Crise de l’UE et référendum grec: Morts sans duel
Par Miguel Romero le Lundi, 07 Novembre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Quand Papandréou a annoncé la convocation d’un référendum sur le dénommé « troisième sauvetage » imposé à la Grèce par la troïka (FMI, BCE, UE), j’ai écrit un texte intitulé « Duel à mort en Grèce » (voir ci-dessous, NdlR). Peu après, il s’est confirmé que le « gouvernement grec » - qui en réalité ne gouverne pratiquement rien du tout et se trouve au bord de la chute – a fait marche arrière, obéissant aux coups de fouets donnés par ceux qui possèdent les clés du coffre fort. Il n’y aura donc pas de « duel » en Grèce. Mais il y aura quand même des victimes mortelles.

Et il y en a déjà. La première, c’est l’idée d’une « Europe des citoyens » et tous ces contes de fées européistes qu’on nous sert depuis des années, ou plutôt qu’on nous servait avant la crise, quand ceux qui y croyaient pouvaient encore passer pour des ingénus. Le comportement de Merkel et Sarkozy envers la Grèce, tant du point de vue de la forme que du contenu, est le propre d’un pouvoir impérial face à la rébellion d’une colonie. Cet « impérialisme intérieur » envers les pays européens de la périphérie est l’un des produits de ce la crise. La Commission pour un Audit de la Dette Publique en Grèce a parfaitement raison de parler d’une « nouvelle occupation », en faisant référence à l’occupation du pays par les puissances de l’Axe pendant la Seconde guerre mondiale. Avant, cette occupation était militaire tandis que maintenant ce sont les « marchés », mais tant à l’époque qu’aujourd’hui, nous sommes dans une guerre, réelle ou métaphorique, et les options restent les mêmes : se soumettre ou résister.

Et ce n’est pas seulement un problème grec. L’Italie s’est vue reléguée au rang d’une vice-royauté du Fond Monétaire International et de l’UE qui vont contrôler sa politique économique et, partant, sa politique générale dans tout ce qui sera estimé nécessaire. Qu’une telle décision soit présentée non comme une « imposition » mais comme la réponse à une « invitation » du gouvernement italien relève de la farce sans cesse plus cynique qui accompagne les « plans de sauvetages ».

Autre victime mortelle ; l’illusion, même la plus ténue, dans la possibilité d’une participation citoyenne dans les politiques de l’UE. La panique exprimée ces derniers jours par les élites européennes vis-à-vis d’un instrument politique aussi pauvre en qualité démocratique et si facilement manipulable qu’un référendum organisé par le pouvoir est fort significative. Ces élites n’admettent même pas que dirigeants grecs choisissent la question et puissent faire référence au brutal « troisième ajustement ». L’ordre était clair : si référendum il y a, la seule question admissible devait être celle définie par la Troïka : « sortir ou non de la zone euro ». En clair : la Grèce n’a pas le choix ; elle ne peut que rester dans la zone euro et se soumettre au « troisième sauvetage ». Et pour appuyer ce chantage et les menaces, le pays n’allait pas recevoir un seul centime tant que sa soumission n’était pas garantie.

« Il n’y a pas d’alternative » proclamait Margaret Thatcher il y a plus de 30 ans. C’est un signe des temps que la fondatrice du néolibéralisme continue à inspirer aujourd’hui la stratégie de l’UE face aux résistances sociales. (…)

Personne ne sait quels étaient les objectifs réels de Papandréou quand il a annoncé l’organisation du référendum. Croire qu’il obéissait à une volonté démocratique relevait, évidement, de la naïveté. J’ai pensé qu’il cherchait par contre un « duel » avec le mouvement de résistance sur un terrain choisi par lui et qu’il pouvait contrôler, dans le but de lui faire subir une défaite. Peut être que cela ne fut pas la véritable raison et que tout cela ne fut simplement qu’une manœuvre afin de s’assurer une bonne position dans un futur gouvernement de coalition. Ou quelconque autre motif obscur. Il semble que l’approbation de la motion de censure n’a pas résolu ses problèmes et l’a placé au bord de la démission. En tous les cas, il ne vaut la peine de spéculer sur les motivations réelles d’un - pour reprendre mes propres termes -  « politicien « socialiste » servile et lâche, responsable de la situation catastrophique dans laquelle se trouve son pays ».

Ce qui semble clair, par contre, c’est que plus rien n’empêchera la soumission des institutions politiques grecques en faveur de l’application du « troisième sauvetage ». Tant le PASOK que la Nouvelle Démocratie (parti de droite conservateur, NdT) méprisent le rejet populaire, ils ne cherchent qu’à complaire les « marchés », à se faire considérer par eux comme « solvables » et « crédibles », comme dirait Zapatero. Nous devons faire confiance au peuple grec afin qu’ils les fassent payer, tôt ou tard, le prix élevé qu’ils méritent.

Tout l’espoir repose sur le mouvement résistance et dans les grandes grèves des 19 et 20 novembre. Il faut les soutenir. Il faut les écouter. Je dois avouer avoir été surpris par l’unanimité de la gauche grecque qui a rejeté le référendum et proposé, comme alternative, la tenue d’élections anticipées. Je ne comprends pas cette position, mais il ne fait pas de doute qu’il s’agit d’une question qu’il faut penser, discuter et écouter.

Il faut dire également que tout ce qui s’est passé ces derniers jours devrait contribuer également à la délégitimation définitive des institutions européennes qui ont agit avec une brutalité et un manque de respect envers la démocratie qui ne sont rien d’autre que l’expression fidèle de économie politique du capitalisme. Que cette possibilité se concrétise ou non, c’est à nous d’en décider.


Crise de l’UE et référendum grec : Duel à mort en Grèce

1. « Ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner comme avant et ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés comme avant ». Avec le retour de l’idée de révolution sociale – un retour initialement jubilatoire et aujourd’hui déjà escarpé, comme on le voit en Tunisie et en Egypte – revient également le diagnostic politique de la crise révolutionnaire élaboré au début du XXe siècle. On pensait alors que la condition pour que cette crise se résolve en faveur de « ceux d’en bas » était l’existence d’un parti révolutionnaire. L’expérience, comme toujours, a montré une réalité beaucoup plus complexe, remettant y compris en question le concept de « parti d’avant-garde » lui-même.

Cela pouvait être un débat théorique jusqu’à hier. Mais l’annonce faite par le premier ministre grec Yorgos Papandreou de soumettre prochainement à référendum le second « sauvetage » approuvé il y a à peine quelques jours lors du sommet européen des 27-28 octobre, donne à ces débats une actualité brûlante et pratique, non seulement pour le peuple et les institutions grecques, mais aussi, au moins, pour l’ensemble de l’Europe.

2. L’annonce du référendum a provoqué des réactions d’« indignation », d’« irritation », de « consternation » et d’autres termes dérivés parmi les membres de ce conseil d’administration des banques qu’est la Commission et le Conseil de l’Union européenne. En quelques heures, cette annonce à provoqué la chute libre des bourses et donné une nouvelle impulsion à une crise dont la seule caractéristique claire est qu’elle n’a pas de fin. Il s’agit sans doute de l’événement politique le plus important depuis le début des politiques de « sauvetage », car c’est la première fois qu’il existe un risque réel que les citoyens d’un pays membre de l’UE désobéissent et rejettent les diktats des « marchés ».

Tout en étant une brèche prometteuse dans le mur de la Troïka (FMI, BCE, UE), ce référendum constitue également un défi incertain pour le mouvement de résistance en Grèce, ainsi que pour cette constellation de mouvements et d’aspirations internationales qu’on appelle « les IndignéEs ».

3. Il ne faut accorder aucun mérite à Papandréou, politicien « socialiste » servile et lâche, responsable de la situation catastrophique dans laquelle se trouve son pays. Il veut un référendum car il sait qu’il ne peut continuer à gouverner face au rejet actif de la majorité de la population grecque vis-à-vis de ses politiques. S’il a convoqué un référendum, c’est pour le gagner. Ce n’est pas un défi lancé à la Troïka, c’est un défi lancé au mouvement de résistance qui depuis près de deux ans lutte avec une détermination admirable et sans jeter le gant malgré tous les durs coups reçus.

Il s’agit d’un duel à mort, dans son sens le plus politique : si le « oui » l’emporte, cela constituerait un coup terrible pour le mouvement social. Et il peut l’emporter. C’est pour cela qu’à déjà commencé l’avalanche de menaces annonçant l’apocalypse au cas où le « non » l’emporterait. Dans le cabinet de communication de Papandréou, quelqu’un a sans doute déjà traduit en grec la question avec laquelle Felipe Gonzales nous avait battu lors du référendum sur l’adhésion à l’OTAN en 1986 : « Qui va gouverner le non ? ».

4. Pour incertain que soit le résultat, et malgré tous les risques qu’il comporte, la tenue d’un référendum constitue en soi une victoire du mouvement de résistance en Grèce. Cette victoire illustre bien la relation complexe entre la politique dans les rues et la politique des institutions.

Les institutions politiques grecques dans leur ensemble sont les ennemies du mouvement social, en dépit du fait qu’à leur tête se trouve un gouvernement de « gauche » et que le parlement est en grande partie constitué de députés de « gauche » du PASOK. C’est la rue, et seulement elle, qui a été le protagoniste de la résistance face aux coups successifs du pouvoir. Mais, maintenant, la rue va devoir lutter sur le terrain institutionnel d’un référendum décisionnel.

Le référendum décisionnel est un des derniers instruments démocratiques de régimes parlementaires en pleine crise de légitimité. Mais c’est un instrument facilement manipulable dans les mains de ceux qui formulent la question,  tout particulièrement quand il n’y a pas, en face, de « candidat » alternatif au pouvoir.

Un tel candidat qui ne doit pas être obligatoirement un parti, ni une coalition de partis. Car il n’existe aujourd’hui, ni en Grèce ni dans aucun autre pays de l’UE, aucune force politique capable de représenter une telle alternative, qui exige d’être reconnue comme telle par le mouvement de résistance sociale.

Je pense que ce type d’alternatives appartient au passé et qu’il faut aujourd’hui inventer de nouvelles formes d’articulation socio-politique. C’est un défi démesuré d’y parvenir en quelques semaines en Grèce où, en outre, le sectarisme existant à la gauche du PASOK est encore plus grand qu’ici. En tout les cas, une victoire du « non » serait la meilleure option pour se rapprocher d’un tel objectif.

Sans aucun doute, si le « non » l’emporte, il y aura très grave crise en Grèce. Mais c’est la meilleure option pour le peuple grec et les peuples européens, c’est celle qui ouvre les meilleures possibilités afin de renforcer la mobilisation qui mettra en déroute les élites.

5. Les luttes du peuple grec n’ont pas trouvé en Europe la solidarité qu’elles méritent. Il y a même eu, récemment, un dirigeant du syndicat CCOO qui a utilisé l’exemple de la Grèce pour illustrer « l’inutilité » des grèves générales. Il faut au contraire aujourd’hui bien plus que de la solidarité, il faut quelque chose que l’ont pourrait appeler une « solidarité égoïste ». Parce qu’il ne s’agit pas seulement de soutenir la lutte pour le « non » en Grèce. Il s’agit de comprendre ce qui est en jeu, pour nous, dans cette lutte.

Le système, c'est-à-dire cette articulation de pouvoirs économiques, politiques et médiatiques qui gouverne le monde, est entré en panique face à une probable contagion du référendum grec. « C’est comme demander l’opinion d’un enfant de deux ans sur le médicament amer qu’il doit prendre » a osé dire l’un de ces analystes qui mangent dans la main de ceux qui commandent. Leur problème, c’est qu’il y a beaucoup d’ «enfants » en Europe qui savent déjà que ce médicament est vénéneux.

Ce n’est pas tant que ceux qui nous gouvernent ont peur de perdre ce genre de référendums : rappelons que si la majorité de la population espagnole était favorable à un référendum sur la réforme constitutionnelle du PSOE-PP (interdisant les déficits publics, NdT) les sondages indiquaient que si un tel référendum s’était tenu, le « oui » aurait obtenu une large majorité.

Ce qu’ils craignent surtout, c’est que l’on introduise des mécanismes de « démocratie directe », même aussi déformés et manipulables que les référendums, dans le jeu institutionnel. Ils sont atterrés par tout ce qui peut favoriser l’expression politique de la rue, quand la rue est mobilisée, comme elle l’est ici depuis le 15 mai. Sur ce terrain de la lutte, ils craignent, avec raison, que tôt ou tard ils perdront.

6. Ainsi, face au référendum grec, nous devrions nous considérer comme des « électeurs à l’étranger » et voter de la seule manière que nous pouvons le faire, en montrant avec force nous soutien au peuple grec.

Un « non » soutenu à partir d’en bas peut gagner. Et s’il gagne, nous aurons appris une leçon importante sur ce que nous devons faire.

Miguel Romero est rédacteur de la revue « VIENTO SUR » et membre d’Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste) dans l’Etat espagnol. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be . Source :  http://www.vientosur.info/articulosweb/noticia/?x=4505

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