Question nationale dans le monde arabe : les Amazighs d’Afrique du Nord
Par Hareb Khelifa le Vendredi, 15 Avril 2011 PDF Imprimer Envoyer

Le vent révolutionnaire qui a balayé les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient a animé l’intérêt de la gauche sur cette région. Les termes « monde arabe », « région arabe » ou même « révolution arabe », couramment utilisés, ont le défaut d’être basés sur l’ethnicité. Or, comme avertit notre camarade Hareb Khelifa, militante de la Gauche Socialiste, section québecquoise de la IVe Internationale) dans ces pays dont la langue dominante est l’arabe, plusieurs peuples minoritaires ont subi l’oppression des dictatures en place. Les soulèvements de masse et le renversement de gouvernements marquent la fin d’un cycle politique ouvert par le nationalisme arabe dans les années 1950. Pour asseoir son pouvoir, ce nationalisme bourgeois s’est basé sur l’imposition d’une langue (l’arabe classique) et d’une religion (l’islam), au détriment de l’émancipation des classes populaires et surtout aux dépens de peuples non arabes dont les Berbères. Nous publions ce texte qui rappelle le combat du peuple berbère en Algérie, car il est nécessaire de garder en tête la situation des peuples opprimés sous les régimes dictatoriaux d’Afrique du Nord, aujourd’hui en pleine crise. Bien que l’arabe soit la langue majoritaire dans les pays de l’Afrique du Nord, il demeure que des millions de Berbères, comme moi, continuent à parler leur langue berbère (tamazight), de plus en plus en recul, résistant ainsi difficilement à leur disparition programmée. (LCR-Web)

La lutte pour la reconnaissance de la culture berbère en Algérie ou en Afrique du Nord est primordiale. Cette culture est brimée par une idéologie officielle, ciselée et prônée par les régimes dictatoriaux, qui ont opté au lendemain des indépendances pour la politique d’arabisation des populations autochtones (pour la majorité berbères), pour qui la langue arabe initialement était une langue étrangère.

Il faut savoir que le processus d’arabisation est enclenché dans cette région depuis des siècles. Il s’est accentué après les indépendances, car cette arabisation a été imposée par des dictateurs nationalistes, panarabistes et staliniens, sous le prétexte fallacieux d’une décolonisation culturelle et linguistique. Ce bloc arabe, ou encore le « monde arabe », est une invention de Nasser en Égypte, d’Assad en Syrie, de Kadhafi en Libye, de Boumedienne en Algérie. Le monde arabe est une machine politique néocoloniale préfabriquée qui ne fait que perpétuer notre aliénation, notre soumission. Aujourd’hui que ces régimes sont discrédités et poussés à la sortie par leurs peuples, le renouveau démocratique impose de rompre avec les politiques et les idéologies de ces régimes. Dans le cas contraire, tout héritage fera reconduire les mêmes bêtises commises dans le passé (répression, brimade, soumission, aliénation, injustice). Continuer donc à noyer les populations berbères dans ce bloc arabe et les présenter sous l’appellation « arabe » c’est faire preuve de persistance dans un ordre, dans une pensée aujourd’hui révolue.

Même au sein de la langue arabe, une distinction est de mise entre l’arabe dialectal (l’algérien, le marocain) et l’arabe classique, littéraire. Si le premier est la langue effectivement pratiquée par la majorité des populations algérienne et marocaine, qui tient son existence de cette pratique même, le second en revanche est imposé à ces populations à l’école, dans les médias et dans le discours officiel des gouvernants. La politique officielle en Algérie particulièrement a fait de l’arabe dialectal et du berbère (homme, culture et langue) des objets dépréciés, dévalorisés, hybrides et archaïques, pour promouvoir en contre-partie l’arabe classique, la langue pure et sacrée (celle du Coran). Cette promotion est menée dans le but de s’insérer dans le bloc idéologique arabo-islamique transnational (la Oumma al arabiya) dont l’arabe et l’islam sont les seuls éléments qui définissent l’identité de l’ensemble des pays s’étalant du Moyen Orient à l’Atlantique, même si cela trahit les réalités locales et nationales. Ainsi, aujourd’hui, parler en langue arabe ne signifie pas que l’on soit Arabe ou agent au service du pouvoir en place, comme il était de ces Algériens qui parlaient parfaitement le français (durant la colonisation) et qui, malgré leur parfaite maîtrise de cette langue, ont toujours été désignés Indigènes, Musulmans, Arabes, Africains du Nord, Bougnouls... mais jamais Français. L’habitant de l’Afrique du Nord n’est pas exclusivement arabe. Persister à le dire, c’est persister à faire dans le déni identitaire et faire abstraction de pans entiers de l’histoire de cette région. Comme Kateb qui parlait aux Français en français pour leur dire qu’il n’est pas Français, je parle, j’écris en arabe pour dire aux Arabes que je ne suis pas Arabe.

Un peu d’histoire

En 1949, le programme du PPA (Parti du peuple algérien, indépendantiste), qui ne retenait dans sa définition de la personnalité algérienne que les éléments arabe et musulman, a suscité une crise sans précédent dans les annales de l’histoire algérienne.

En effet, des militants berbéro-marxistes, refusant une définition ethnique et religieuse de la future Algérie et rejetant une telle restriction de l’identité nationale, se regroupèrent autour de l’idée de l’Algérie algérienne, celle qui prendra en considération l’ensemble de l’identité algérienne, dans ses diverses dimensions et composantes. La réponse de l’instance dirigeante du PPA est sans appel. Taxés de berbéristes, d’agent à la solde de la France coloniale, ces militants sont exclus et d’autres carrément assassinés.

En 1963, un an après l’indépendance, une révolte éclate. Elle est menée par le Front des forces socialistes, un parti de gauche qui a refusé la dictature et l’appropriation du pouvoir par un groupe de chefs de guerre autoproclamés. Parmi les causes du conflit, on trouve le déni identitaire qui se caractérise par le rejet de la langue et la culture berbère et la confiscation par des putschistes de l’indépendance algérienne pour qui la Kabylie (région berbérophone) a payé un lourd tribut. La guerre fratricide qui éclate se solde par la mort de plus de 400 Kabyles (Berbères), tous anciens combattants du FLN contre l’armée coloniale.

En 1980, l’absence de libertés (individuelles et collectives) et la répression féroce exercée par le pouvoir en place suscitent la grogne populaire. Après l’interdiction d’une conférence sur les poèmes berbères anciens, toute la Kabylie se soulève. La contestation, qui part de l’université de Tizi Ouzou, est menée par des milliers d’étudiants et touche toute la Kabylie et Alger, secoue sérieusement le pouvoir en place et ébranle le dogme de la pensée unique. C’est le printemps berbère ! Là encore, la revendication identitaire et linguistique est la pierre angulaire du mouvement de protestation. La répression, une fois de plus, est atroce : des centaines de blessés et de torturés, une vingtaine d’étudiants et militants berbéristes emprisonnés, dont la plupart appartient au mouvement d’extrême gauche appelé GCR (Groupe communiste révolutionnaire, le PST après l’ouverture démocratique en 1988). Ils sont par surcroît taxés de régionalistes, d’athées, d’éléments à la solde des puissances étrangères...

Puis en 2001, dix ans avant l’actuel vent de liberté qui souffle sur les pays voisins, la Kabylie, suite à l’assassinat d’un jeune lycéen dans une brigade de gendarmerie, connait un véritable soulèvement populaire, malheureusement contenu à cette région par le pouvoir répressif. Similaire aux révolutions que vivent les pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient en ce moment, le mouvement se lève contre le déni identitaire, l’injustice sociale et la répression. Le bilan est de nouveau macabre pour les Kabyles : 127 jeunes tombent victimes des balles assassines des forces de la répression.

La résistance continue

Comme on l’a constaté, la lutte pour tamazight se fait dans des conditions difficiles et souvent périlleuses, mais elle est menée continuellement. 
C’est avec cette lutte pour tamazight que mes camarades et moi avons appris l’abc du militantisme. Le combat pour notre langue et la culture berbère, que l’on a toujours associé aux revendications démocratiques et sociales (droits et libertés individuels et collectifs, justice sociale), nous a fait tôt prendre conscience des méfaits d’un pouvoir dictatorial et de son idéologie cynique dont l’objectif est sinon l’effacement identitaire, du moins l’aliénation culturelle et linguistique.

L’arabe prôné par les gouverneurs des pays de l’Afrique du Nord, instrument d’islamisation et d’endoctrinement des populations, est une arme idéologique redoutable, d’autant plus pour les minorités linguistiques et ethniques comme la minorité berbère. Le Mouvement culturel berbère qui est une organisation de masse horizontale. Elle a milité et milite toujours pour la reconnaissance officielle de l’identité amazighe (berbère) dans toutes ses dimensions. Ce MCB a toujours été le réservoir de militants et de militantes d’extrême gauche (trotskystes) qui ont d’ailleurs toujours associé le combat pour la cause amazighe aux revendications sociales des masses, tout en continuant à revendiquer le changement radical. Ces militants ont toujours attiré notre attention sur les amalgames et les confusions au sein des pays dits « arabes », amalgames qui peuvent s’avérer pervers si on persiste à les maintenir.

Montréal, le 29 mars 2011

Article publié sur le site: www.lagauche.com

Source de la photo : www.amazighwolrd.org

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