L'Intifada tunisienne
Par Corinne Quentin le Jeudi, 06 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

À la suite de l’immolation par le feu d’un jeune chômeur le 17 décembre, se déroule en Tunisie la révolte la plus importante depuis les «émeutes du pain» de 1984. L’Intifada tunisienne est née dans un contexte de paupérisation de la population et de chômage de la jeunesse, notamment diplômée.

Face à cela, une première réaction a été la fuite dans l’émigration, et pour des destinations qui en disent long, l’Algérie étant devenue pour certaines populations frontalières une terre d’exil économique. Une seconde conséquence a été le suicide de jeunes chômeurs dont plusieurs par immolation (onze suicides de chômeurs pour la seule ville de Bousalem en 2010). Une troisième en a été une remontée des luttes ouvrières, avec un pic de grèves en mars dernier et des révoltes pour l’emploi et contre le chômage. Ces dernières ont notamment secoué de janvier à juin 2008 la région du bassin minier de Gafsa-Redeyef et, en 2010, la ville de La Skhira ainsi que la région de Ben Guerdane.

Dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, une région agricole, les paysans de Regueb ont les premiers occupé les terres dont ils étaient menacés d’être chassés en juin dernier par les banques. Regueb, d’où vient la famille du jeune Bouazizi dont l’immolation, le 17 décembre, a été l’étincelle qui a mis le feu à la Tunisie. Le mouvement est parti du centre du pays, mais actuellement la population manifeste partout spontanément pour l’emploi. Y participent de nombreux diplômés chômeurs et des syndicalistes. Le mouvement s’est élargi aux avocats, catégorie en pointe dans la lutte contre la dictature, et la reprise des cours devrait permettre l’entrée en lutte des lycéens et des étudiants, promis au chômage. Les manifestants réclament des emplois. Ils dénoncent la corruption, le parti au pouvoir, la « Trabelsia », c’est-à-dire la famille au pouvoir qui a pillé la richesse du pays. Ils exigent le départ de Ben Ali, président depuis 23 ans. Des locaux honnis sont attaqués, mis à sac ou incendiés : police, garde nationale, stèles érigées à la gloire de la dictature, locaux des chefs-lieux de délégations.

La réponse du pouvoir est la même depuis 23 ans : déploiement policier, arrestations, torture, procès et agressions physiques, notamment des journalistes et des avocats voulant briser l’omerta. Mais la révolte spontanée s’est transformée en résistance. Trois semaines après le déclenchement du mouvement, les populations continuent de descendre dans la rue, malgré les morts, les blessés et l’état de siège et en dépit de la faiblesse, voire de l’inexistence de l’auto-organisation.

La seule force qui maille le pays, faute d’opposition en capacité de le faire, est l’UGTT, la centrale syndicale unique. On retrouve en pointe dans les mobilisations les mêmes fédérations que celles qui avaient pleinement soutenu les inculpés de Gafsa-Redeyef : enseignement, poste et télécommunications, certains secteurs de la santé, etc. Nombre d’unions locales et régionales soutiennent la population, mais ne l’organisent pas, comme l’avaient fait en 2008 les syndicalistes et les militants de Redeyef, permettant au mouvement d’être centralisé dans cette région, afin de se construire dans la durée. Reste à déplorer l’attitude de la direction confédérale de l’UGTT qui s’est désolidarisée officiellement de mobilisations organisées par certaines de ses structures et des slogans hostiles au régime qui y étaient scandés.

Publié dans : Hebdo Tout est à nous ! N° 84 (06/01/11).

Quelques infos de Tunisie au 5 janvier

La presse algérienne rapporte que la Tunisie est fermée aux journalistes étrangers depuis quelques jours et que sur place, le déplacement des journalistes entre les différentes régions est soumis à un contrôle très stricte.

Depuis lundi et avec la rentrée scolaire et universitaire, la mobilisation du peuple tunisien contre le régime de Ben Ali et son lot de chômage, précarité, répression et corruption ne faiblit pas.

Plusieurs villes ont connu des manifestations importantes avec des slogans de plus en plus radicaux :

Il y a eu une manifestation de lycéens à Tala (ouest du pays). Des images diffusées par Al Jazeera montrent un déploiement de l’armée dans cette ville. Selon plusieurs témoins, l’armée est déployée dans plusieurs régions. Il y aurait eu deux morts à Tala suite à l’intervention des forces de l’ordre pour empêcher la manifestation. Les manifestants ont mis le feu au local du RCD (Rassemblement constitutionnel démocratique, parti au pouvoir).

Les cours ont été suspendus dans plusieurs lycées de Sidi Bouzid où les lycéens ont aussi manifesté. Des lycéens et enseignants ont été empêchés de rejoindre les cortèges, la police les bloquant à l’intérieur des établissements ; plusieurs arrestations de lycéens ont eu lieu dans l’enceinte même d’un lycée.

Parmi les slogans des lycéens : « lé dirassa lé tadriss hatta yoskt irrayss » : Plus d’enseignement jusqu’à la chute du président.

Là où les lycéens ont été empêchés de sortir pour rejoindre les cortèges, il a fallu faire preuve d’imagination pour exprimer malgré tout sa colère. Les photos jointes montrent des lycéens assis dans la cour et formant les slogans : « En colère » et « Tunisie Libre ».

A Sfax, des syndicalistes et avocats ont manifesté.

Les miniers (à Redeyef) qui se sont fortement mobilisés depuis 2008 s’associent à la révolte, avec des sit-in à l’union locale de l’UGTT. Les habitants de Kebili ont aussi manifesté hier mardi.

Dans les universités, c’est une période d’examens de fin de semestre ; la mobilisation est donc encore faible ; il y a quand même eu des manifestations des étudiants de la fac des lettres de Sousse et de plusieurs facs de Tunis.

Ce matin, le décès du jeune Mohamed Bouazizi a été officiellement annoncé. Cette nouvelle risque de mettre le feu aux poudres, ce jeune chômeur étant devenu le symbole de la révolte en Tunisie.

Globalement, les slogans se radicalisent et se politisent encore plus :

« A bas le bourreau du peuple, à bas le Parti »

« En avant, en avant, dans la rue pour la confrontation »

« Révolutionnaires, révolutionnaires ; et le peuple armé ira jusqu’au bout »

...etc.

Cela fait vingt jours que le peuple tunisien se soulève. Une première depuis ....je ne sais plus quand !

Par ailleurs, le peuple algérien voisin se révolte à son tour contre la vie chère et pour exiger des logements décents pour les victimes du séisme de 2003...

Correspondante

http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article19653

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