Contestations sociales de l'été 2011 en Israël : possibilités et défis
Par Sergio Yahni le Dimanche, 07 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

Stanley Fischer, Gouverneur de la Banque centrale, réduit les problèmes sociaux d'Israël à quatre phénomènes majeurs : le logement, le coût de la vie, les taxes et l'(in)aptitude du gouvernement à offrir les services demandés par le public. Le Ministère des finances maintient que les exigences sociales des manifestants coûteraient une soixantaine de milliards de shekels. Mais les analystes médiatiques et les données publiées par la Banque Centrale Israélienne et par le Ministère des finances indiquent que les finances de l'État pourraient y répondre favorablement.

Les milliers de personnes qui sont en train de camper dans les places du pays et les centaines de milliers qui ont pris la rue le samedi 30 juillet demandent des changements fondamentaux dans les priorités nationales, l'élimination des politiques néo-libérales israéliennes et la restauration de l'État providence. Voire, comme les manifestants l'ont crié eux-mêmes : la « révolution ».

Le gouvernement israélien n’a pas la volonté politique de résoudre les problèmes mis en avant par ces manifestations, il essaye au contraire de les manipuler pour approfondir son projet néo-libéral.

Lors d'une conférence de presse le 1er août à Jérusalem, Stanley Fischer a déclaré que la solution au problème de manque de logement inclurait la création de comités pour passer au dessus des processus de planification existants, l'acceptation de constructions et une réforme du marché immobilier israélien. Entre les lignes : Fischer veut diminuer les contraintes écologiques et sociales pour les grandes entreprises de construction tout en accélérant la privatisation des terrains publics.

Actuellement, 93% des terrains publics d'Israël sont des terrains appartenant aux réfugiés palestiniens et sont donc protégés par des garanties internationales des Nations unies depuis 1950.

De la même manière, le Premier ministre Netanyahu promeut l'ouverture du marché du lait aux importations en réponse au prix élevé de la nourriture, ainsi que la privatisation des services publics.

Depuis les rangs des manifestations sociales, une suggestion apparait cependant comme bien plus radicale : réduire le budget de la défense. Le 31 juillet, au cours de l'examen mensuel avec le Comité des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset (parlement israélien, NDLR), le Chef d'État-Major, le Général Benny Gantz, a contesté cette proposition en déclarant : « Nous devons prendre en compte la période dans laquelle nous sommes, pendant laquelle les menaces sont très significatives, et nous ne pouvons pas compromettre notre capacité à agir. Il ne peut pas y avoir de compromis là-dessus. » Il faisait référence à la demande de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) de la reconnaissance par les Nations unies d'un État palestinien indépendant.

D'après Gantz, un mouvement de protestation palestinien non-violent apparaîtrait en septembre « en conflit contre le Mur ou contre les colonies ». Il a ajouté que l'armée est en train d'acquérir des armes pour répondre à une mobilisation des masses palestiniennes et a besoin d’améliorer ses réseaux d'information pour empêcher un tel mouvement de se développer.

Lors d'une réunion de la faction du parti Likoud à la Knesset, le 1er août, le Premier ministre a calmé les craintes du Chef d'État-Major : « malgré les manifestations, diminuer le budget de la défense n'est pas à l'agenda du gouvernement ».

Les milliers de personnes qui ont occupé l'espace public dans les villes d'Israël ne sont pas un groupe homogène et n'ont pas de direction reconnue. Ils rejettent le régime néo-libéral israélien, la privatisation des services publics et la relation intime entre le capital et le gouvernement. Au-delà de ces points, les manifestants ne sont d'accord sur rien.

Les manifestations n'ont pas de direction nationale. Aucune fraction de ces manifestants ne peut prétendre représenter les autres. Mais il existe un consensus pour s'occuper des problèmes ; tout groupe d'activiste peut prendre des décisions comme un autre groupe, et la pratique de tenir des réunions où les décisions sont prises au consensus doit encore être introduite. Cependant, un espace a été établi sur le boulevard Rothschild à Tel Aviv pour servir de référence à la presse locale et internationale.

Si l'attention des médias se concentre sur le boulevard Rothschild, c'est seulement parce que c'est à cet endroit que le premier groupe de manifestants a installé son camp. Mais c'est également parce que les médias dominants israéliens et les politiciens préfèrent croire que le mouvement de protestation est un mouvement de la classe moyenne, alors que la plupart des manifestants sont des habitants de logements publics, des mères célibataires, des immigrés juifs d'Asie ou d'Afrique ou encore des travailleurs migrants.

Cette vue biaisée a aidé la municipalité de Tel Aviv quand elle a essayé d'évacuer de force les manifestants qui campaient dans le parc Lewinsky au sud de Tel Aviv. Là-bas les manifestants ne viennent pas d'une classe moyenne israélienne imaginaire mais sont les résidents d'un des quartiers les plus pauvres de la ville, et compte également de nombreux paysans immigrés. Mais l'atmosphère qui prévaut au camp du boulevard Rothschild et dans les marches de solidarité ont convaincu la municipalité d'abandonner ses tentatives d'évacuation.

La nature non structurée des ces mouvements de protestation leur a évité d'être exploité par les groupes qui négocient traditionnellement les conflits sociaux en Israël, comme la Fédération générale des travailleurs d'Israël (Histadrut) qui est le syndicat principal et le  seul ayant le droit de négocier avec le gouvernement et les employeurs.

Dans une interview avec la Radio de l'armée d'Israël, Le Secrétaire Général d'Histadrut, Ofer Eini, a confirmé que le syndicat ne dirigeait pas cette lutte sociale et a immédiatement précisé que si le but des manifestants était de renverser le gouvernement de Netanyahu, Histadrut n’y participerait pas. « Nous sommes un pays démocratique, nous ne sommes pas l'Égypte ou la Syrie » a dit Eini.

Eini a été principalement contrarié par cette revendication essentielle ; que les rencontres avec le gouvernement soient transparentes pour le public. Le Syndicat national des étudiants universitaires s’est également prononcé contre cette exigence. Molly Itzik, son président, a dit à la presse qu'ils « seraient des adultes responsables lors du dialogue avec le gouvernement ». Des membres du syndicat étudiant ont déclaré que le campement de Rothschild avait été infiltré par « des éléments anarchistes qui font monter les exigences de manière irréaliste ».

Les dirigeants du syndicat étudiant espèrent que la nouvelle année académique va s'ouvrir sur une victoire tangible qu'ils pourront présenter lors des élections étudiantes. Eini sait que la demande d'une plus grande transparence dans les négociations avec le gouvernement et les employeurs est un danger. En mars de cette année, Histadrut s'est trouvé face à une vague de manifestations des travailleurs sociaux qui ne voulaient pas accepter l'accord négocié par le syndicat après trois semaines de grève.

Le danger principal auquel doit faire face Histadrut n'est pas le gouvernement israélien ou les employeurs mais les organisations radicales « Pouvoir aux travailleurs » (« Koach Laovdim ») et « Maan ». Ces organisations sont relativement nouvelles dans les relations industrielles et travaillent à créer des syndicats qui représentent horizontalement les intérêts des travailleurs alors qu'Histadrut est une organisation qui collabore avec le gouvernement et les employeurs.

Le président israélien Shimon Peres est intervenu dans la crise le 1er août pour essayer de convaincre le groupe du boulevard Rothschild d'abandonner son exigence de transparence dans les contacts avec le gouvernement. Mais même si ce groupe acceptait d'entrer en négociation avec le gouvernement, une direction alternative du mouvement de protestation pourrait décider de ne pas accepter les diktats de la bureaucratie syndicale et de rejeter les intérêts du Syndicat national des étudiants.

La question que tout le monde a en tête et dont pourtant personne ne parle se rapporte aux Palestiniens. Les activistes du mouvement de protestation ont peur que la question palestinienne ne soit utilisée par le gouvernement comme une arme contre eux. Cependant, dans toutes les présentations publiques, les intervenants pointent que Juifs et Arabes sont des partenaires dans cette lutte, bien que personne ne veuille en définir la signification immédiate et pratique.

Les activistes sont aussi conscients de la possibilité que le gouvernement choisisse la provocation militaire pour diminuer la pression et détourner l'attention. Cela pourrait se matérialiser par une attaque contre le Liban et les territoires palestiniens occupés. Beaucoup de manifestants pensent que le meurtre de deux Palestiniens à Qualandiya la nuit du 31 juillet était une provocation dans ce but. En réponse à la pression publique, Netanyahu a répondu que ces meurtres étaient uniquement une réponse à des exigences militaires.

Sauf développement exceptionnel, ces groupes vont continuer à se battre ensemble jusqu'à la fin de l'été. Mais les divisions entre le boulevard Rothschild et les camps situés dans la périphérie sociale, où les gens n'ont plus d'autres options, risquent de se renforcer en septembre quand les enfants vont rentrer à l'école et que la classe moyenne va mettre fin à sa « rébellion des vacances ». Ceux qui resteront seront ceux qui n'ont pas d'autres alternatives. Cependant, l'été 2011, restera une ligne de démarcation entre un « avant » et un « après » pour les mouvements sociaux israéliens.

Traduit en français par Martin Laurent pour www.lcr-lagauche.be depuis la traduction anglaise de l'Alternative Information Center (AIC). http://www.alternativenews.org

Vidéo (en anglais) réalisée par l’AIC sur les protestations en Israël:

http://www.alternativenews.org/english/index.php/topics/israeli-society/3721-aic-video-social-protest-in-israel-


La tente de la dignité n°1948

A Tel Aviv, l’une des tentes des « indignés » israéliens porte le numéro emblématique de « 1948 » (date de la création de l’Etat d’Israël et de la Nakbha, l’expulsion des Palestiniens) et rassemble des jeunes juifs et arabes. Nous reproduisons ci-dessous leur manifeste.

Nous sommes un groupe de citoyens arabes palestiniens et juifs qui croient en la souveraineté partagée de tous les citoyens. Au lieu de penser en terme de séparation, nous pensons au contraire à la possibilité d’une existence commune.

Depuis la fondation de l’Etat, la politique israélienne se résume par la formule « diviser pour régner », se consacre à éviter le véritable changement et dresse des obstacles aux profondes revendications sociales. En travaillant ensemble, cela ne peut que nous être bénéfique.

Que voulons nous ?

Nous voulons que cette lutte s’occupe de la pénurie de logements pour les Arabes et les Juifs en Israël, tant dans les grandes villes que dans les villages.

Nous voulons en finir avec la judaïsation des quartiers arabes et stopper le « développement » de quartiers constitués de complexes de luxe.

Nous voulons stopper les expulsions de familles palestiniennes comme cela se passe tous les jours à Jaffah, Lod, Ramalah et dans d’autres régions d’Israël et des Territoires occupés.

Nous voulons en finir avec la discrimination des arabes palestiniens dans la location et l’achat de biens immobiliers, devenue « légitime » dans la société juive israélienne, comme la « Lettre des Rabins » l’a démontré.

Nous voulons changer la politique des terres en Israël, ce qui amènera à la justice historique envers la population palestinienne. Plus jamais de confiscation de terres, plus de démolitions de maisons. Nous vivons ici ensemble, c’est le moment de commencer à l’intérioriser.

Nous voulons parler de la discrimination dans les institutions publiques, l’enseignement, la santé, la culture.

Nous demandons la reconnaissance du droit élémentaire des Palestiniens en Israël et dans les Territoires occupés à disposer de leurs propres modes de vie.

Nous voulons insister ; il ne peut y a avoir aucune justice sociale tant que cet Etat occupe et opprime les Palestiniens et que la justice ne soit pas pour tout le monde.

En outre, une bonne partie des ressources de l’Etat est consacrée à l’occupation ; constructions de murs et de barrières, qui perturbent la vie des Palestiniens, soutien aux colonies… L’occupation coûte beaucoup d’argent, qui pourrait être utilisé pour améliorer la qualité de vie de la population juive et arabe en Israël et dans les Territoires Occupés.

Source : www.anticapitalistas.org , traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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