Etat espagnol : Le Mouvement du 15-M et les perspectives politiques à gauche
Par Jaime Pastor, Izquierda Anticapitalista le Dimanche, 07 Août 2011 PDF Imprimer Envoyer

Au cours de ces derniers jours, et en dépit de la période estivale, le Mouvement du 15-M s’est fortement remobilisé dans l’Etat espagnol. Plusieurs marches parties de différentes régions du pays ont récemment convergé à la Puerta del Sol. Tout au long de leur parcours, dans les villes et villages traversés, ces marches ont organisé des assemblées avec la population locale afin de constituer des cahiers de revendications qui ont ensuite été porté au parlement national dans la capitale. Depuis lors, le mouvement s’affronte à la brutale volonté répressive des autorités (entre autres pour cause de… visite papale !) autour de l’emblématique Puerta del Sol et de son droit à occuper cette dernière pacifiquement, ce qu’il a finalement pu imposer après plusieurs journées de mobilisations et d’affrontements.

Parallèlement à ces événements, une commission de travail du mouvement prépare activement l’organisation d’une grève générale à l’occasion de la journée de manifestations massives (et internationales) prévues le 15 octobre. Une colonne de marcheurs, rejointe par des participant-e-s d’autres pays - a également quitté Madrid le 26 juillet pour atteindre Bruxelles le 8 octobre, avec le même objectif de tenir des assemblées locales lors de ses étapes. Cette marche culminera par une remise des revendications ainsi recueillies devant le Parlement européen le 15 octobre. Sur le terrain politique, le gouvernement de Zapatero, craignant les effets cumulés de son usure, a décidé d’avancer de quatre mois la date des prochaines élections générales, qui auront donc lieu le 20 novembre prochain (date anniversaire de la mort du dictateur Franco, soit dit en passant…). Nous publions ci-dessous un article de notre camarade Jaime Pastor sur les perspectives politiques à gauche qu’ouvre l’émergence du Mouvement du 15-M, ainsi qu’un appel de notre organisation sœur « Izquierda Anticapitalista » face aux élections générales anticipées. (LCR-Web)

Mouvement du 15-M. Une autre politique est possible. Une autre gauche est nécessaire

Par Jaime Pastor

L’irruption du mouvement du 15-M, la déroute électorale du PSOE le 22 mai passé, ainsi que l’ascension de Bildu en Euskadi représentent trois événements qui modifient le panorama politique en Espagne. Il faut analyser chacun d’eux pour voir si la gauche est en état de donner une réponse adéquate à la nouvelle période qui va s’ouvrir à partir du triomphe probable du Parti populaire lors des prochaines élections générales [dont la date a été avancée par Zapatero au 20 novembre 2011, et non plus en mars 2012].

L’émergence du Mouvement du 15-M et son succès symbolique comme force sociale capable d’aller à l’encontre du «sens commun» dominant – celui de la résignation devant «l’état d’exception» économique et social – et de modifier l’agenda médiatique et politique en pleine campagne électorale [les élections régionales et municipales du 22 mai 2011] constituent sans doute un événement dans le sens fort du terme. Il s’agit encore d’un sujet nouveau dans un processus de construction. Toutefois, en un peu plus d’un mois il a réussi à engendrer un cycle de mobilisation soutenue face à une «classe politique» et à des pouvoirs économiques non-élus qui ont vidé de contenu une démocratie chaque fois plus formelle. Sa transformation en un mouvement dont la vocation est la continuité peut le convertir en un facteur déterminant du processus de recomposition de l’ensemble des mouvements sociaux et des gauches.

Mais le plus significatif, c’est que le protagoniste de cette protestation ait été une nouvelle génération qui s’est lancée dans l’action collective pour la première fois et s’est dotée très rapidement d’un degré d’auto-organisation et de créativité admirables, démontrant ainsi que non seulement elle critique la politique officielle, mais qu’elle met en pratique d’ores et déjà une autre politique et une autre manière de la faire. Il faut reconnaître encore à cette explosion un plus grand mérite si on tient en compte qu’après le pacte sur la réforme des retraites signé par les grands syndicats, l’espérance dans le nouveau cycle de luttes, qui avait à peine commencé avec la grève générale du 29 septembre 2010, semblait avoir été refermée.

La légitimité sociale dont jouit le mouvement, corroborée par les enquêtes d’opinion, nous donne le droit d’être optimistes et de pouvoir prévoir que, à partir des réseaux sociaux initiaux jusqu’au niveau de conscience atteint en peu de temps autour d’un ensemble de revendications de base (non seulement celles du «consensus minimal» initial) et de formes d’action (avec la désobéissance civile non violente comme autre marque d’identité partagée), il puisse réussir à jouer un rôle clé durant les prochains temps.

A tout cela s’ajoute son impact international qui confirme que ce qu’il dénonce est partagé par des millions de personnes dans le monde entier. Parce que, en réalité, tant le slogan initial des manifestations du 15-M («Nous ne sommes pas des marchandises dans les mains des politiciens et des banquiers») comme les slogans qui ont présidé au saut en avant du 19-Juin («Contre la crise et le capital», «Non au pacte de l’euro») marquent la remise en question de la même «stratégie du choc» néo-libérale appliquée dans un nombre croissant de pays.

Pour ce qui est de la débâcle électorale du PSOE, il est certain que le principal bénéficiaire en est le Parti Populaire [dont le dirigeant actuel est Mariano Rajoy] qui réalise une avance notable vers des nouvelles parcelles de pouvoir institutionnel. Le PP peut ainsi se préparer à sa probable victoire lors des élections générales et à la consolidation du bloc hégémonique qu’il aspire à représenter, avec ou sans Convergència i Unió [CiU est la force de droite en Catalogne]. Mais comme l’a fait remarquer José Luis Zárraga [1], il est important de souligner que l’énorme recul qu’a connu le PSOE, en perdant un million et demi de votes, a été dû fondamentalement à la déception engendrée chez la grande majorité de ses électrices et électeurs par le tournant déjà ouvertement néo-libéral de Rodriguez Zapatero à partir du Sommet de l’UE du 9 mai 2010. Un tournant qui non seulement continue maintenant, mais s’accentue encore plus avec les affrontements qui accompagnent le «Pacte pour l’euro» [Zapatero a conduit des contre-réformes sur le terrain de la législation du travail, du chômage, des retraites; en septembre 2011 s’annonce une réforme des impôts sur les sociétés ; grâce aux élections anticipées, le PSOE espère laisser la définition d’un budget d’austérité pour 2012 à la droite, dans la mesure où elle devrait gagner les élections.]

Le PSOE, de plus en plus dépouillé du pouvoir institutionnel, entre ainsi dans la plus grande crise d’identité, de projet et de direction de toute son histoire. Il n’y a pas d’espoir fondé que l’option Alfredo Perez Rubalcaba [candidat à la succession de Zapatero et ex-vice président et ministre de l’Intérieur] soit capable de freiner à court terme la fuite de militant·e·s et électeurs comme électrices, puisqu’il ne semble plus que la peur devant la victoire du PP soit encore rentable au point où on en est. Encore moins parmi la jeune génération qui a fait irruption dans la vie politique parce que, comme l’a reconnu Antonio García Santesmases, «ce dont ils ont marre, c’est du moindre mal et ils considèrent le moment venu de dire ça suffit» [2]. Le risque d’un effondrement semblable à celui qu’a connu l’UCD [Union démocratique du centre, créée en 1977 et qui, sous la houlette d’Adolfo Suarez, a assuré de 1977 à 1983 la transition de l’après-franquisme] ne paraît pas probable. Par contre, l’est une «traversée du désert» à la recherche d’une «refondation» qui semble impossible dans un parti dont la vie interne a été vidée par la direction d’un Zapatero dont le fiasco final ne pouvait pas être plus fracassant.

Devant cette fin de cycle social-libéral, ni Izquierda Unida [La Gauche unie a été fondée en 1986; cette coalition réunit différentes composantes, dont la principale est celle du Parti communiste], ni le projet Equo-Espacio Plural [une plate-forme politique qui cherche, depuis mai 2010, a regroupé diverses composantes telles Initiative pour une Catalogne verte, etc.] ne paraissent pouvoir remplir le vide que laisse le social-libéralisme. Ces forces ne peuvent réussir à recueillir les attentes d’une autre politique et d’une autre gauche qui surgissent à partir du mouvement du 15-M.

Izquierda Unida (IU) propose certes un programme anti-néolibéral et social-démocrate qui pourrait contenter certains secteurs qui votaient jusqu’ici PSOE. Mais elle n’est pas capable de surmonter sa relation maladive avec le PSOE, comme on a pu le vérifier au travers de son comportement dans de nombreuses municipalités et quelques communautés autonomes (elle participe au gouvernement avec le PSOE, comme dans les Asturies, ou elle permet que gouverne le PP, comme aujourd’hui en Extrémadure). De même, IU n’est pas capable d’apparaître comme une force crédible, comme une force d’ «alternance» de gouvernement aux yeux d’une partie de ces mêmes secteurs. A ces limitations s’ajoute un «modèle» de parti dont la bureaucratisation interne reproduit la figure du «politicien professionnel» tant critiquée par les récentes manifestations.

Equo-Espacio Plural, de son côté, parce qu’il se meut dans un espace d’indéfinition ambigument calculé où semble primer une orientation vers les partis verts européens qui, dans le meilleur des cas, tend à reléguer au second plan la couleur «rouge». A cela s’ajoute la diversité des alliances que pratiquent les forces de Espacio Plural avec le cas de Valence [troisième ville d’Espagne], comme exemple, où il forme une coalition avec Compromis (composé entre autres par Bloc qui est proche de CiU).

Vers la construction d’une alternative politique

Malgré tout cela, il est possible que Equo, avec sa meilleure attention à la crise écologique, sans le cachet «communiste» de IU et avec l’aide d’une partie des médias «progressistes», puisse être attractive pour un secteur d’ex-électeurs et électrices du PSOE, voire abstentionnistes et réussisse à réunir un pourcentage significatif de voix.

Dans tous les cas, étant donné le système électoral en vigueur, la division des deux formations ne les favorise pas et il ne semble pas que les efforts de l’aile d’Izquierda Unida représentée par Gaspar Llamazares pour les faire converger, n’aboutissent, sauf en Catalogne.

Le succès électoral de la coalition basque Bildu est sans doute un autre phénomène qui a secoué le paysage politique. Dans le Pays basque pour sûr, mais au-delà dans une majorité de la société espagnole contaminée en permanence par la propagande médiatique et donc déconcertée devant l’appui social qu’a réuni Bildu. Diverses inconnues s’ouvrent à partir de maintenant quant à son futur, celui de Sortu [en basque ce terme signifie naître ou surgir, cette force dit rejeter la violence armée d’ETA et est apparue sur la scène publique en février 2011] et celui de ETA. Mais il est évident que, au-delà des équilibres que Bildu devra faire dans son travail de gestion institutionnelle, le triomphe électoral d’une gauche abertzale libérée de l’hypothèque de ETA représente un défi tant à l’hégémonie traditionnelle du Parti nationaliste basque (PNV) comme au gouvernement illégitime PSOE-PP et annonce une déstabilisation du cadre politique et social basque dont les conséquences affecteront également le reste de l’Etat espagnol.

La droite espagnole extrême pratique une stratégie d’affrontement avec la gauche nationaliste basque, «entourage de ETA» selon elle, alors qu’elle est toujours plus large. Mais, en réalité, sa crédibilité est à chaque fois moindre, surtout si l’organisation armée décide l’arrêt définitif de la violence armée. S’il en est ainsi, il va s’ouvrir un contexte meilleur pour rouvrir le débat sur le respect du droit du peuple basque à choisir. La montée de Bildu semble également servir de stimulant pour la croissance de gauches nationalistes radicales dans d’autres régions, comme nous le voyons déjà en Catalogne avec les candidatures de Unitat Popular. Mais celles-ci ne devraient pas sous-estimer la nécessité de compter avec une gauche qui défend la reconnaissance de la plurinationalité à l’échelle de l’Etat espagnol tout entier, ni la nécessité pour elles de confluer avec un mouvement comme celui du 15-M. Ce dernier, cependant, manifeste peu de réceptivité à cette problématique.

Dans un récent article [3], Jordi Borja suggérait qu’au vu de ce qui s’est passé lors des élections et sur les places, il fallait «recommencer. C’est ce qui émerge des actuelles mobilisations. Construire à partir des réseaux sociaux et des places d’assemblées, agglutiner des objectifs et revendications et fomenter des actions décentralisées, assumer la diversité des mouvements et développer graduellement une alternative politique.» Il est difficile de ne pas être d’accord avec cette conclusion, tant qu’elle n’est pas comprise comme s’il fallait recommencer à zéro et qu’il soit entendu que la marche vers la construction d’une «alternative politique» devrait se faire à partir du respect de l’autonomie du mouvement du 15-M sans chercher à l’instrumentaliser.

Car on ne peut pas contester la centralité de ce mouvement dans le nouveau cycle qui s’ouvre enfin. En même temps, il serait destructeur de le convertir en un champ d’affrontements ou d’instrumentalisation de la part de différents courants politiques. Au contraire, il faudrait parier sur la découverte par le mouvement de nouvelles failles dans le système pour ouvrir des brèches qui contribuent à la construction progressive d’un bloc social, politique et culturel contre-hégémonique face au bloc actuellement hégémonique et en ascension de la droite. Les partis de la «gauche de la gauche», le nouveau syndicalisme alternatif qui soit capable d’émerger à la surface –  y compris au sein même des syndicats majoritaires – ainsi que les divers mouvements sociaux alternatifs devraient s’insérer dans ce processus de construction du bloc antagoniste avec humilité et désir d’apprendre de toute la créativité que démontre le mouvement du 15-M dans ses débats, ses formes d’organisation et ses répertoires d’actions.

Cela afin de mettre en pratique effective une autre politique et une autre manière de la faire. Parce que, comme l’ont si bien écrit José Manuel Naredo et Tomás Villasante, « nous avons tous été débordés » par cette explosion de la protestation [4]. Pour cette raison même, les «tables rondes de convergence» qui ont commencé à se créer il y a quelques mois devraient éviter de rechercher la vedette dans ce mouvement, éviter de l’instrumentaliser, mais se limiter à le respecter tout en se mélangeant avec les sensibilités et les cultures qui cohabitent en son sein. C’est la même chose que devrait faire une gauche radicale et anticapitaliste qui, du fait qu’elle est en majorité jeune, peut confluer plus facilement avec cette nouvelle génération qui a faim d’idées-forces et de propositions, tout en apprenant d’elle et en s’appliquant à soi-même le slogan: «Nous allons lentement parce que nous allons loin».

C’est probablement dans et avec ce mouvement qu’il sera possible d’avancer dans la construction d’une autre gauche qui propose comme horizon la nécessité de rompre avec les règles du jeu en vigueur depuis l’«Immaculée Transition», depuis la mort de Franco [20 novembre 1975] et faire pression en faveur d’un nouveau processus constituant qui contribue à offrir un cadre plus favorable pour une sortie alternative à la crise systémique actuelle. N’oublions pas en effet que même certaines des revendications que le mouvement du 15-M a mis sur le tapis entrent en collision avec certains pactes qui non seulement ont imposé le silence sur le passé, mais ont imposé les fondations d’un futur qu’on entend imposer, encore trente ans après, à une majorité de la société espagnole qui n’a même pas voté la Constitution de 1978.

Ce pari ne doit toutefois pas nous amener à nous faire des illusions sur les difficultés de concrétiser ce projet à court terme. Il est vrai que, enfin, il semble que commence sérieusement, cette fois, la «lutte de classes depuis en bas». Mais pour le moment, ceux qui pratiquent la «lutte de classes depuis en haut»  – et le font sans complexes depuis longtemps – continuent de gagner. L’arrivée au gouvernement du PP – et avec lui de toute une coalition sociale d’intérêts déterminée à durcir encore plus, si c’est possible, le régime de la Transition et en finir avec ce qui reste de l’Etat providence – doit nous rappeler que le rapport des forces continue d’être défavorable pour ceux et celles d’en bas.

Par conséquent, nous devons penser moins aux prochaines élections et plus comment construire un large et massif mouvement de désobéissance civile qui soit capable de délégitimer, dans les faits, les politiques injustes que veulent appliquer le gouvernement central, les Communautés autonomes et de nombreuses municipalités. Des fruits que peut donner cette opposition sociale pourra naître aussi la sève neuve, si nécessaire, pour cette gauche.

(Traduction A l’Encontre : www.alencontre.org)

Jaime Pastor est professeur de sciences politiques de l’Université nationale à distance (UNED) et membre de la rédaction de la revue Viento Sur. Cet article a été publié dans le numéro 189 de juillet 2011 de l’édition espagnole du Monde Diplomatique.

[1] «Giros y contorsiones», Público, Madrid, 27 mai 2011.

[2] «La emergencia de una nueva izquierda», El Mundo, Madrid, 25 mai 2010.

[3] «Carta de Barcelona: Elecciones y campamentos en las plazas», Sin Permiso, 10 juin 2011.

[4]  «Democracia real, desde abajo, sin siglas y sin jefes», Rebelión.org, 10 juin 2011. Texte publié sur le site alencontre.org en date du 4 juillet 2011.


Lettre ouverte d’Izquierda Anticapitalista : Pour une candidature unitaire anticapitaliste et alternative

Depuis le début de l’année 2010, une crise sociale sans fin s’étend de la Grèce à toute l’Union européenne, contaminant sans cesse d’autres pays. En vérité, aucun pays, et l’UE elle-même, ne peuvent se considérer à l’abri de cette crise. Exécutant à la lettre les ordres de la « dictature des marchés » (autrement dit les dogmes du capitalisme néolibéral), la « troïka », incarnée par le Fond Monétaire International, la Banque Centrale Européenne et l’UE, imposent des politiques d’austérité brutales qui s’attaquent aux salaires, aux pensions et aux droits sociaux dans les pays les plus touchés par la crise. Ces mesures annoncent celles qui, dans un avenir proche, s’imposeront également ailleurs.

Outre leurs objectifs économiques, ces mesures ont une portée politique évidente, parfaitement illustrée dans le cas de la Grèce : grèves générales, luttes ininterrompues depuis plusieurs mois, manifestations et occupations massives… Si toutes ces mobilisations ont pu surmonter une répression féroce, elles ne sont par contre pas parvenues à stopper les diktats de la « troïka », scrupuleusement appliqués par le gouvernement en place.

Le but est d’adresser un message clair à tous les peuples d’Europe : quoi que vous fassiez, luttez autant que vous voulez, nous imposerons quand même nos décisions et nous compterons pour cela sur la soumission des gouvernements, quels qu’ils soient. C’est ainsi que se développe une indignation sociale généralisée, mais dispersés, nourrie par plus de rage que d’espoir, avec une forte capacité de résistance, mais sans alternative politique.

Le mouvement initié dans notre pays le 15 mai dernier est parvenu à articuler la rage avec l’espoir et a ainsi exprimé de manière politique et symbolique l’indignation sociale, mais avec « une autre façon de faire de la politique ».

L’extension territoriale du mouvement aux quartiers populaires, au-delà des campements ; la capacité de générer des réponses solidaires envers ceux qui souffrent le plus durement de la crise (les personnes expulsées de leur logement, les immigrés soumis au harcèlement policier permanent…) ; la capacité de convergence avec les luttes et les mouvement sociaux (féministes, écologistes, de quartier, solidaires, syndicaux… qui résistent depuis des années) démontrée lors des manifestations du 19-Juin contre le Pacte de l’Euro… Tout cela a contribué, parmi les centaines de milliers de personnes qui ont participé au mouvement, à créer une énergie et la conviction qu’il est possible et nécessaire de construire une alternative à la « dictature des marchés ». Une alternative qui repose sur des critères aussi élémentaires que la démocratie et la solidarité entre « ceux et celles d’en bas », ainsi que la justice économique et sociale. Ces aspirations ont conquis l’attention et la sympathie de la majorité de la population. Nous avons là le terreau, la condition nécessaire pour la construction dans notre pays d’une gauche du XXIe siècle.

Le Mouvement du 15-M, et tous les réseaux de résistance et de mobilisation qui peuvent s’articuler à lui ou autour de lui, est un mouvement sans direction à sa tête, auto-organisé et qui se représente lui-même. Cela est un acquis qu’il faut préserver au dessus de tout, parce qu’il est indispensable pour son mûrissement et son développement pluraliste et unitaire. L’engagement des organisations de la gauche politique dans ce mouvement ne doit pas consister à interférer, à phagocyter, à chercher à le « représenter », mais bien à participer loyalement en son sein, à apporter des capacités et des propositions, à contribuer à son renforcement.

Les prochaines élections générales vont poser à la gauche alternative des défis très importants et complexes. Le gouvernement Zapatero entraîne le PSOE dans son naufrage. L’opération Rubalcaba (ex-ministre de l’Intérieur et candidat du PSOE aux prochaines élections, NdT), présentée par le marketing politico-médiatique comme un « virage à gauche » n’a pas la moindre crédibilité, non seulement par le curriculum passé et récent du candidat, mais aussi par la soumission inconditionnelle de son parti et de l’ »Internationale socialiste » aux ordres des « marchés ».

Izquierda Unida, si elle se présente bien en tant que telle, n’est pas considérée comme une alternative par la majeure partie de la gauche sociale et politique. Le Parti populaire, quant à lui, se prépare à tirer profit de l’affaiblissement et du discrédit du gouvernement « socialiste ».

Dans de telles conditions, il naturel que surgissent des appels et des manifestes réclamant l’unité de la gauche lors des prochaines élections. Izquierda Anticapitalista respecte ces initiatives. Nous pensons qu’il est possible de construire une candidature unitaire anticapitaliste et alternative. Une candidature qui soit cohérente avec les enseignements et les espoirs des mouvements qui sont parvenus à ouvrir une brèche dans le mur de la résignation auquel nous nous heurtions depuis de longues années. Sans cette cohérence, l’unité qui pourrait être atteinte ne serait qu’un pur produit de technologie électorale, sans crédibilité sociale, ni horizon politique.

Pour la construction de cette candidature, nous soumettons au débat les idées et les revendications suivantes :

1. Une candidature unitaire anticapitaliste et alternative doit être crédible et donner confiance qu’elle fera ce qu’elle dit. Pour cela :

  • Les candidat-e-s devraient être des activistes sociaux ou politiques qui ne soient pas des professionnels de la politique.
  • L’élaboration du programme et la formation des listes devrait se faire par des méthodes participatives, de haut en bas, ouvertes aux militants et aux activistes de gauche dans chaque localité
  • La campagne doit être bon marché. La liste ne demandera aucun crédit aux banques et se financera exclusivement avec les dons solidaires et avec les subventions publiques auxquelles elle a droit
  • Le salaire des éventuel-le-s élu-e-s devra être équivalent au salaire moyen. L’argent reçu sous forme de jetons de présence, de frais forfaitaires etc. sera utilisé pour soutenir des projets sociaux décidés démocratiquement
  • Les élu-e-s n’occuperont leur poste que pendant une demi-législature (2 ans). Au terme de cette durée, le poste sera occupé par la personne qui suit dans la liste des candidat-e-s.
  • Il y aura une transparence radicale en ce qui concerne le fonctionnement de la candidature et des éventuel-le-s élu-e-s et représentant-e-s institutionnel-e-s dans les organismes de Fondations ou des Caisses d’Epargne. Toute cette information sera publique et en temps réel au moyen d’internet.

2. Il est indispensable d’opter pour un tournant radicalement à gauche dans la politique économique et sociale. Mais il ne peut y avoir aucun « virage à gauche » d’aucune sorte sans une rupture avec les politiques d’austérité de l’UE, du FMI et de la BCE, appliquées chez nous par le gouvernement Zapatero au profit des « marchés » et en premier lieu du pouvoir financier. Pour ce faire, nous soulignons l’importance des mesures suivantes :

  • Rupture avec le Pacte de l’Euro et avec toutes les dispositions exigées par l’UE afin de  limiter les déficits publics
  • Suppression de la Réforme du Code du travail et de la Réforme des pensions.
  • Réduction du temps de travail afin de créer de l’emploi et de répartir les postes de travail salarié et les tâches domestiques
  • Audit social sur la dette publique espagnole, avec la participation de chercheurs qualifiés et de représentants des mouvements sociaux, afin de déterminer les dettes illégitimes qui ne doivent pas être payées
  • Nationalisation des banques, comme condition pour l’accès de crédits aux personnes et aux initiatives de l’économie sociale qui en ont besoin
  • Réforme fiscale qui impose plus lourdement les plus riches et qui lutte contre la fraude fiscale des grandes fortunes

3. La candidature unitaire doit s’identifier avec toutes les mobilisations en cours qui défendent les intérêts des victimes de la crise, en mettant en avant, entre autres points :

  • Prescription de la dette et octroi d’un loyer social public en faveur des personnes risquant d’être expulsées de leur logement pour non paiement de leur hypothèque aux banques.
  • Lutte contre la précarité au moyen d’un revenu social garanti digne pour les chômeurs-euses
  • Lutte contre les réductions des dépenses sociales, dans des secteurs tels que la santé ou l’éducation, au prétexte du déficit, qui fragilisent les droits élémentaires et transfèrent sur le dos des femmes de nombreuses tâches d’attention aux personnes qui ne sont plus assumées par l’Etat
  • Mobilisation en défense du territoire local contre les grandes infrastructures au service des intérêts des grandes compagnies de construction et d’un modèle économique prédateur
  • Abrogation de la Loi sur les Etrangers et fermeture immédiate des centres d’internement pour étrangers

4. La candidature unitaire devrait s’affirmer en rupture avec le paradigme de la croissance et remettre radicalement en question le modèle actuel de production, de distribution et de consommation afin de progresser vers une société basée sur la décroissance de la consommation des ressources naturelle et la croissance du bien-être et de la justice sociale. Il faut exiger la nationalisation du secteur énergétique en le transformant en un service 100% public, qui sorte du nucléaire et qui repose sur les renouvelables.

5. La candidature unitaire devrait s’engager dans le développement d’une démocratie réelle, en assumant particulièrement :

  • Le développement des initiatives législatives populaires et autres instruments de démocratie participative et de caractère décisionnel, comme les référendums qui en découlent.
  • La reconnaissance du droit à l’autodétermination de leur avenir des peuples, comme le peuple basque, catalan ou galicien

6. La candidature unitaire rejetterait les pactes de gouvernement à n’importe quel niveau de pouvoir avec des partis qui représentent et appliquent des politiques contraires aux objectifs de son programme.

Izquierda Anticapitalista veut débattre de ces propositions avec les organisations, plateformes et individus de la gauche sociale et politique. Nous ferons tout qui est en notre pouvoir pour rendre possible une candidature unitaire anticapitaliste et alternative : à partir d’en bas et à clairement à gauche.

Au-delà d’un possible accord, nous continuerons à lutter pour impulser un processus constituant qui mette fin au régime politique et économique de la Transition, base institutionnelle de l’infime qualité démocratique et de la scandaleuse injustice sociale du capitalisme espagnol. Un processus constituant qui permette d’établir une démocratie égalitaire et participative, en harmonie avec la nature, basée sur l’auto-organisation populaire et l’émancipation des hommes et des femmes. Tel est notre socialisme.

Izquierda Anticapitalista. Juillet 2011. www.anticapitalistas.org. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be


Face à la répresssion à la Puerta del Sol : la rébellion ne prend pas de vacances

Comuniqué d’Izquierda Anticapitalista

Ce 2 août, la police anti-émeutes a expulsé les personnes qui campaient dans le Paseo del Prado et à la Puerta del Sol où, en outre, elle a démonté le point d’information permanent qui y subsistait et a détruit la plaque installée sur la statue de Carlos III avec l’inscription « Nous dormions. Nous nous réveillons ». L’opération policière, coordonnée par le Ministère de l’Intérieur et la Municipalité de Madrid, démontre une fois de plus la complicité entre le PSOE et le PP lorsqu’il s’agit « d’affaires d’Etat ».

Et il y a ici deux « affaires d’Etat » : la première, c’est d’imposer l’autorité du système face à un mouvement rebelle qui, totalement indépendant des gesticulations démagogiques des deux partis qui s’alternent au pouvoir, menace de briser les digues de la stabilité du système imposé depuis la Transition. Dans ce sens, l’expulsion de la Puerta del Sol, lieu symbolique du mouvement, veut incarner le « retour à la normalité », autrement dit la domination de l’Etat sur l’espace public et, par là, sur les citoyens-nnes. Dans le contexte de la très grave crise économique espagnole, face à la menace d’un plan de « sauvetage » qui aurait un énorme coût social s’ajoutant à celui dont nous souffrons déjà, le mouvement du 15-M est un facteur essentiel pour la nécessaire résistance sociale et le système veut donc coûte que coûte le désamorcer.

La seconde « affaire d’Etat » est plus prosaïque : il s’agit de garantir au Pape la vue d’une ville propre, débarrassée de « gens dérangeants », lors de sa coûteuse visite à Madrid dans 15 jours. Dans ce sens, la nécessité de participer à la manifestation appelée par plus de 100 organisations contre cette visite à Madrid le 17 août prend encore plus de force. Ce sera une façon de montrer que personne, même pas le Pape, ne peut enterrer le 15-M.

L’impressionnante riposte du Mouvement du 15-M, en rassemblant en ce mois d’août plus de 5.000 personnes en quelques heures, démontre qu’il a complètement rompu avec la passivité du passé et qu’il va réagir face à toutes les tentatives de le réprimer, quel que soit le moment et le lieu. Ce qui s’est passé à Madrid, ainsi que les mobilisations solidaires à Barcelone, Valence, Las Palmas et d’autres villes confirment qu’avec le 15-M, rien ne sera plus comme avant.

3 août 2011. http://www.anticapitalistas.org

Voir ci-dessus