser l'humour, ce qui est très positif, mais d'un autre côté le discours sur la violence sociale du système a parfois été avancé par Philippe Poutou sur un ton très léger et donc paradoxal. Et il n'a pas toujours donné l'impression de croire un minimum en sa candidature, se laissant peut-être trop influencer par les journalistes qui voulaient le réduire à ce rôle du « gars qui est là un peu par erreur ». Nous devons saluer le courage de Philippe Poutou qui a tout appris sur le tas, tout en apprenant au maximum de cette campagne pour le futur.

Au premier Mai, 289 manifestations ont connu une forte participation, avec une tonalité très politique. Les enjeux sont clairs à la veille du deuxième tour:  la réélection de Sarkozy renforcerait encore la xénophobie d'Etat, extrêmement dangereuse pour le mouvement ouvrier, et garantirait une aggravation des attaques antisociales. Il convient de travailler dès demain à réunir en France un front social et politique contre l'austérité quel que soit le nouveau président, et à redynamiser le courant anticapitaliste, indépendant des collaboration de classes. Des processus de recomposition peuvent advenir dans tout le spectre politique français, de l'extrême-droite aux anticapitalistes. Les anticapitalistes ont encore énormément de travail devant eux, là-bas comme ici. Et ce dimanche 6 mai, on vote aussi en Grèce, des surprises, bonnes ou mauvaises, risquent fort là aussi d'être au rendez-vous...

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