Elections présidentielles en France : les gauches aux prises avec les institutions
Par Mauro Gasparini le Mardi, 17 Avril 2012 PDF Imprimer Envoyer

A l'heure d'écrire ces lignes, nous sommes à moins de deux semaines du premier tour des élections présidentielles françaises. Ces élections particulières constituent un épisode politique majeur en France, mais aussi, indirectement, pour l'évolution des rapports de forces en Europe. Après cinq années de pouvoir sarkozyste, la gauche dans ses diverses composantes se voit confrontée aux questions de tactique électorale, ce qui provoque des débats intenses chez les anticapitalistes.

Bientôt cinq ans. Cinq années de présidence pour Nicolas Sarkozy et son gouvernement de droite dure qui auront vu se succéder les discours sécuritaires, racistes (comme à Dakar), les politiques xénophobes (sur les Roms, les sans-papiers, les réfugiés tunisiens) et islamophobes (avec l’interdiction de la « burqa », la polémique sur le halal), autant que les scandales financiers (affaire Bettencourt). Cinq années où Sarkozy et son gouvernement ont gesticulé dans les médias en parlant des « patrons-voyous », crise du capitalisme oblige, tout en octroyant de nouveaux cadeaux fiscaux aux plus riches, avec la diminution de l’impôt sur les grandes fortunes. Nicolas Sarkozy a continué les réformes néolibérales et sécuritaires de ses prédécesseurs en les aggravant : il a réussi en 2010 à faire passer la contre-réforme qui augmente l'âge minimal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, et de 65 à 67 ans pour la retraite à taux plein, malgré une lutte massive de la population et de la jeunesse. Il a également mis en place l’autonomie de gestion des universités qui renforce leur marchandisation et leur privatisation, en dépit là aussi de mouvements de résistance importants des étudiant-e-s, des enseignants et des chercheurs. Un service minimum a été imposé dans les transports publics, dans les transports aériens et à l’école. 150000 postes de fonctionnaires ont été supprimés, ce qui fait de l’Etat français le plus gros licencieur du pays ! Le Revenu de « solidarité » active (RSA) a été créé, quisubventionne la précarité en incitant financièrement les bénéficiaires à accepter des emplois à moins de 900 euros par mois.

Et la liste des méfaits est encore longue : citons la défiscalisation des heures supplémentaires, la toute récente hausse de la TVA de 19,6 à 21,2%, la création de Pôle emploi qui facilite la chasse aux chômeurs, la défense des intérêts des banques françaises contre le peuple grec, le traité de Lisbonne suivi du projet de nouveau traité d’austérité qui obligera les pays signataires à avoir un budget à l’équilibre, la privatisation de la Poste, la baisse des budgets de la justice et des hôpitaux publics, la fermeture de maternités et de centres IVG, les franchises médicales, la casse de la médecine du travail... Tout ça accompagné d'un durcissement de la répression avec les peines incompressibles, l’alignement de la France sur l’impérialisme nord-américain et la guerre en Lybie, sans oublier la perpétuation de la Françafrique, par exemple en Côte d’Ivoire. De 2010 à 2011, selon le baromètre Forbes, le nombre des milliardaires français en dollars a augmenté de 16,7% - alors que la France compte 8 millions de pauvres !

C’est dire si la réélection de Sarkozy et la victoire de la droite, après tant d’années, seraient une vraie gifle pour celles et ceux qui luttent en France, et ouvrirait un boulevard pour une politique encore plus réactionnaire. Sarkozy défend déjà dans sa campagne l’imposition de travail forcé aux bénéficiaires du RSA, un référendum contre les chômeurs et un autre sur l’expulsion des étrangers. Il cherche à nouveau à récupérer les voix de Marine Le Pen pour avoir une chance de battre Hollande. Manque de bol : malgré le drame de Toulouse et la surenchère sécuritaire et raciste qui s'en est suivi, un sondage des Echos du 28 mars montre que la préoccupation sociale, l'emploi, les salaires, restent au coeur de la campagne électorale, bien loin devant l'insécurité ou l'immigration.

Hollande ou la gauche libérale

Face à cette droite ultra, le candidat du PS, François Hollande annonce la réduction de 30 % du traitement des ministres et du président, un blocage du prix de l’essence pour trois mois et une hausse de 25 % de l’allocation de rentrée scolaire. Pas un mot sur le salaire minimum ! Il prévoit de « compléter et modifier » le nouveau traité européen, préparant déjà sa capitulation devant le dogme de l’austérité. Pour les étrangers, le PS ne dit rien non plus sur l’abrogation de l’arsenal raciste et sécuritaire élaboré depuis cinq ans. Hollande défend le droit de partir à la retraite à 60 ans pour les personnes qui ont commencé à travailler tôt, et ne revient pas sur le fond des récentes réformes contre le droit à la retraite. Il propose 60 000 emplois dans l’Education...en allant les chercher dans d'autres services publics ! Quand on voit ce que font les socialistes en Grèce, en Espagne, au Portugal ou… en Belgique, il n'y a aucun doute que le PS va également mener une politique d’austérité. Malgré l’échec patent du sarkozysme, François Hollande, le probable futur président, tient un discours tellement faible qu’il suscite très peu d’enthousiasme. Le PS tente de démoraliser la population pour limiter la contestation après sa victoire et pouvoir appliquer la « rigueur » tranquillement.

La « dynamique Mélenchon » et l’illusion de la révolution par les urnes

Nous ne nous attarderons pas sur tou-te-s les candidat-e-s, de Marine Le Pen qui tente de donner une image « respectable » des idées racistes et sexistes, au centriste François Bayrou. A gauche, restent l’orthodoxe et solitaire Nathalie Arthaud de Lutte ouvrière, Eva Joly pour les Verts (englués dans leur alliance avec le PS), Philippe Poutou pour le Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA, voir encadré), et celui qui a incontestablement réussi sa campagne : Jean-Luc Mélenchon, candidat du Front de Gauche, qui regroupe le Parti Communiste, le Parti de Gauche (scission du PS) et la Gauche unitaire. Mélenchon est un politicien de carrière depuis des décennies, il a même été ministre dans le gouvernement Jospin, ce gouvernement qui a plus privatisé que tous les gouvernements avant lui et a lancé la France dans la guerre en Afghanistan. Plus récemment, il a aussi soutenu la guerre impérialiste en Lybie en 2011, et loué les qualités d'Eric Zemmour, « grand intellectuel » selon lui, chroniqueur sexiste et islamophobe en réalité, et Serge Dassault, « grand industriel » dixit Mélenchon à propos de ce milliardaire marchand d'armes qui possède de nombreux médias. Il a aussi défendu la politique criminelle de la Chine au Tibet et le défilé militaire du 14 juillet.

Le tribun Mélenchon parvient dans cette campagne à défendre de manière décomplexée un programme réformiste de gauche, anti-austérité, mêlée de l'idéologie républicaine, « patriotique » et laïcarde, tout en ayant pour lui l’image de l'unité de la gauche de gauche, qui rejoint les aspirations de franges significatives du mouvement social et syndical. Il mobilise dans sa campagne des dizaines de milliers de personnes qui assistent à ses meetings, dans les grandes villes de France, qui en ont assez de la droite et veulent de réels progrès sociaux. Avec des sondages le créditant de 15% d'intentions de vote, il s'est profilé comme le vote « utile » à gauche du PS. Mais les difficultés pourraient encore arriver pour le Front de Gauche (FdG) : si son succès le pousse à mettre des distances avec le PS, Mélenchon sait que le PC a besoin du PS pour faire réélire ses députés. Le FdG va donc être tiraillé entre alliance électorale avec le PS et bloc anti-austérité pour les élections législatives de juin. Mélenchon ne s'engage donc pas au nom du Front de Gauche sur la question des alliances avec le PS. Il dit ainsi que « lui-même » ne sera pas dans un gouvernement Hollande, tandis que le PS et le Front de Gauche mènent déjà depuis plusieurs années des politiques libérales dans leurs coalitions au niveau local et régional. Au-delà de cette question, fondamentale, de l'indépendance par rapport à des partis sociaux-libéraux qui mènent la gauche et les luttes à la défaite, la campagne de Mélenchon contient d'autres aspects problématiques : il défend la fiction de la révolution « par les urnes » (aucune révolution n'a jamais eu lieu au Parlement), avec un programme plus modéré que celui de Mitterrand en 1981 et un PS nettement plus à droite, que le FdG prétend naïvement pouvoir dominer dans une coalition de gauche. Il canalise ainsi la révolte dans les isoloirs de la démocratie libérale, comme il l'a fait au moment de la lutte contre la réforme des retraites en 2010, quand il proposait un référendum alors que la priorité était d'appeler à continuer et durcir la mobilisation dans les entreprises et dans la rue.

NPA : un candidat issu de la classe ouvrière, dans un parti divisé

Dans ce contexte de montée d'un nouveau réformisme, la candidature de Philippe Poutou du NPA a du mal à réellement percer. Poutou, ouvrier syndicaliste qui a mené une lutte victorieuse en sauvant des centaines d'emplois à l'usine Ford de Blanquefort en Gironde, est arrivé comme un cheveu dans la soupe des médias dominants. Son langage direct, son humilité et son auto-dérision ont été raillés par les journalistes du Gotha. Certes, porter dans les médias dominants une candidature présidentielle qui explique que la seule solution ne viendra pas du président, mais bien du soulèvement des opprimé-e-s et exploité-e-s eux-mêmes, peut apparaître à première vue comme paradoxal, d'autant que Poutou reconnaît lui-même le paradoxe. Les journalistes prétendent alors, sondages à l'appui, que sa candidature « ne sert à rien » et qu'il n'y « croit d'ailleurs pas lui-même ». Sa candidature a pourtant bel et bien une raison d'être, et il y croit : il est là pour encourager celles et ceux qui luttent à continuer, et pour proposer un programme d'urgence anticapitaliste et cohérent. Le NPA est le seul à exiger la socialisation (nationalisation sous contrôle des travailleurs) du système bancaire et du secteur énergétique, la sortie rapide du nucléaire (le Front de Gauche souhaite... un référendum sur la question), une forte hausse des salaires et minimas sociaux, et l'interdiction des licenciements. Pourtant, le succès du Front de Gauche exerce une forte pression en interne sur le NPA : le parti est divisé, et sa minorité, la Gauche anticapitaliste, ne mène pas campagne pour Poutou. Certains appellent même à voter Mélenchon et sapent donc le travail des militant-e-s NPA. Le NPA, affaibli, ne parvient donc toujours pas à dépasser des désaccords qui se cristallisent depuis des années sur les questions d’alliances électorales.

Le troisième tour social et l'avenir de l'anticapitalisme

Le Front de Gauche, on l'a dit, porte une réelle dynamique dans cette campagne. Mais par son discours de changement par les urnes, Mélenchon éloigne les volontés qui s’expriment dans ses meetings de l'élaboration d’une alternative à l'intérieur même du mouvement social, dont les Indigné-e-s espagnols ou encore Occupy aux USA montrent le potentiel. Ce n'est sans doute pas un hasard si la veille du rassemblement à la Bastille, le Front de Gauche était absent de la manifestation unitaire à Paris, contre le racisme et le colonialisme. Le terrain électoral et institutionnel n'est pas le plus favorable pour les révolutionnaires, contrairement aux luttes sociales concrètes, et la « révolution par les urnes » peut sembler une échappatoire séduisante, particulièrement en période de défaites sociales. Pourtant, ce n'est qu'en remettant réellement le pouvoir aux mains de la majorité sociale et pas au "sauveur suprême », qu'on pourra briser la dictature du capital. Le prochain gouvernement français va mener une politique d'austérité, semblable à celle menée dans le sud de l'Europe. Les capitalistes, les « marchés financiers », l'UE et le FMI à leur service, vont mettre la pression dans ce sens. A très court terme, il est impératif de faire dégager la droite radicale de Sarkozy et sa clique. Mais l'urgence est de réunir le plus rapidement possible celles et ceux qui s'opposent à l'austérité dans un bloc de résistance : les milliers de militant-e-s du mouvement social et syndical, les participant-e-s aux meetings de Mélenchon, les forces politiques de gauche qui ne soutiendront pas le gouvernement Hollande. Le troisième tour des élections, ce sera le duel entre le capital et les 99% de la population qu'il veut attaquer. Les forces anticapitalistes, dont le NPA, auront un rôle important à y jouer.

Article à paraître dans La Gauche n° 57

 

 

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