Conférence européenne pour la défense du service public de la santé
Par Jan Malewski le Dimanche, 03 Juillet 2011 PDF Imprimer Envoyer

Face aux attaques visant le service public de la santé et les systèmes publics et sociaux de leur financement, les résistances se multiplient dans les pays de l’Union européenne. Ces attaques, même si elles peuvent paraître différentes du fait de la diversité des systèmes de santé existants, sont coordonnées par les institutions de l’Union européenne (UE) ; pourtant, les résistances restent éclatées. La Confédération européenne des syndicats (CES), qui dispose de moyens pour les coordonner, ne le fait pas. Même les informations sur les diverses voies utilisées par la vague de privatisations de la santé ne parviennent pas à leurs victimes et, dans le meilleur des cas, ne circulent que parmi les spécialistes.

Faisant face à une accélération des privatisations des hôpitaux en Pologne et à la remise en cause du statut de salarié du personnel de la santé (remplacement des contrats de travail par des contrats commerciaux, faisant des salariés des « entrepreneurs individuels »), le Syndicat libre « Août 80 » (1) a pris l’initiative pour réunir les militants syndicaux, politiques, associatifs engagés dans les luttes en défense de la santé publique en Europe.

Les 7 et 8 mai, avec le soutien de l’Institut international de recherche et de formation d’Amsterdam, s’est tenue une première Conférence européenne pour la défense du service public de la santé. Outre les militants de « Août 80 », y participaient les délégations du Syndicat national des infirmières et sages-femmes OZZPiP de Pologne (2), de SUD Santé-Sociaux (3) de France, de la Coordination des Comités de défense des hôpitaux et maternités de proximité (4) de France, de London Health Emergency (5) et de Keep our NHS public (6) de Grande-Bretagne, de Europa von Unten (7) et de Revolutionär Sozialistischer Bund (8) d’Allemagne, du Nouveau Parti Anticapitaliste (9) de France, de Socialistiska Partiet (10) de Suède et de People Before Profit Alliance (11) de la République d’Irlande.

La conférence a fait le point sur l’état des attaques contre les services publics de santé et des privatisations qui s’accélèrent dans tous les pays. Des riches échanges basés sur les expériences militantes ont permis de débattre des moyens pour s’y opposer et des réponses politiques à apporter. Ces débats ont permis de collectiviser les informations sur les rapports de forces dans les différents pays. Par exemple, alors qu’en Pologne, après avoir décentralisé et réduit le budget de la santé, le gouvernement néolibéral du parti Plateforme civique (PO) et du Parti agrarien (PSL) vient de faire voter une loi obligeant tous les hôpitaux en déficit à se « commercialiser » ou se privatiser d’ici fin 2011 ; en Grande-Bretagne (cf. l’article de John Lister), après trois décennies de politiques néolibérales, le gouvernement conservateur libéral hésite toujours à imposer une privatisation généralisée des hôpitaux, craignant d’y perdre sa légitimité…

Ces différences de situations et d’expériences ont resurgi lors du débat sur les moyens de lutter pour la préservation du caractère collectif et non lucratif des services de santé : les camarades du syndicat libre « Août 80 » de Pologne proposent ainsi, pour empêcher la privatisation au profit des trusts privés de santé, de former des coopératives de salariés hospitaliers et des mutuelles sociales dans les localités desservies, qui reprendraient les hôpitaux à leur compte avec un statut non lucratif…

Les camarades de Grande-Bretagne, de la République d’Irlande et de Suède ont pour leur part fait état de l’expérience dans leurs pays : le passage par des coopératives ou des entreprises privées sans but lucratif a été un pas vers la privatisation ! La discussion a permis de clarifier les démarches et d’aboutir à un accord général : quels que soient les dangers à moyen et à long terme auxquels font face les coopératives dans une société dominée par la concurrence capitaliste et quelles que puissent être les expériences négatives de la gestion étatique (bureaucratique et corruptrice) de la santé publique, ce qui doit orienter les démarches en défense de la santé publique c’est son caractère social, adapté aux situations et dans chaque pays. De ce fait la démarche des camarades de Pologne n’est nullement en contradiction avec celle des camarades de Grande-Bretagne, de Suède ou d’Irlande !

Les participants à la conférence ont décidé de construire une coordination européenne, d’établir des contacts et la coopération avec les autres réseaux existants qui se donnent des buts similaires afin de l’élargir à un plus grand nombre de pays et à toutes les organisations populaires — syndicats, partis, associations et mouvements — qui partagent les mêmes buts. Les camarades du Syndicat libre « Août 80 » et de l’OZZPiP se sont engagés à préparer une prochaine conférence européenne en automne 2011 à Katowice (Pologne).

Jan Malewski, rédacteur d’Inprecor, militant du Nouveau parti anticapitaliste (France) et membre du Bureau exécutif de la IVe Internationale, a participé à l’organisation de cette conférence.

Notes:

1. Le Syndicat libre « Août 80 » (Wolny Zwiazek Zawodowy « Sierpien 80 ») a été fondé en 1992 par des syndicalistes issus du syndicalisme clandestin de Solidarité, opposées à la restauration du capitalisme en Pologne et décidés à poursuivre le combat en défense des droits et des intérêts des salariés. Il a dirigé certaines des plus grandes grèves dans l’histoire récente de la Pologne (contre la privatisation au profit de Fiat de la Fabrique des voitures FSM en 1992, dans le complexe sidérurgique Huta Katowice en 1994, dans la mine de charbon KWK Budryk en 2007-2008, première grève dans les supermarchés en Pologne, chez Tesco…). Son congrès a engagé le syndicat dans la construction du Parti polonais du travail (PPP) pour doter les salariés d’une représentation politique. Il édite un hebdomadaire, « Kurier Zwizakowy » (Courrier syndical), diffusé gratuitement à plus de 20 000 exemplaires. Ses militants mineurs de fond ont organisé la protection de la lutte des infirmières — le « village blanc » devant le siège du Premier ministre — du 19 juin au 15 juillet 2007.

2. Syndicat national des infirmières et sages-femmes (Ogolnopolski zwiazek zawodowy pielegniarek i poloznych, OZZPiP) a été fondé en 1996 en regroupant diverses organisations syndicales régionales catégorielles d’infirmières et sages-femmes. Il regroupe 80 000 membres (sur 200 000 infirmières et sages-femmes en Pologne) et a conduit une longue lutte (grève de la faim, occupation de la place devant le siège du Premier ministre, connue comme « le village blanc ») en été 2007 pour que les salarié-e-s de ses catégories ne soient pas des laissées pour compte.

3. La Fédération nationale SUD Santé-Sociaux (CRC jusqu’en 1997) a été fondé en 1989 par des militant-e-s de la CFDT exclu-e-s à la suite de la grève des infirmières qu’elles et ils avaient animé, avec d’autres. SUS Santé-Sociaux a participé à la construction de l’Union syndicale Solidaires. Il regroupe 89 syndicats et 15 500 membres, en progression régulière depuis 1996.

4. Coordination des Comités de Défense des Hôpitaux et Maternités de Proximité a été créé en avril 2004 à l’initiative des comités luttant contre la fermeture des hôpitaux à Saint Affrique (Sud Aveyron, France) et Lure-Luxeil (Haute Saône, France). Elle regroupe plus de 70 groupes et comités, présents dans toute la France.

5. London Health Emergency (Urgence pour la santé) est un collectif regroupant des campagnes en défense du système de santé publique et de lutte contre la fermeture des hôpitaux, fondé en 1983. Il coordonne et anime les mobilisations locales depuis sa création et présente les analyses des contre-reformes de la santé. Son dirigeant, John Lister, a publié un guide critique de ces réformes en Europe, Amérique du nord et en Australasie, Health Policy Reform : Driving the wrong way ? (Réforme de la politique de la santé : une voie erronée ?), Middlesex University Press, 2005 ainsi que The NHS after 60 — For patients or profits ? (Le système national de santé après 60 ans — pour les patients ou pour le profit ?), Libri publishing, 2008.

6. Keep our NHS public (Préserver notre système national de santé public) est le nom de la campagne unitaire britannique contre la privatisation du système de santé.

7. Europa von Unten (L’Europe d’en bas) est un réseau d’organisations et d’individus fondé en Allemagne en juin 2004 lors de la rencontre européenne des ATTACs pour lutter contre l’austérité, les privatisations, la militarisation, la destruction de la nature… à l’échelle européenne.

8. Revolutionär Sozialistischer Bund (Ligue socialiste révolutionnaires) est une des deux fractions publiques de la section allemande de la IVe Internationale.

9. Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) a été fondé en 2009 à l’initiative de la Ligue communiste révolutionnaire (section française de la IVe Internationale) pour regrouper les militants anticapitalistes en France.

10. Socialistiska Partiet (Parti socialiste) est la section suédoise de la IVe Internationale.

11. Peoples Before Profit Alliance (Alliance le peuple avant le profit) a été fondé en 2005 par des militants de diverses campagnes locales et regroupe diverses organisations, dont le Socialist Workers Party (section irlandaise de la Tendance socialiste internationale), le Community & Workers Action Group et des militants de Campaign for an independent left (Campagne pour une gauche indépendante). Parmi ses axes de campagne celui de la lutte pour un service de santé gratuit, de qualité et universel figure en premier.




Déclaration d’Amsterdam

Par la Conférence européenne pour la défense du service public de santé

À l’initiative du Syndicat libre « Août 80 » de Pologne, les 7 et 8 mai 2011 se sont réunis à Amsterdam des militants syndicaux, associatifs et politiques agissant pour la défense de la santé de six pays d’Europe : Pologne, France, Grande-Bretagne, Irlande, Allemagne et Suède.

Ils ont constaté la simultanéité des attaques contre les droits de la population en matière de santé et contre les systèmes de soins par une privatisation croissante et une marchandisation de la santé et de la protection sociale.

Une brutale accélération de ces attaques s’est produite avec la mise en place de politiques d’austérité partout en Europe.

La défense du droit à la santé, à la protection sociale relève d’une mobilisation de toute la population, au-delà de celle des professionnels de santé. C'est pourquoi il est urgent de construire dans chaque pays le cadre le plus large, associant la population, les syndicalistes, militants du mouvement social et politique contre les politiques de privatisation, la corruption en matière de santé et les nouveaux sacrifices que le capitalisme tente d’imposer.

D’ores et déjà, la Conférence soumet à la discussion de chacune des organisations, la nécessité de construire la coordination européenne d’un tel cadre autour des revendications de:

  1. Universalité d’accès à toutes et à tous au système de santé, à l’ensemble des soins de santé et à la protection sociale,
  2. Gratuité des soins et refus de toute restriction à l’accès aux soins de la population,
  3. Démocratie sanitaire et détermination par la population elle-même des besoins de santé,
  4. Soins de santé basés sur un financement public et collectif, car la santé ne peut être source de profit.
  5. Cette première expérience pourrait être prolongée par un élargissement à un plus grand nombre de pays d’Europe de ce réseau et à toutes les organisations populaires qui partage ce point de vue.

Une nouvelle Conférence pourrait se tenir, dans ce cadre, en novembre 2011, en Pologne.

La Conférence d’Amsterdam, le 8 mai 2011


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