« Poutine – démission! »
Par LCR-Web le Jeudi, 15 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le Président Dmitri Medvedev, le Premier ministre Vladimir Poutine et leurs acolytes  du parti Russie Unie  n'ont plus la cote en Russie depuis quelques temps. Suite à l'annonce du résultat des élections législatives de ce 4 décembre, remportées haut la main par Russie Unie (238 sièges sur 450 contre 315 en 2007), des milliers de personnes sont descendues dans la rue pour crier leur colère et dénoncer une fraude massive.

Alors que certains y voient déjà une sorte de contagion du «printemps arabe» cette agitation laisse entrevoir une longue période de manipulations politiques, de contestation et de répression d'ici aux élections présidentielles de mars 2012.

La crise de légitimité sans précédent à laquelle font désormais face le Président Medvedev et toute son équipe n'empêche toutefois pas ce dernier d'être reçu en grande pompe par les dirigeants européens dans le cadre de sa tournée du mois de décembre. Après une visite en Tchéquie où des contrats russo-tchèques ont été signés pour une valeur totale de 2,15 millions d'euros, Dmitri Medvedev est venu le 15 décembre à Bruxelles pour un sommet Russie-UE. Accueilli à bras ouverts par José Barroso et Herman Van Rompuy, Medvedev a déclaré que «la Russie était prête à investir dans la zone euro». En échange de quoi à votre avis ? D’avoir l’aval des autorités européennes pour cautionner les élections truquées ?

Nous publions ci-dessous deux articles : de notre correspondant à Moscou, militant du RSD (Mouvement socialiste de Russie) ainsi de Carine Clément, sociologue et directrice de l’Institut de l’Action Collective (IKD).

LCR-Web


 


10 décembre : Une nouvelle page de l’histoire de Russie

Ce samedi 10 décembre était vraiment un jour historique pour la société russe. Selon différentes estimations, le meeting qui s’est tenu à Moscou a réuni entre 50.000 et 80.000 personnes: il s’agit de la plus ample action de protestation menée en pleine rue depuis le début des années 1990. Le même jour, des actions similaires ont rassemblé des milliers de personnes dans toutes les grandes villes de Russie. Le mouvement a même atteint l’Europe occidentale, où les diasporas russes ont organisé des piquets aux portes de leurs ambassades.

Il y a encore une semaine, le régime en place n’aurait pu imaginer qu’il devrait faire face à de sérieux problèmes. La campagne électorale  pour les élections à la Douma d’Etat (élections législatives)  s’est déroulée selon des règles aujourd’hui bien connues de tous: celles de la «démocratie dirigée», modèle politique autoritaire dont les fondements ont été posés par le Président Eltsine dès 1993, lors de l’adoption de l’actuelle Constitution. On aurait pu croire qu’au cours de la dernière décennie, Vladimir Poutine et ses acolytes avaient réussi à faire de la politique un jeu rebutant dont la quasi-totalité de la population se sent complètement étrangère. À peine 7 partis non reconnus se sont battus pour obtenir leur place au Parlement, mais il était couru d’avance que la plus grosse part du gâteau reviendrait à Russie Unie,  parti qui monopolise tant les structures étatiques que celles des grosses entreprises capitalistes du pays. Afin d’assurer la victoire à ce monstre bureaucratique dont la popularité est en chute libre, des milliers (voire, des millions!) de fonctionnaires ont été mobilisés. On a eu recours à tous les mécanismes de manipulation du scrutin et du travail de la commission électorale envisageables. Le mécontentement croissant vis-à-vis du pouvoir s’est exprimé par un vote massif pour les partis reconnus ayant une position critique à l’égard de Russie UnieDes millions d’électeurs ont appliqué le principe de voter «pour n’importe quel parti, mais pas pour Russie Unie». Ils ont ainsi accordé leurs voix au Parti communiste et au parti de centre-gauche Russie Juste. Le matin du 5 décembre, lorsque les résultats des élections ont été annoncés, le pays s’est indigné: Russie Unie a remporté 50% des voix, et cela alors que sa cote de popularité réelle se réduit comme une peau de chagrin, et qu’au sein de la population cette structure est connue comme «le parti des escrocs et des voleurs». Les rapports publiés par des observateurs issus de l’opposition ont révélé que près d’un quart des bulletins ont été manipulé au profit du parti au pouvoir!

Les Russes ont le sentiment d’avoir été personnellement injurié-e-s et bafoué-e-s, ce qui vient s’ajouter aux conséquences de la crise économique de plus en plus évidentes, à la pauvreté patente et à la privatisation du secteur social. Le 5 décembre, plus de 7.000 personnes se sont rendues au meeting organisé à Moscou par les groupements politiques prônant la démocratisation. La revendication «des élections justes!» a vite cédé la place au slogan «Poutine - démission!», et à la fin du meeting des affrontements violents ont eu lieu entre la police et les participants. En quelques jours, la contestation a pris de l’ampleur et la jeunesse organisée au travers des réseaux sociaux a tenté de mener des actions non autorisées dans le centre ville; celles-ci ont été suivies de près et sauvagement dispersées par la police. Vendredi9 décembre, près de 1.000 personnes ont été arrêtées au cours de telles actions à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Finalement, le samedi 10 décembre, le degré de mécontentement a atteint son plus haut point.

 Ce qu’il s’est passé ce jour-là peut d’ores et déjà être considéré comme un point de rupture dans l’histoire de la Russie moderne. Pour la première fois depuis le début des années 1990, des millions de personnes ont été les acteurs d’une politique vivante, qui a eu pour scène la rue. On peut déjà observer dans ce mouvement une lutte d’idées et d’alternatives qui se joue entre trois forces : les démocrates, les militants de la gauche radicale et les nationalistes. Cette lutte d’idée a pour toile de fond une tâche que tous se sont assignés: le démantèlement du système Poutine et le rétablissement des libertés politiques élémentaires.

Les perspectives de ce mouvement balbutiant sont incertaines. Mais, quoi  qu’il en soit, rien n’est plus comme avant. Nous entrons dans une nouvelle période de l’histoire où la gauche anticapitaliste aura un plus grand rôle à jouer que par le pass

A Moscou, correspondant du RSD (Mouvement socialiste de Russie)

Traduction française pour La Gauche : Matilde Dugauquier



La Russie des indignés

Les élections en Russie se sont passées comme d’habitude, avec des falsifications massives et la pression des pouvoirs pour assurer la victoire du parti du pouvoir «Russie Unie».

Ce qui change, c’est l’ampleur des protestations contre ces falsifications. Cette fois, une grande partie de la population se lève pour témoigner: «Nous n’avons pas voté pour vous!» Les chiffres signifient peu de chose (rappelons-les quand même: 49,54% pour  «Russie Unie», 19,16% pour le Parti communiste, 13,22% pour «Russie Juste» et 11,66% pour le parti du nationaliste démagogique Jirinovski). Le parti du pouvoir a donc perdu la majorité constitutionnelle à la Douma et est passé sous la barre des 50%.

Mais pour une grande partie des commentateurs, ce chiffre surévalue le réel score de «Russie Unie» de 10 à 15%. Et, de toute façon, c’est un résultat purement «dessiné», comme disent les Russes. Il résulte d’une concession faite au mécontentement croissant d’une grande partie de la population envers le «Parti des escrocs et des voleurs» (ainsi qu’est couramment désigné le parti au pouvoir, formule inventée et popularisée par le bloggeur Alexeï Nabalny).

En effet, au début de la campagne, les gouverneurs régionaux recevaient du Centre fédéral des objectifs de l’ordre de 60-70% des voix. Manque de bol, ce geste du prince n’a pas suffi à calmer la colère, au contraire. Dès le lendemain des élections, presque 10’000 personnes étaient dans la rue à manifester à Moscou, un peu moins à Saint-Pétersbourg. Plus de 300 personnes ont été arrêtées à Moscou, autour de 200 à Saint-Pétersbourg. Ce qui n’a pas empêché les mobilisations de continuer les jours suivants, ainsi que les arrestations. [Le samedi 10 décembre la manifestation,  à Moscou, a été d’une ampleur sans précédent. Selon la correspondante de RFI, Anastasia Becchio: «Un policier qui écoute les discours résume la situation: « On va pouvoir mettre une croix sur nos vacances du nouvel an.» Réd.]

Comment expliquer ce revirement de situation, alors que la majorité des électeurs et électrices, depuis un certain temps, s’étaient habitués à ce que leurs voix ne vaillent pas grand-chose? Qui sont ces gens qui sortent dans la rue malgré la menace des arrestations?

La mobilisation résulte en grande partie de l’impopularité croissante du parti au pouvoir, non seulement du fait de sa politique antisociale, mais également et surtout à cause de l’arrogance de ses représentants, de leur mépris pour les simples citoyens, de leur corruption et appât du gain.

Le slogan le plus populaire pendant la campagne électorale, en tout cas parmi ceux qui s’intéressent un tant soit peu à la politique était «Votez pour n’importe quel parti, sauf celui des escrocs et des voleurs!». Et l’espoir était né, d’arriver à faire la nique à ce parti de bureaucrates et dirigeants présomptueux qui se croient tout permis.

Beaucoup plus que lors des précédentes élections, les simples citoyens se sont mobilisés pour être observateurs lors des élections, pour l’un ou l’autre parti d’opposition ou même de façon indépendante (une campagne pour inciter les gens à se porter volontaires pour être observateur a été menée, entre autres, par l’association «GOLOS», dénoncée par le pouvoir pour être à la solde de «puissances étrangères»).

Et une chose est d’entendre vaguement parler de fraudes, une autre est de se faire éjecter manu militari d’un bureau de vote parce qu’on est trop gênant, d’assister à des bourrages d’urnes, de voir arriver des bus entiers de votants étroitement encadrés, d’avoir un protocole dans les mains et de retrouver des chiffres complètement différents sur le site officiel de la Commission électorale centrale ou régionale. Internet regorge de vidéos et de témoignages indignés publiés par ces observateurs. C’est personnel, c’est ahurissant, ça choque!

Beaucoup parmi ces observateurs sont descendus dans la rue, beaucoup de leurs amis, collègues, parents. Et puis tous ceux et celles qui s’activent dans les réseaux sociaux du Net, et tous ceux, déçus, qui s’attendaient à une défaite plus marquée de Russie Unie. Beaucoup de jeunes, beaucoup plus irrévérencieux que leurs aînés, qui amènent un nouveau style, un autre rapport à l’autorité.

Enormément de gens nouveaux, qui n’avaient jamais jusque-là mis le pied dans une quelconque manif. Et certains, parmi ces novices, se sont, dès la première fois, retrouvés au poste de police, à attendre le jugement jusqu’à 48 heures, dans des commissariats absolument pas préparés à détenir tant de monde, entassés les uns sur les autres, sans nourriture. Pour finalement se voir condamner à des peines allant jusqu’à 15 jours de détention!

Eh bien, à en juger par les témoignages qui percent les murs de la prison, au lieu d’être intimidés et de faire amende honorable, ces «novices» entament des grèves de la faim et se radicalisent. Ou bien reprennent le chemin de la rue une fois libérés.

Indignation devant les falsifications, la brutalité et le cynisme dans les fraudes, colère d’avoir été dessaisi de sa voix, solidarité avec ceux qui ont été injustement arrêtés pour avoir simplement voulu manifester pacifiquement leur rejet d’élections truquées – voilà les ingrédients de la mobilisation qui fait désormais boule de neige.

Avec, en plus, l’appui de faiseurs d’opinion populaires dans leur domaine. Parmi eux, il y a de tout: des journalistes, des chanteurs et autres artistes, des chroniqueurs (y compris mondains). C’est aussi un signe, quand ces gens se mettent ouvertement à critiquer: la protestation de rue deviendrait-elle à la mode? Elle était jusque-là le monopole des «ratés» ou des «idiots».

D’autant plus que, pour une fois (ce n’était pas arrivé depuis la Perestroïka), les événements se passent dans la capitale, c’est Moscou, la bourgeoise repue, l’intellectuelle, la privilégiée, qui montre l’exemple. Les médias ne peuvent ignorer des manifestations aussi massives à Moscou (à part les deux chaînes de télévision officielles); le pays tout entier suit attentivement ce qui s’y passe, et embraie. Le 10 décembre [article écrit le 9 décembre 2011] une journée nationale de protestation contre les falsifications se prépare un peu partout dans le pays.

Les partis d’opposition parlementaires jouent les seconds rôles, empruntent le train en marche (et encore, pas tous et pas dans toutes les régions, et dans des mesures plus ou moins importantes). Les gens s’organisent en premier lieu par eux-mêmes, au travers des réseaux sociaux et le Net. Ou bien utilisent des évènements organisés par les partis politiques, mais pour s’en saisir complètement.

Un mot en particulier sur la droite libérale (les Boris Nemtsov, Ilia Iachine ou Garry Kasparov présentés par la presse française comme les figures de proue de la mobilisation). Premièrement, la mobilisation est complètement spontanée et «grass root » [venant d’en bas, du terrain], sans leaders reconnus, et surtout sans affiliation partisane, ni envers les partis de l’opposition systémique (représentés à la Douma fédérale), ni envers ceux de l’opposition non systémique.

Tout au plus peut-on parler de sympathies pour tel ou tel leader d’opinion (notamment le bloggeur déjà cité Navalny). Mais aucun parti, aucun mouvement – politique ou social – ne peut se vanter d’organiser le mouvement de colère actuel, encore moins de le représenter. Or c’est justement ce que s’activent à faire, en premier lieu, les vedettes du show-politique citées plus haut, qui dirigent des organisations anti-Poutine du type «Autre Russie» ou Solidarnost. En faire les fers de lance de la mobilisation actuelle en Russie, c’est se tromper lourdement, c’est confondre la «Révolution orange» d’Ukraine avec le mouvement de révolte spontané, largement auto-organisé et repoussant toute instrumentalisation (les gens veulent justement se réapproprier leur voix!) qui se développe actuellement en Russie.

Pour preuve de la piété démocratique de Nemtsov, par exemple, il suffit de citer le dernier scandale en date: dans la nuit du 8 au 9 décembre, dans le dos des organisateurs officiels, Nemtsov s’est accordé avec la Mairie de Moscou pour déplacer le grand rassemblement du 10 décembre de la Place de la Révolution à la Place «Bolotnaïa» (qui porte bien son nom «marécageuse») – sans consulter personne parmi les personnes clés de la mobilisation, et alors que l’un des organisateurs officiels, Sergueï Udaltsov (Front de gauche), gisait sur un lit d’hôpital, après une grève de la faim entamée en prison. Et qu’une personne phare, symboliquement pour le mouvement, Alexeï Navalny, cuvait sa peine de prison de 15 jours, consécutive à la manifestation du 5 décembre à Moscou.

Autre caractéristique à noter: la présence plutôt timide des mouvements sociaux, et a fortiori des syndicats. Ici joue la crainte de s’engager dans un combat trop clairement politique et le manque de souplesse de ces mouvements pour s’ouvrir à des causes non directement liées à leur objet premier de lutte.

Mais si les mouvements sociaux participent peu en tant que tels, la plupart de leurs militants sont sur le terrain. A Moscou, par exemple, Evgenia Tchirikova, leader du mouvement de défense de la forêt de Khimki (banlieue de Moscou) et star montante des nouveaux mouvements sociaux, fait partie des figures emblématiques de la mobilisation dans la capitale [voir l’article sur ce site: «La bataille de Khimki»].

Bref, c’est une atmosphère de démocratie de rue qui se met en place, assez étrangère à la Russie post-soviétique jusque-là. Le réveil de ceux qui refusent de se faire manipuler sans donner de la voix. Un grand test pour la durabilité et les perspectives de ce mouvement aura lieu demain, 10 décembre, lors de la journée nationale de protestation. (9 décembre 2011)

Par Carine Clément, sociologue et directrice de l’Institut de l’Action Collective (IKD). Article paru sur le site www.alencontre.org le 12 décembre 2011.

Voir ci-dessus