Dexia: Trois ans après le sauvetage des banques belges, toujours le même breuvage empoisonné
Par François Sana, Eric Toussaint, Yvan Lemaître le Mercredi, 12 Octobre 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le 6 octobre 2008, l'Etat fédéral belge a acquis la totalité de Fortis Banque pour la somme de 9,4 milliards d'euros. A ce montant s'ajoutent 2,8 milliards apportés par l'Etat belge sous forme d'actions et de prêts ainsi qu'un crédit-pont de 3 milliards octroyé pour aider Fortis Holding à financer sa part des actifs à risque. Total de ces opérations : 15,2 milliards d'euros (1).

Après plusieurs mois de négociation avec BNP Paribas, l'Etat belge a échangé 75% de Fortis Banque avec BNP Paribas contre 121 millions d'actions de cette dernière. Au moment de l'accord conclu, ces actions valaient au total 2,6 milliards d'euros. Donc, l'Etat belge a revendu pour cette somme les 75% de Fortis Banque, qu'il avait pourtant payée 9,4 milliards. Or 75% de 9,4 milliards ne font pas 2,6 milliards, mais plutôt 7,05 milliards. L'opération était catastrophique pour l'Etat belge et très juteuse pour BNP. Le journal Le Monde ne s'y trompait pas lorsqu'il titrait : « Rachat de Fortis : BNP-Paribas peut remercier les contribuables belges » (2).

Pourtant le ministre des finances, Didier Reynders, a toujours prétendu que l'Etat allait y gagner, que les cours de BNP allaient remonter. Qu'en est-il ? Le 3 octobre 2011, le cours de l'action BNP-Paribas s'élevait à 29 euros. Si on multiplie ce chiffre par 121 millions, on obtient 3,51 milliards. Cela reste toujours bien loin des 7,05 milliards nécessaires juste pour ne pas perdre d'argent dans cette transaction. Quant aux dividendes versés par BNP-Paribas Fortis, 365 millions d'euros, ils ne permettent en rien d'inverser la tendance.

L'Etat belge ne s'est pas contenté de sauver Fortis. Il a aussi renfloué Dexia et KBC ainsi que l'assureur Ethias. Globalement, la crise financière a nécessité de la part des pouvoirs publics belges des injections de capital pour un total de 20,64 milliards d'euros3. En plus de cet apport, les pouvoirs publics ont accordé des garanties pour un montant de 329 milliards d'euros. Ceci signifie que si les banques connaissent à nouveau des difficultés, l'Etat pourrait devoir fournir ces 329 milliards...

Entretemps, la dette publique belge est passée de 84,2% du PIB en 2007 à 96,2% en 2009. En valeur absolue, la dette publique de la Belgique a augmenté de 44,1 milliards d'euro entre ces deux dates. Etant donné que, pour financer le sauvetage bancaire, les pouvoirs publics belges se sont endettés pour un peu plus de 20 milliards d'euros, on peut estimer qu'environ 45% de l'augmentation de la dette sont imputables au sauvetage des banques par l'Etat.

En résumé, les banques ont engrangé des bénéfices importants en prenant des risques considérables et l'Etat belge s'est ensuite endetté de plus de 20 milliards d'euros pour les sauver. Ces mêmes banques ont retrouvé rapidement leurs taux de profits gigantesques et se sont comportées exactement comme avant la crise (parachutes dorés et paris risqués qui à nouveau déstabilisent l'ensemble de la vie économique). A qui va-t-on demander les 25 milliards d'euros qui manquent pour combler les déficits d'ici 2015 ? Il serait juste que ce soit les responsables de la crise qui paient, et non les citoyens.

Comme le disait Albert Einstein, il ne faut pas compter sur ceux qui ont créé les problèmes pour les résoudre. Aussi, nous ne voulons plus écouter ceux qui veulent faire payer la crise aux citoyens qui en sont les premières victimes. La solution ? Faire payer ceux qui ont causé la crise avec leurs investissements risqués. Récupérer le coût du sauvetage des banques en prélevant un impôt de crise sur le patrimoine des grands actionnaires et des administrateurs des institutions aidées est une mesure juste, que le CADTM prônait dès octobre 2008, au moment où le gouvernement faisait ses (mauvais) choix politiques. Ces recommandations restent d'actualité.

L'Etat aurait dû, sans indemnisation des grands actionnaires, nationaliser Fortis Banque, Dexia et KBC pour garantir l'épargne des citoyens et se doter d'un instrument public afin de réaliser des investissements et créer des emplois socialement et écologiquement responsables. Avec le rachat injustifiable de Dexia en cours de réalisation, nous avons une double démonstration : 1. Oui, il faut transférer les banques privées vers le domaine public, sinon les mêmes excès tragiques se répètent sans fin. Cette décision doit être durable afin d'avoir un puissant secteur public d'épargne, de crédit et d'investissement. 2. Il est inadmissible d'indemniser les grands actionnaires privés de Dexia. Au contraire, ils doivent rembourser les sommes octroyées en 2008 (au moins 3 milliards d'euros), de même que le coût de l'assainissement de ce qui va aller à la structure de défaisance (la « bad bank »). Les dirigeants de Dexia ainsi que les ministres responsables du sauvetage des banques en 2008 et en 2011 doivent rendre des comptes devant la justice pour les préjudices qu'ils ont causés.

Avec les ministres actuels, et particulièrement Didier Reynders, ce sont les contribuables belges qui payent la facture du sauvetage des banques. Quant aux responsables de la crise, les banques, elles continuent de s'enrichir de manière éhontée et à spéculer sur des titres risqués.

Il est nécessaire de réaliser un audit citoyen de la dette publique de la Belgique afin d'obtenir l'annulation de la dette illégitime. Il faut garantir le remboursement des petits porteurs de titres de la dette publique (ils ne détiennent d'ailleurs qu'un très faible pourcentage des titres, 2 à 3%) en passant la facture aux actionnaires privés et aux ménages les plus riches qui ont profité systématiquement d'une politique injuste socialement. Il convient également de mettre fin aux intérêts notionnels et de réaliser une réforme fiscale qui amène les plus riches à payer des impôts proportionnellement à leurs revenus et à leur patrimoine. 1Marco van Hees, Banques qui pillent, banques qui pleurent, Aden, 2009 ; Banque Nationale de Belgique, Rapport annuel 2008, p. 195

Notes :

2 Le Monde, « Rachat de Fortis : BNP-Paribas peut remercier les contribuables belges », 10 mars 2009.

3 Damien Millet et Eric Toussaint (coord.), La dette ou la vie, Aden, 2011, chapitre 11.


Dexia, les États au service des «Bad banks»

Une nouvelle fois, les États belge et français vont mettre la main au portefeuille pour sauver Dexia. Ce week-end, François Fillon et son homologue Yves Leterme, Premier ministre belge, ont conclu un accord pour sauver de la banqueroute Dexia, un plan de démantèlement-sauvetage dont la facture sera payée par la population, des expédients qui, pour sauver les financiers, creusent la dette des États...

Dexia est née de la privatisation, en 1987, d’un organisme public, la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales (CAECL), puis de la fusion en 1997 de la nouvelle banque avec le Crédit communal de Belgique dans le cadre de la mondialisation libérale pour le bonheur des gros actionnaires. De 2000 à 2009, Dexia a déclaré plus de 14 milliards d’euros de bénéfices! Ces profits provenaient pour l’essentiel de la vente de prêts à taux variable auprès des collectivités territoriales et des établissements publics à la place de prêts à taux fixe. Ces prêts, au départ avantageux, se sont avérés des emprunts «toxiques» dont les taux ont considérablement augmenté sous les effets de la crise financière, taux quasi usuraires.

Sauvée une première fois

Dexia, une première fois en difficulté lors de la crise financière de 2008, a été renflouée pour 150 milliards d’euros par les États français et belge qui n’ont exigé aucune contrepartie ni le moindre contrôle. Ses pratiques spéculatives n’ont cessé de se développer comme celle qui consiste à prêter sur 30 ans avec des fonds propres faibles en se finançant par des emprunts à court terme ou des spéculations sur les produits toxiques. Ses difficultés se sont aggravées, son cours de Bourse a chuté de plus de 85% en trois ans, jusqu’à la menace de faillite. Pourtant, en juillet, Dexia avait réussi haut la main les stress tests de l’Autorité bancaire européenne censés évaluer la solidité des banques !

Le scandale de ces pratiques usuraires vient sur la place publique en septembre au moment où la solvabilité des 21 milliards d’euros qu’elle détient sur la dette de la Grèce, du Portugal, d’Italie est mise en doute. Dexia perd les moyens de se financer, la faillite est là sans autre issue que l’intervention des États belge et français.

Démantèlement

Les actifs les plus toxiques, évalués à 95 milliards d’euros, seront concentrés dans une structure dite de défaisance, dénommée «bad bank», la mauvaise banque, jouissant de la garantie des États français et belge répartie dans des proportions identiques à celles de 2008 (lors du sauvetage de Dexia), soit 60, 5% pour la Belgique, 36, 5% pour la France et 3% pour le Luxembourg.

Ensuite, l’État belge prend le contrôle de la totalité de Dexia Banque Belgique, l’entité belge du groupe, rachetée pour un montant de 4 milliards d’euros. Plus de 70 milliards d’euros de prêts aux collectivités locales, dont toute une partie sont à risques et pourraient ne pas être remboursés, passeront entre les mains de la Caisse des dépôts et consignation (CDC). La France devrait créer une nouvelle banque dédiée aux collectivités, détenue à la fois par la Banque Postale et par la CDC. Le Luxembourg participe à la reprise de la branche luxembourgeoise de Dexia, Dexia BIL par un consortium dépendant de la monarchie du Quatar. Denizbank, la filiale turque, va être aussi vendue.

Expédients

Ce montage financier sauve dans l’urgence les intérêts des gros actionnaires sans même chercher une réponse à la crise financière que connaissent les collectivités locales ni celle des établissements publics piégés par les prêts usuraires. Ce ne sont que des expédients comme les mesures exceptionnelles annoncées par le dirigeant de la Banque centrale européenne (BCE), Jean-Claude Trichet, qui permettront aux banques de la zone euro de se financer de manière illimitée et gratuite auprès de la BCE qui leur rachètera pour 40 milliards d’actifs pourris. Comme le sont aussi les engagements pris par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel de recapitaliser les banques.

Des expédients pour alimenter la machine à profit qu’est le système financier au moment où l’OCDE annonce une détérioration de la marche des principales économies mondiales. La rechute fatale de Dexia n’est pas un cas particulier mais bien un nouveau symptôme d’une catastrophe annoncée. La socialisation des banques sous le contrôle de la population, l’annulation de la dette publique sont bien des mesures d’urgence indispensables pour enrayer cette course folle.

Yvan Lemaitre

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! 119 (13/10/11)

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