Plan d’action syndical: apprendre le grec !
Par Freddy Mathieu le Vendredi, 02 Décembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Ce 15 novembre, au Heysel, les organisations syndicales ont donné le coup d’envoi de la mobilisation contre les plans concoctés par les partis qui négocient la formation d’un gouvernement. Six à sept mille participants : le Front Commun se félicite de ce succès mais, s’agissant en majorité de délégués et du cadre permanent des trois organisations, il est bien difficile d’en tirer déjà des indications de la mobilisation réelle que les dirigeants sont prêts à poursuivre. Anne Demelenne a annoncé une grande manifestation le 2 décembre et « n’a pas exclu » une grève générale fin décembre (le 19 ?).

A plusieurs reprises, la question grecque est venue sur le tapis. Il est vrai que nous avons quelques similitudes avec la Grèce : 10 millions d’habitants, un parti social-démocrate (le PASOK) au pouvoir menant une offensive contre les classes populaires et appelant la droite à terminer le boulot avec lui (en Grèce c’est même l’extrême-droite, qui a voté tous les plans d’austérité au parlement !)… Il n’est sans doute pas inutile pour nous d’essayer de tirer des leçons de ce qui s’est passé là-bas.

Mobilisation sans précédent

Depuis les manifestations et les émeutes de décembre 2008 –qui faisaient suite à la mort d'un adolescent de 15 ans tué par balle par la police, mais étaient surtout révélatrices du désenchantement de toute une jeunesse, la « génération 600 € »-, la Grèce a connu de grands mouvements : pratiquement un arrêt de travail généralisé tous les deux mois, des manifestations de plus en plus nombreuses (15 en 18 mois, dans plus de 70 villes), une radicalisation de la jeunesse et de pans entiers de la société. Les 19 et 20 octobre, il s’agissait du cinquième arrêt de travail généralisé depuis le début de l’année, et du deuxième arrêt de 48 heures depuis la fin juin. Poussées par cette dynamique, les directions syndicales, malgré leurs lourdeurs et leurs liens avec le PASOK, ont contribué à ces mobilisations, tout en espérant s’en servir pour « négocier » avec le pouvoir quelques « aménagements » des mesures d’austérité. 

Cette mobilisation croissante n’a pourtant pas suffi (pour le moment) à contrecarrer l’offensive coordonnée de l’UE, du FMI et de la BCE. Pour quelles raisons ? 

Rythme et coordination des mouvements

La régression sociale est profonde, les mesures d’austérité par vagues successives ont frappé fort et en profondeur. « Ce qu’il faut comprendre c’est que 80 % des Grecs ne savent pas comment ils vont boucler leur budget de novembre. Les taxes ont été multipliées par 10 ! Les élèves n’ont toujours pas de manuels scolaires depuis la rentrée. Cela n’est pas arrivé depuis la Libération. Dans les hôpitaux, on demande aux patients d’aller chercher eux-mêmes les pansements et les aspirines dans les pharmacies » indique Stathis Kouvelakis (1). 

En réponse, il y a eu des vagues de luttes : la jeunesse en 2008; les grandes entreprises privatisées et les fonctionnaires au printemps 2010 ; les transports publics  à l’hiver 2010 ; le combat héroïque et victorieux de la population de Keratea contre des plans de l’Etat grec qui veut faire d’une partie de la région (Omvriokastro) une décharge publique, désastreuse pour l’environnement ; le mouvement «Den Plirono» -«Je ne paie pas »-  pour la gratuité des autoroutes, des transports et des hôpitaux… Mais ces luttes sont restées disparates, peu coordonnées, parfois isolées. 

De nouvelles couches de la jeunesse et des classes moyennes sont aussi entrées en lutte autour de l’occupation de la place Syntagma par les indigné-e-s. Mais, jusqu’ici, ces mouvements ne sont pas parvenus à établir les jonctions nécessaires, en particulier la jonction entre les travailleurs organisés dans les syndicats et la jeunesse en révolte. De plus, le tempo des mobilisations syndicales est souvent à contretemps de la dynamique des luttes : trop tôt ou trop tard.

La leçon que nous pouvons tirer de cette longue onde de luttes en Grèce, c’est l’importance de l’auto-organisation des travailleurs. C’est à eux de fixer les modalités, le tempo et les revendications de leurs mobilisations. Les grèves de 24h, sans lendemains, sont totalement inefficaces et épuisent travailleurs et travailleuses, car le pouvoir fait le gros dos jusqu’à la 25ème heure…

Relations entre partis et syndicats

Peu à peu la question du pouvoir politique s’est posée, ne laissant au PASOK d’autres choix que d’essayer une ultime manœuvre, l’annonce du referendum. Ce faisant, le parti au pouvoir tentait   de canaliser le mécontentement quitte à prendre le risque d’un non. Il voulait désamorcer l’aspect le plus explosif et le plus incontrôlable des manifestations de rue.

Le 28 octobre, « Jour du Non » (la fête nationale), plusieurs défilés militaires ont dû être annulés en raison des mobilisations « anti-austérité ». Ce fut notamment le cas à Thessalonique où le président, Carolos Papoulias, a dû fuir devant les manifestants. L’évènement était hautement symbolique : c’est la première fois en 71 ans que les parades militaires du « Jour du Non » sont annulées. 

Stahis Kouvelakis explique : « Les mesures successives d’austérité ont miné le niveau de vie de base ; la montée du chômage, spécialement du chômage jeune, s’y ajoute ; l’annonce d’un pillage complet des biens publics au travers d’un programme de privatisations massif est un nouveau choc ; à cela s’ajoute l’appréhension qu’il n’y a pas de voie de sortie du cercle vicieux de la dette, de l’austérité et d’une récession plus profonde ; tout cela a séparé la vaste majorité de la population du PASOK et du système politique en général » (2)

Ses liens avec les partis politiques (PASOK, ND, KKE) créent la confusion dans le mouvement syndical, l’empêchant de défendre une ligne indépendante, claire, conforme aux intérêts de classe de ses membres. Avant qu’elle n’entre dans le gouvernement d’Union Nationale, la droite de ND (Nouvelle Démocratie) avait tout intérêt à pousser les syndicats contre le PASOK. Quant au PASOK, il avait beau jeu de prétendre n’avoir fait qu’hériter de la gestion désastreuse de la ND. 

Autre exemple : le 20 octobre, au deuxième jour d’une grève de 48h, pour empêcher la « prise du parlement » prônée par le syndicat ADEDY afin d’empêcher le vote d’un train de mesures, les militants du KKE et leur fraction syndicale du PAME se sont interposés… car ils souhaitaient que le vote ait lieu, pour démontrer que seul le KKE s’oppose aux mesures. 

En Belgique aussi nous devons poser le problème de l’inféodation des directions syndicales à des partis politiques qui ne défendent plus nos intérêts de classe. Il faut choisir son camp si l’on veut gagner les combats que nous allons entreprendre… 

La question de l’unité

Bien qu’elle se pose différemment qu’en Belgique, la question de l’unité s’est aussi posée en Grèce. Notamment autour de l’attitude sectaire du KKE qui veut apparaître comme ayant le monopole de la combativité. Le KKE a mis systématiquement des obstacles au rapprochement et à l’unification des différents mouvements : en organisant des cortèges séparés, dans des lieux et sur des parcours différents, en traitant « de haut » le mouvement des indignés, en tenant un langage insultant contre les autres courants de gauche,… On peut d’ailleurs s’étonner du soutien qu’il reçoit en Belgique du PTB, dont la courbe rentrante est tellement « coulante » avec les bureaucraties syndicales.

Chez nous, ce seront bientôt les élections sociales et le risque est grand qu’en plus de la question politique décrite ci-dessus, la concurrence idiote et les divergences d’appareils n’empoisonnent la nécessaire unité des travailleurs.

Il semble donc urgent que les travailleurs apprennent le grec !

(1) Stathis Kouvelakis est professeur de philosophie politique au King’s College de Londres, spécialiste de la Grèce. Dans un entretien a été réalisé le 4 novembre 2011 par Sarah Diffalah pour le « Nouvel Observateur » en ligne. 

(2) Stathis Kouvelakis – ibidem-


Le mouvement syndical grec 

Héritage de la périodes des dictatures et de ses syndicats « verticaux », la Grèce d’aujourd’hui compte deux grands syndicats : la GSEE (Confédération Générale du Travail de Grèce) qui regroupe les travailleurs du secteur privé ainsi que ceux des entreprises et des secteurs sous contrôle public (comme les banques, les transports ou les services tels que la distribution d’électricité et d’eau) et l’ADEDY (Confédération des syndicats des fonctionnaires publics) qui représente uniquement les fonctionnaires (enseignants, employés des ministères ou des administrations locales). Ces deux confédérations ont convenu de travailler dans la perspective d’une éventuelle fusion. Un certain nombre d'organismes sont d’ores et déjà dirigés conjointement par les deux confédérations, par exemple l'institut de recherche INE.

Le syndicalisme grec est traditionnellement très politisé, les principaux partis politiques étant représentés directement dans les organisations par le biais de fractions organisées. Les 45 membres du conseil exécutif de la GSEE sont élus lors du congrès sur la base des blocs politiques. Le conseil exécutif élu lors du congrès de mars 2007 compte 21 membres apparentés aux sociaux-démocrates du PASOK, 12 membres de la fraction proche du parti conservateur de la Nouvelle Démocratie (Droite), 9 membres liés au parti communiste et 3 membres d’une fraction autonome. Ces blocs sont représentés dans la direction de la GSEE : son président est issu de la fraction liée au PASOK et son secrétaire de la fraction proche du parti de la Nouvelle Démocratie

Le Front militant de tous les travailleurs, ou PAME est la fraction syndicale du Parti communiste grec (KKE), fondée le 3 avril 1999, et affiliée depuis 2000 à la Fédération syndicale mondiale.

Voir ci-dessus