Syndicats dans l'Etat espagnol: Un « pacte global » suicidaire
Par Miguel Romero le Mercredi, 26 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

Depuis plusieurs semaines, on entend de manière répétée le refrain d'un « pacte social », ou « pacte global », comme moyen pour parvenir à « une sortie juste et équilibrée de la crise ». Cela ressemble fortement à la « grande coalition » formée par un gouvernement PSOE-PP que certains commentateurs proposent depuis plusieurs années pour brouiller les cartes, ce qui représente en définitive leur raison d'être et source de revenus. La nouveauté et la gravité de l'affaire, c'est qu'aujourd'hui le principal propagandiste d'un « pacte social » n'est autre que le secrétaire général du syndicat CCOO et, ce qui est pire, que cette orientation a obtenu un soutien pratiquement unanime au sein du Conseil confédéral de ce dernier (avec 158 votes pour, 1 contre et 15 abstentions).

Tout ce qui a été fait, et surtout tout ce qui n'a pas été fait, depuis la grève générale du 29 septembre de la part des syndicats majoritaires affaiblit les possibilités ouvertes par cette grève afin de reconstruire un tissu syndical militant et des capacités de mobilisation, de résistance sociale à moyen terme, nécessaires pour affronter avec des chances de succès la crise capitaliste.

On a pas répondu, par exemple, avec force et conviction à la campagne politico-médiatique qui caractérisait la grève générale comme un « échec » afin de rendre plus difficiles de futures mobilisations. On a rien fait pour revitaliser les secteurs dans lesquels la grève n'a pas atteint ses objectifs (les banques, l'administration publique, la santé...). On a pas suscité dans l'opinion publique une vision critique vis à vis des réformes du gouvernement, capable de comprendre et déjouer les pièges du vieux conte selon lequel « les sacrifices d'aujourd'hui sont la prospérité de demain » et centrée sur des alternatives justes, bien qu'elles ne peuvent être obtenues immédiatement. Enfin, pour ne pas rendre la liste interminable, on a pas organisé un plan d'actions et de mobilisations soutenues, qui maintiennent dans la lutte de manière active les travailleurs qui se sont mobilisés le 29 septembre et qui stimule ceux qui ne l'ont pas fait à ce moment là.

De telles tâches, raisonnables et possibles, ont été remplacée par une attitude passive, qui a cédé toute l'initiative au gouvernement qui a transformé, au cours du dernier trimestre, en un grand événément « social » la nomination d'un nouveau ministre du Travail...

Depuis lors, l'ambiguïté calculée des positions des syndicats CCOO et CGT a été croissante face aux « réformes » du gouvernement (non pas exiger le retrait de la « réforme du code du travail », mais seulement celui de ses « aspects les plus négatifs »; ne pas rejeter globalement la réforme des pensions, mais seulement la « ligne rouge » des 67 ans...), accompagnée par des avertissements de « mobilisations s'il n'y a pas d'accord » lancés de manière de plus en plus inaudible, mis à part lors des discours finaux dans les manifestations. Des manifestations, justement, organisées de manière très tardive, avec molesse, autour d'un slogan absurde (« En défense de l'Etat social »: où est, aujourd'hui, cet « Etat social »? Ne savent-ils pas que l'Espagne est l'un des pays de l'Union européenne qui dépense le moins en prestations sociales et avec une fiscalité des plus injustes? Il s'agit de changer cette situation et non de la défendre). Ainsi, il n'est pas étonnant que les bilans des manifestations du 18 décembre sont, en général, mauvais. Et cela donne l'impression que, dans cette spirale négative, ces mauvais résultats deviennent à leur tour un argument, non pour corriger les erreurs et créer les conditions pour que les mobilisations à venir soient plus fortes, mais bien pour abandonner la voie de la mobilisation tout court.

Avec les fêtes de fin d'année, nous sommes ainsi passé de l'absence de perspective à une perspective très concrète de défaite, dont les conséquences sont difficilement imaginables.

Prenons un exemple. Le porte-parole de CCOO, Fernando Lezcano, déclarait le 9 août dernier: « Le mouvement syndical doit combatre la dictature des marchés et défendre la valeur de la démocratie ». Mais le 11 janvier, il dit: « CCOO plaide pour tenter la possibilité d'un accord global, au-delà de la réforme des pensions, qui donnerait plus de tranquilité à la société pour affronter la crise et envoyer un signal clair aux marchés ». Que se passe-t-il? Les marchés ont-ils changé entre août et janvier? Ou alors es-ce Lezcano qui a changé? Quelle est donc cette histoire d'un porte-parole du plus grand syndicat du pays qui parle comme un consultant en investissements boursiers? C'est ceci qui a changé: depuis l'ouverture des négociations avec le gouvernement, CCOO et UGT ne s'adressent plus aux travailleurs; ils parlent pour les gens qui commandent, pour les pouvoirs politique, économique et médiatique.

Prenons un autre exemple; à l'heure de définir les contours du « pacte global », certains journalistes ont rappelé à Toxo, dirigeant du syndicat CCOO, les Pactes de la Moncloa (1) et cette analogie ne semble pas du tout l'incommoder. Toxo ne se souvient-il pas des conséquences sociales et politiques de ces Pactes, instruments clés de la « Transition »? Si ce n'est pas le cas, il y a certainement dans son équipe des gens qui peuvent le lui rappeler. Personne ne peut plus avoir le moindre doute aujourd'hui sur le fait que les grands perdants d'alors furent les travailleurs. Les syndicats qui ont soutenu les Pactes ont souffert une véritable hémorragie d'adhésions, en même temps qu'ils recevaient les éloges enthousiastes des pouvoirs établis pour leur « sens de la responsabilité ». Le « signal clair » envoyé par le mouvement ouvrier « aux marchés » de l'époque était qu'il abandonnait tout bonnement la lutte. Et ainsi fut-il.

Et maintenant? Il est très improbable qu'on en revienne à quelque chose de semblable aux Pactes de la Moncloa, entre autres choses parce des instruments de ce calibre ne sont plus nécessaires aujourd'hui pour désorganiser le mouvement ouvrier. Les « marchés » peuvent atteindre leurs objectifs avec des procédés plus simples et qui, dans ce pays, fonctionnent très bien depuis des années, comme par exemple le « dialogue social ». Il semble bien que c'est cela qui se passe maintenant.

Depuis le début de la négociation gouvernement-syndicats, une formidable pression politique et médiatique s'est abattue sur ces derniers afin de les pousser à écarter coûte que coûte une nouvelle grève général et à chercher au contraire quelques changements de détail mineurs aux « réformes », afin de leur éviter la honte intégrale d'un accord qui ratifie fondamentalement la politique gouvernementale.

Il est vrai qu'il n'existe pas une puissante pression sociale en sens contraire, qui exige des syndicats, au minimum, de défendre avec fermeté les objectifs élémentaires de la grève générale du 29 septembre. Mais, même par simple réflexe d'autodéfense, les syndicats devraient contribuer eux-mêmes à créer cette pression, en premier lieu en maintenant l'appel à nouvelle grève générale si les objectifs ne sont pas atteint, ce qui est aujourd'hui tout à fait certain.

Mais ils agissent à l'envers: Mendez (dirigeant de l'UGT, NdT) parle de « faire atterrir les mobilisations » et Toxo renvoi la grève générale aux calendes grecques. Tous deux félicitent la « flexibilité » que le gouvernement est censé démontrer. Flexibilité du gouvernement? Ce à quoi on assiste, c'est à un changement vraiment marginal de la réforme du code du travail (on ne pourra pas recourir au « licenciement bon marché » en raison de pertes de profits... si elles sont « simplement conjoncturelles ») et un calendrier d'application du recul de l'âge de la retraite à 67 ans que, du moins jusqu'à présent, Toxo considérait comme « absurde ».

C'est tellement évident qu'il ne faudrait même pas l'écrire: le gouvernement est engagé jusqu'au cou dans son programme de « réformes », il n'y aura pas la moindre modification substantielle autour d'une table de négociation et le changement ne pourra être arraché qu'en modifiant les rapports de force, comme résultat d'une mobilisation sociale soutenue à moyen terme.

« Faire atterrir » la grève générale parce qu'il s'agirait aujourd'hui, comme le dit Toxo, « d'éléver la vision et d'amplifier les matières à négocier » c'est, pour le dire d'une manière douce, quelque chose d'insensé. Dans une situation de faiblesse telle qu'elle est exhibée par les syndicats à la table de négociation, plus on amplifie le « périmètre », plus grand sera le risque d'obtenir des compensations minuscules en échange de concessions gigantesques. Et plus ils éléveront « la vision », plus grand sera le risque qu'ils se cassent tout bonnement la figure. En réalité, le problème est le suivant: les syndicats « élèvent la vision » parce qu'ils se dirigent seulement à ceux d'en haut, autrement dit aux élites politiques et économiques, et, évidemment, aux « marchés ». Ils devraient au contraire « baisser la vue » et la diriger vers les victimes de la crise, qui seront également les victimes du « pacte global ».

Certains pensent que nous sommes seulement en train d'assister à des « manoeuvres tactiques » et que les syndicats CCOO et UGT sont en train de chercher à gagner les faveurs de l'opinion avant d'appeler à une nouvelle grève générale. Si tel était le cas, alors ils sont en train d'obtenir l'effet strictement inverse en se mettant à dos les travailleurs qui se sont coupés en quatre pour réussir la précédente grève générale, dans l'espoir qu'elle serait le début d'une étape de reconstruction du moral et de la force sociale de la gauche.

Est-il encore possible de rectifier les choses? C'est encore possible si les syndicats CCOO et UGT prennent enfin au sérieux y compris leur propre « programme minimum », dans ce cas là il n'y aurait pas d'accord. Mais même dans ce cas, la récupération de la confiance perdue représenterait une tâche colossale.

Il n'y aucune raison d'espérer que par eux mêmes ils feront le nécessaire afin de quitter la table de négociation la tête haute, mais il se peut y compris qu'ils n'obtiennent pas la moindre miette qu'ils cherchent désespérement afin de pouvoir « faire atterrir » sans trop de casse la grève générale. En tous les cas, s'ils se décident, même de mauvaise grâce, à l'organiser, ce serait une bonne nouvelle. D'ici au 25 janvier (date d'application de la réforme des pensions, NdT), il faut exprimer une forte opposition, une indignation sociale, qui existe effectivement, face à tout ce que représente le « pacte global » et exiger dans la rue une rectification urgente de la part des dirigeants CCOO et UGT.

John Berger a dit que « penser stratégiquement implique qu'on s'imagine dans les chaussures de son ennemi ». Il semble bien que le gouvernement et les « marchés » connaissent très bien les chaussures des dirigeants syndicaux CCOO et UGT. Mais malheureusement, ces derniers ne pensent pas stratégiquement. Ils ne savent même pas identifier l'ennemi.

Miguel Romero

Rédacteur de la revue « VIENTO SUR » et militant d'Izquierda Anticapitalista (Gauche anticapitaliste), section de la IVe Internationale dans l'Etat espagnol. Traduction française pour le site www.lcr-lagauche.be

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