Forem conseil ou Forem contrôle ?
Par Freddy Bouchez, Bernadette Schaeck le Mercredi, 29 Juin 2011 PDF Imprimer Envoyer

Ca bouge au Forem ! Le ministre wallon de l’emploi, André Antoine, réoriente les missions de l’organisme régional afin de les centrer sur l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi. Un nouveau Forem pour mieux aider les chômeurs ? Rien n’est moins sûr car les modifications prévues risquent d’accentuer le contrôle exercé au niveau fédéral par l’ONEm… entraînant un cumul des sanctions. Explications.

Un nouveau Forem ?

Le ministre régional de l’emploi, le cdH André Antoine, soumettra prochainement au gouvernement wallon un projet de « Décret sur l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emploi et la coopération pour l’insertion ». Ce décret règlera les relations entre le Forem et les opérateurs de formations (OISP, EFT ( )) qui collaborent avec lui ( ). Mais contrairement à ce que l’intitulé du projet laisse supposer, il n’y aura pas de débat sur le contenu de l’ « accompagnement individualisé ». En effet, ce processus est déjà largement engagé depuis début 2010 et aura atteint sa vitesse de croisière fin de cette année quand les 700 travailleurs prévus pour son fonctionnement auront tous été engagés.

Vers un meilleur accompagnement des chômeurs wallons ?

L’idée suppose qu’un conseiller référent unique gère l’ensemble du parcours d’un demandeur d’emploi. Il élabore avec lui un « plan d’actions évolutif et adapté à la personne et à l’état des besoins du marché ( )». Ce plan d’actions est obligatoire. Refuser de le signer peut entraîner des sanctions en raison de la transmission d’informations du service public régional de l’emploi (SPRE) ( ) à l’ONEm ( ).

Le Forem signale à l’ONEm les « manquements » du chômeur, tels que la non présentation à une convocation, un refus ou abandon de formation, un refus d’outplacement, l’arrêt d’un parcours d’insertion, la non présentation à une offre d’emploi transmise par le SPRE, et dorénavant également le refus du plan d’actions régional. Le chômeur se retrouve alors en « audition litige » à l’ONEm et est susceptible de perdre plusieurs mois d’allocations, voire d’être exclu. La transmission des données a fait exploser le nombre de sanctions ( ) pour « chômage volontaire ».

La double contractualisation entraîne le risque d’une double sanction

Certains demandeurs d’emploi, qui sont engagés dans un plan d’actions au Forem, ont également signé un contrat à l’ONEm (quand leurs efforts de recherche d’emploi ont été jugés insuffisants). Non seulement les exigences imposées sont parfois contradictoires mais en plus elles sont toujours cumulatives ; tout comme les sanctions prononcées en cas de non-respect d’une ou plusieurs clauses des contrats. Cette situation est d’autant plus dangereuse pour les chômeurs que certains plans d’actions Forem sont plus contraignants encore que ceux de l’ONEm. De plus, la contractualisation au Forem est, contrairement à celle pratiquée à l’ONEm depuis 2004, permanente. Or, plus la période de contrat est longue, plus il est compliqué pour les demandeurs d’emploi de tenir leurs engagements.

Un plan de chasse aux chômeurs bis ?

Le caractère foncièrement positif de l’ « accompagnement individualisé » des chômeurs est présenté comme une évidence qui ne souffrirait aucune contestation. Pourtant, il n’est pas automatiquement une bonne chose. Il ne peut, en tout cas, pas l’être s’il prend la forme d’une contractualisation obligatoire avec menace de sanctions.

Or, l’accompagnement par le Forem commence à ressembler furieusement au contrôle exercé par l’ONEm. Et ses finalités sont, somme toute, les mêmes : faire coller les plans d’actions des demandeurs d’emploi « à l’état des besoins du marché ( ) » du travail, marché sur lequel très peu d’emplois sont à vendre et où ceux qui le sont, sont frappés du sceau de la précarité !

Trier les chômeurs en catégories

Le Forem envisage de trier les chômeurs en 4 catégories selon leur éloignement supposé de l’emploi : les personnes qualifiées prêtes à l’emploi, celles auxquelles il ne manque pas grand-chose pour répondre aux exigences du marché de l’emploi, celles qui ont besoin d’un parcours de formation, et enfin les « MMPP », c’est-à-dire les personnes présentant des problèmes de nature médicale, mentale, psychique ou psychiatrique.

Les 3 premières catégories existent déjà dans les faits, même si les demandeurs d’emploi n’en portent pas (encore) officiellement l’étiquette.

La catégorisation des MMPP représenterait, elle, une nouveauté. Mais une nouveauté préparée de longue date au niveau fédéral et appelée à être étendue à tous les SPRE.( ) En effet, le conseil des ministres a adopté en mars 2010 une série de mesures au sujet du contrôle des chômeurs ( ). Il s’est rallié à une série de propositions adoptées par le collège des fonctionnaires dirigeants de l’ONEm et des SPRE, dont la définition de la catégorie des MMPP. Suite à la chute du gouvernement, les décisions prises en mars 2010 restent en rade, mais des groupes de travail ont continué à fonctionner.

Les MMPP feraient l’objet d’un « screening » individuel, étalé sur une période de 3 mois, déterminant les forces et les faiblesses des chômeurs. Ils devraient ensuite signer un plan d’actions d’une durée maximale de 18 mois. En contrepartie, le contrôle de l’ONEm dans le cadre du plan d’activation serait suspendu pendant cette période.

Une question reste à ce jour sans réponse : quel serait le contenu des plans d’actions ? Un document daté de juin 2009, élaboré par le VDAB et transmis au collège des fonctionnaires dirigeants, émettait une série de propositions à l’architecture extrêmement complexe, envisageant une multitude de situations diverses. Nous ignorons ce qu’en ont retenu les différents comités de gestion. Toutefois, deux propositions se retrouvent en lame de fond et risquent d’être retenues : la « resocialisation » passerait, dans beaucoup de cas, par du travail non rémunéré et par un « accompagnement de soins » obligatoire.

Une garantie ou un danger pour les MMPP ?

Les demandeurs d’emploi étiquetés MMPP devraient signer un plan d’actions obligatoire. Qui dit plan d’actions obligatoire, dit automatiquement risque de sanctions en cas de non respect d’une ou plusieurs des clauses du contrat. Or ces plans d’actions seront imposés aux personnes les plus fragiles, et donc les moins susceptibles de pouvoir satisfaire aux  exigences imposées par le conseiller référent. Cette situation est particulièrement préoccupante  aussi longtemps que la volonté politique en matière de contenu des contrats n’est pas précisée.

Une autre question se pose : qu’adviendra-t-il des MMPP au terme de la période de screening puis de plan d’actions (au maximum 21 mois) ? Seront-ils à nouveau purement et simplement soumis au plan de contrôle de l’ONEm ? Ne seront-ils pas menacés d’exclusion parce qu’ils ne se sont pas suffisamment « rapprochés de l’emploi » malgré la « chance » qui leur a été offerte ?

Quoi qu’il en soit, il y a beaucoup à craindre que l’étiquette MMPP qui leur a été collée pendant plusieurs mois risque de les suivre tout au long de leur parcours, et en définitive de se retourner contre eux.

Droit à la santé ou soins forcés au service de l’employabilité ?

Il est indéniable que de nombreux chômeurs sont en mauvaise santé physique et psychologique, et qu’ils sont en butte à de graves difficultés sociales (logement, endettement). C’est souvent la conséquence directe d’une situation de chômage (ou de travail précaire) prolongée. Les professionnels de la santé et de la santé mentale en particulier peuvent en témoigner abondamment.

Il est tout aussi indéniable que ces mêmes chômeurs éprouvent des difficultés à se soigner correctement. Les ressources financières insuffisantes dont ils disposent, et l’absence de structures de soins de qualité accessibles à tous, laissent un nombre important de personnes sur le carreau. L’impossibilité de payer les factures liées aux soins de santé est d’ailleurs une des causes importantes du recours aux services de médiations de dettes.

Alors que le droit à la santé est de plus en plus mis à mal, les demandeurs d’emploi les plus fragiles seraient obligés de se soigner, sous peine de sanctions voire d’exclusion, dans le seul but d’être « employables ».

Droit à une aide sociale ou aide sociale contrainte au service de l’employabilité ?

Afin de répondre aux problèmes rencontrés par les personnes les plus éloignées de l’emploi, le Forem a créé une fonction sociale. Après une expérience pilote menée à Liège et à Namur, des travailleurs sociaux sont progressivement engagés dans chaque bureau régional. Ils prennent en charge une partie du parcours du demandeur d’emploi avant de le réorienter vers le conseiller référent. Ils seront certainement amenés à prendre en charge une partie des plans d’actions imposés aux MMPP.

Alors que les services sociaux « généralistes » auprès desquels toute personne en difficulté, (chômeuse ou pas), pouvait solliciter une aide ont pratiquement disparu, des travailleurs sociaux sont engagés pour obliger les demandeurs d’emploi les plus fragiles à mener des actions (improbables) dans le seul but d’être « employables ».

Tout cela pose des questions évidentes de déontologie pour les travailleurs sociaux, les travailleurs de la santé et tous les acteurs qui seront sollicités par le Forem pour mettre en place sa nouvelle politique.

La catégorisation : aux antipodes d’un véritable accompagnement individualisé

La catégorisation des chômeurs risque de cantonner chaque chômeur dans une case dont il lui sera difficile sinon impossible de sortir. Ceux qui sont considérés « aptes à l’emploi », seront obligés de chercher un travail et interdits de suivre une formation. Ceux à qui il ne « manque pas grand-chose » pour répondre aux exigences du marché de l’emploi devront se conformer à des conditions d’embauche qui frisent la discrimination.

Les plus jeunes, pourtant parfois qualifiés, devront accumuler de l’expérience professionnelle dans des systèmes précaires tels que les stages en entreprises. Ceux qui sont considérés comme « ayant besoin d’une formation » seront contraints de s’inscrire dans ce processus en excluant la recherche directe d’emploi. Enfin, ceux qui sont étiquetés « MMPP » seront d’office écartés de toute recherche d’emploi et certains d’entre eux seront orientés vers des voies qui ne leur conviennent absolument pas.

Au bout du compte, chaque chômeur risque l’exclusion des allocations s’il ne reste pas dans la case que son conseiller lui a assignée.

Contrairement aux belles déclarations de principe, chacun n’aura pas « sa chance ». Mettre les chômeurs dans des tiroirs permettra de s’occuper en priorité des personnes qui ont le plus de chance de retrouver plus ou moins rapidement un emploi. La crainte est grande de voir le Forem prendre en charge de manière prioritaire les deux premières catégories en orientant les deux autres vers des organisations de formation privés ou vers les CPAS.

Personnes éloignées de l’emploi ou emplois éloignés des personnes ?

Les exigences des employeurs sont de plus en plus grandes : en matière de qualification, d’expérience professionnelle, de mobilité, de flexibilité, de possession d’un moyen de transport, de détention d’un permis de conduire, de connaissances linguistiques… Même pour des emplois qui ne nécessitent pas de qualification particulière, un diplôme ou expérience sont exigés.

L’accès aux formations, principalement qualifiantes, du Forem, est de plus en plus difficile.  Seuls les demandeurs d’emploi les plus performants peuvent encore entrer dans les filières de formation professionnelle du service public.

Les opérateurs privés de formation exigent eux aussi de plus en plus de pré-requis. Les critères d’évaluation leur donnant accès aux subsides les amènent à être de plus en plus sélectifs.

Pour une véritable politique de création d’emplois

Ni le plan de contrôle organisé par l’ONEm depuis 2004, ni l’accompagnement individualisé du Forem, ne créeront des emplois. La politique menée par les pouvoirs publics continue à faire croire que la solution dépend des efforts individuels fournis par les chômeurs. Alors que ce dont la population a besoin, c’est d’une véritable politique de création d’emplois de qualité. Autour de revendications telles que la réduction du temps de travail avec embauches compensatoires, sans perte de salaire et sans augmentation de la flexibilité ; un plan public de création massive d’emplois qui correspondent aux besoins sociaux de la population et qui soient respectueux de l’équilibre écologique de la planète ; la création d’emplois de qualité qui assurent à chacun un revenu décent et une protection sociale de haut niveau.

Pour financer ces emplois publics de qualité, un autre partage des richesses devra s’opérer, par exemple, en imposant les grosses fortunes, en luttant contre la fraude fiscale (s’élevant à vingt milliards par an), ou encore en mettant fin aux multiples aides à l’emploi et aux  innombrables cadeaux fiscaux offerts au patronat (tels que les intérêts notionnels).

Freddy Bouchez est accompagnateur syndical FGTB/Centre. Bernadette Schaeck est militante en défense des allocataires sociaux.


La contractualisation remet en cause le principe même de la sécurité sociale

La contractualisation doit être rejetée dans son principe même. Elle ajoute un nombre potentiellement illimité de conditions à remplir pour le maintien du droit aux allocations. Or, plus il y a de conditions, plus il y a de contrôle pour vérifier si elles sont remplies et plus il y a de risques de sanctions si elles ne sont pas respectées. La contractualisation soumet le droit à des conditions subjectives, au contraire de conditions claires et objectives applicables à tous, et ouvre la porte toute grande à l’arbitraire.

La protection sociale en devient tout à fait aléatoire

Historiquement, les allocations de chômage constituaient une assurance contre le risque pour un travailleur de perdre son emploi. La contractualisation leur enlève le caractère assurantiel.  Le droit est devenu un droit « à mériter » : il n’est donc plus à proprement parler un droit.


Après les MMPP, d’autres catégories ?

Le conseil des ministres de mars 2010 a retenu 3 autres catégories de demandeurs d’emploi éloignés du marché de l’emploi :

  • Les demandeurs d’emploi éloignés du marché de l’emploi pour une autre raison (problèmes très importants de capacité de socialisation)
  • Les demandeurs d’emploi non-orientables
  • Les demandeurs d’emploi inaptes au travail totalement (handicapés congénitaux) ou partiellement (entre 33 et 66%)

Le collège des fonctionnaires dirigeants de l’ONEm et des SPRE était chargé de proposer,  pour chacune de ces catégories, une définition et une procédure de prise en charge. Le travail devait avoir abouti fin juin 2010 pour la catégorie des demandeurs d’emploi ayant des problèmes de « capacité de socialisation ». Les propositions pour les deux autres catégories devaient être faites « à moyen terme », sans plus de précisions.

Où en sont ces travaux ?

Joëlle Milquet, ministre fédérale de l’emploi, n’a pas apporté de réponse claire à la question  posée à ce sujet par la députée Zoé Genot en commission des affaires sociales .

Un débat plus vaste sur la notion d’ « invalidité » est annoncé en commission des affaires sociales dans les prochaines semaines. Attention danger ? Assurément. Il existe un projet de coopération entre le Forem et les mutualités en vue de la réinsertion professionnelle des bénéficiaires d’indemnités de mutuelle (primaire ou d’invalidité). Le rôle du médecin conseil serait central dans cette procédure. Or il est celui qui décide du maintien ou non du droit aux indemnités. Affaire à suivre…


Article rédigé pour la revue du Collectif Solidarité Contre l’Exclusion :

http://www.asbl-csce.be/journal/Ensemble71Chomage.pdf

Notes :

1)  Organisme d’insertion socioprofessionnelle, Entreprise de formation par le travail.

2) Le nouveau décret remplacera le DIISP (dispositif intégré d’insertion socioprofessionnelle) actuellement en vigueur.

3)  « Orientations relatives à un projet de décret sur l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emplois et la coopération pour l’insertion », note sur base de laquelle le ministre Antoine est chargé de rédiger le projet de décret.

4)  Il y en a quatre : Forem, Actiris (région bruxelloise), ADG (communauté germanophone) et VDAB (région flamande)

5)  Depuis 2004, un accord de coopération entre l’Autorité fédérale, les régions et la communauté germanophone oblige les services publics régionaux de l’emploi à transmettre systématiquement  à l’ONEM un certain nombre d’informations concernant le demandeur d’emploi. C’était à l’époque une revendication importante de la FEB…

6)  Voir rapport annuel 2009 de l’ONEM  www.onem.be

7)  Idem « Orientations relatives à un projet de décret sur l’accompagnement individualisé des demandeurs d’emplois et la coopération pour l’insertion ».

8)  www.uvcw.be

9)  milquet.belgium.be

10)  Voir compte-rendu intégral de la commission des affaires sociales du 8 février 2011, pages 8 à 14 www.lachambre.be

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