Brésil : La vague de grèves annonce la naissance d’un nouveau mouvement syndical
Par Dan La Botz le Mercredi, 19 Octobre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Les travailleurs brésiliens – de l’industrie lourde, des services, du secteur public et agricole – sont en train de mener une série de grèves et de manifestations massives jamais vues dans le pays depuis des décennies. Les facteurs sous-jacents qui expliquent cette montée du mouvement ouvrier sont variés : la puissance économique du pays, l’influence des syndicats dans la société et l’augmentation de l’inflation. En 2007 et 2008, l’économie brésilienne a connue une croissance annuelle de 5% et, malgré le fait qu’avec la crise de 2009 elle a connue une contraction de 0,02%, en 2010 elle a à nouveau progressé de 10%. Comme le souligne Eduardo Siqueira, travailleur de la santé publique né au Brésil et activiste de la communauté immigrée brésilienne aux Etats-Unis, « les travailleurs brésiliens ne craignent pas de perdre leur emploi, ils n’ont donc pas peur de faire grève ».

Et ils ne s’en privent effectivement pas. Depuis le début du mois de septembre, les travailleurs des banques, de la poste et de la métallurgie – y compris ceux de l’industrie automobile dans les usines de General Motors – ont mené des actions de grève. Plusieurs d’entre elles sont toujours en cours. Avec un taux d’inflation autour de 5%, de nombreux travailleurs luttent pour récupérer le terrain perdu et revendiquent de fortes augmentations salariales : les ouvriers de la métallurgie exigent une augmentation de 9,5% et les employés des banques 12,8%. Les postiers ont lancé leur grève afin de combattre une réforme approuvée par le Congrès National qui octroie des prérogatives plus importantes à l’Entreprise des Postes et Télégraphes (ECT), y compris la possibilité d’établir des associations avec le secteur privé.

Outre les grèves dans l’industrie, les services et le secteur public, il existe également un très fort mouvement des travailleurs agricoles. Le mois de septembre a débuté avec les « Marches des Margaridas ». 70.000 travailleurs ruraux, avec leurs tee-shirts de couleur lilas et des chapeaux de paille, ont défilé dans les rues de la capitale du pays, Brasilia. Maria Luiza dos Santos, une travailleuse rurale d’Alfonso Cunha, dans l’Etat de Maranhão, a expliqué que les femmes revendiquent « les droits des femmes, l’égalité salariale et la redistribution des terres » en faveur des paysans sans terre.

Les puissants syndicats brésiliens

Un dirigeant d’une entreprise étatsunienne qui travaille pour l’industrie pétrolière brésilienne a publié ce mois ci un article dans le « Oil & Gas Financial Journal » dans lequel il met en garde ses collègues contre les lois du travail « inflexibles » et les « puissants » syndicats existants au Brésil. « Dire que les syndicats brésiliens sont puissants, c’est peu dire », écrit-il, « Au Brésil, les travailleurs adhèrent automatiquement à un syndicat, concrètement  à celui de la région où ils travaillent et dans la branche à laquelle appartient leur entreprise. La loi oblige le travailleur à cotiser pour le syndicat (l’équivalent d’une journée de salaire par an). Il existe au Brésil 18.000 syndicats de travailleurs, tous profondément enracinés dans leurs secteurs respectifs, avec des revenus suffisants pour financer leurs activités et avec une énorme influence politique ».

L’étonnement de ce dirigeant étatsunien du secteur pétrolier face à la force du syndicalisme brésilien simplifie de manière excessive la grande complexité du mouvement ouvrier au Brésil. Ce pays compte plusieurs fédérations syndicales, dont les positions politiques varient peu entre elles, certaines se situant à gauche tandis que d’autres sont au centre-gauche, certaines se considérant au centre ou modérées. Ces fédérations sont à la fois en concurrence et en coopération entre elles et, dernièrement, d’après Siqueira, elles collaborent plus que dans le passé récent. Les syndicats locaux et les travailleurs collaborent également étroitement, menant des actions de grèves de solidarité, se soutenant les uns les autres même s’ils ne sont pas du même syndicat ou de la même fédération. Selon Siqueira, les grèves et l’effervescence générale actuelle du mouvement ouvrier a forgé une nouvelle génération de cadres syndicaux intermédiaires plus combatifs. Siqueira, qui revient d’un voyage dans son pays, affirme qu’il n’avait jamais rien vu de semblable à cette nouvelle vague de combativité syndicale depuis les années ’80.

Un mouvement syndical né dans la lutte

Le mouvement syndical moderne au Brésil est né dans les luttes contre la dictature militaire qui a dirigé le pays de 1965 à 1985. Avec comme fer de lance les ouvriers métallurgiques des banlieues industrielles de São Paulo, les travailleurs brésilien ont d’abord créé des syndicats industriel et ensuite une nouvelle fédération (la CUT) à la même période que le développement du Mouvement des Paysans Sans Terre (MST), et finalement du Parti des Travailleurs (PT) qui a mené son leader Luiz Inácio da Silva à la présidence du pays en 2002 et en 2006. Mais Lula a appliqué les mêmes politiques néolibérales que ses prédécesseurs, avec la seule différence qu’il a impulsé des programmes de lutte contre la pauvreté dont ont bénéficié les Brésiliens les plus pauvres.

La première législature de Lula fut une expérience ambiguë pour les travailleurs. Des dirigeants et des militants du PT ont occupé des postes politiques importants dans le gouvernement. La CUT jouissait d’une influence que n’a jamais connue le mouvement ouvrier brésilien dans toute son histoire, mais ce ne fut que cela : influence et non pouvoir. La tendance de la direction de la CUT à faire confiance en Lula afin de mener à bien les changements, au lieu d’organiser les syndicats et les travailleurs afin qu’ils luttent pour eux, a affaibli le mouvement ouvrier. Le MST a continué à lutter, devenant pratiquement le seul mouvement social radical du pays.

Malgré cette lamentable évolution, pendant le second mandat de Lula – période au cours de laquelle le pays a connu une forte croissance économique et une augmentation importante de la production, avec la création de 14 millions de nouveaux postes de travail – le mouvement ouvrier a repris peu à peu sa vigueur. Les grèves ont commencé à proliférer, les syndicats ont noué des alliances avec d’autres mouvements sociaux, des leaders nouveaux ont émergés et on adopta des plateformes revendicatives afin de mettre sous pression le gouvernement.

L’élection de Dilma Rousseff – directement désignée par Lula afin de lui succéder – à la présidence a généré certaines craintes dans les mouvements sociaux et dans la société en général. Accédant au pouvoir sur base d’une vaste coalition politique hétérogène, Rousseff ne promet même plus de mener le pays vers le socialisme et n’affiche plus aucune ambition de démanteler le système économique néolibéral. Si on a beaucoup spéculé sur sa volonté de maintenir la politique de Lula combinant le néolibéralisme avec des programmes sociaux en faveur des plus pauvres, les syndicats quant à eux n’en attendent plus rien de bon.

D’un extrême à l’autre du Brésil, les travailleurs se donc sont mis en mouvement dans de nombreux secteurs. Jusqu’à présent, leur combativité retrouvée ne s’est pas accompagnée d’un processus de radicalisation. En général, les syndicats ne s’opposent pas frontalement au gouvernement, ils veulent exercer une pression sur la présidente Rousseff, sur le PT et le gouvernement, afin qu’ils accomplissent leurs promesses faites aux ouvriers et aux pauvres. Il reste à voir la suite des événements quand, avec la nouvelle phase de la crise économique mondiale, ce gouvernement démontrera clairement son absence de volonté de le faire.

Article publié dans Viento Sur. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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