Les intérêts notionnels, fossoyeurs de l’emploi
Par Égidio Di Panfilo le Lundi, 03 Janvier 2011 PDF Imprimer Envoyer

La Belgique est un paradis fiscal. La disposition des « intérêts notionnels » permet à des sociétés extérieures à la Belgique, au travers de la création des filiales belges, d’éviter de payer des impôts sur les bénéfices dans leurs pays. Le 29 septembre La Libre Belgique révélait qu’ArcelorMittal en Belgique, tout en réalisant un profit de 1,3 milliards d’euros, n’avait payé que 500 euros d’impôt en 2009. Avec de tels chiffres, on est très loin de la « rage taxatoire » si souvent dénoncée par les organisations patronales et leurs relais politiques que sont les partis libéraux. Le taux d’imposition de la multinationale de l’acier est donc de 0,00038 %. Bien loin du taux nominal de l’impôt des sociétés fixé en Belgique à 33,99 % (1). Et encore, ne parle-t-on ici que de la filiale financière belge. Car La Libre Belgique continuait ses révélations le 8 octobre en démontrant comment sept autres filiales belges du groupe arrivaient à ne rien payer du tout (2).

Ces deux articles, parus alors qu’une négociation sociale difficile se déroulait à Liège pour stabiliser, via des contrats à durée indéterminée 300 travailleurs, ont souligné ce que nous dénonçons depuis leur création : le système des intérêts notionnels (3) contribue scandaleusement à faire de la Belgique un luxueux paradis fiscal.

Des révélations parues durant l’été dans L’Echo (4) puis dans Le Vif-L’Express (5) allaient d’ailleurs dans ce sens. Ces articles montraient, en effet, que plusieurs filiales belges de grosses multinationales recevaient d’importantes injections de fonds destinées à optimaliser leurs bases taxables afin de pouvoir augmenter leurs déductions fiscales. Et, ils enfonçaient le clou en démontrant qu’il s’agissait d’opérations purement financières et que les énormes masses d’argent investies dans les filiales belges ne créaient de l’emploi que symboliquement. Ainsi Auchan qui augmente son capital de 2,6 milliards d’euros et engage royalement… une quinzaine de personnes !

Créé en 2005, le système des intérêts notionnels fut clairement inventé pour sauver celui des centres de coordination, condamné par l’Europe. Le nouveau système, assez ingénieux et original, permet aux sociétés de déduire un intérêt fictif calculé sur leurs fonds propres, soit ce qui est généralement appelé, on ne sait trop pourquoi, le « capital à risque ». En effet, au vu de ce que de nombreux médias pouvant difficilement être qualifiés de gauchistes ont révélé ces derniers mois, on voit mal où se situe le moindre risque dans l’injection d’argent ayant pour unique but de ne pas le voir être taxé !

De plus, comme le souligne Christian Valenduc dans les conclusions de l’étude qu’il a consacrée à ce système : « Le milieu des affaires met en avant l’emploi à sauvegarder, les retombées économiques, le savoir-faire unique de la Belgique dans les milieux de la finance. Aucun de ces arguments ne résiste à l’analyse. (…) Il n’y a aucune raison de subsidier fiscalement l’activité de “banquier interne” des groupes de sociétés et les autres avantages de la réforme (…) pouvaient être atteints à un coût budgétaire nettement moindre » (6).

Il faut dire que des 371 millions d’euros annoncés il y a cinq ans, la mesure coûte à l’État près de 5 milliards aujourd’hui, soit près de 14 fois plus ! Après la DLU (7), ce système d’amnistie généralisé pour les voleurs fiscaux, nous nous trouvons devant une deuxième erreur de calcul non négligeable d’un ministre des finances (8) qui, en dix ans d’activité, aura réussi (si l’on ajoute la suppression de plafonds fiscaux, le sauvetage quasi inconditionnel des banques et la vente-location des biens immobiliers de l’État) à appauvrir les finances de l’État dans des proportions astronomiques.

Toutes ces mesures politiques, prises par un ministre chantre du libéralisme à outrance, ont les mêmes conséquences que les intérêts notionnels : non pas créer de l’emploi comme d’aucuns le prétendent fallacieusement, mais permettre aux plus riches d’éluder l’impôt et d’être ainsi dispensés de participer à la redistribution des richesses nécessaires pour garantir une société moderne. Car ces milliards d’euros qui échappent à la collectivité, ce sont ceux qui manquent aujourd’hui pour financer les soins de santé, pour relever les pensions minimales, pour assurer et développer les transports publics… et même pour investir dans des mesures favorables à l’installation d’activités économiques réellement créatrices d’emplois. Il est donc temps de changer notre fusil d’épaule et de supprimer des mécanismes aussi nuisibles à la collectivité que celui des intérêts notionnels.

Cela est clair, au-delà de la propagande entretenue par ses défenseurs, le but réel des intérêts notionnels n’est pas la création d’emploi. L’intention politique et idéologique est ailleurs.

Bruno Colmant, son très médiatique inventeur, l’a d’ailleurs reconnu en septembre dans Trends-Tendances terminant ainsi sa chronique : « notre pays pourrait se rapprocher d’un statut de zone franche, c’est-à-dire une géographie bénéficiant d’avantages fiscaux, en baissant l’impôt des sociétés pour certains secteurs. Une régionalisation de l’impôt des sociétés pourrait d’ailleurs en être le corollaire » (9). L’ancien directeur de la Bourse de Bruxelles, mais également ancien chef de cabinet de Didier Reynders, est connu pour ses positions de défenseur d’un capitalisme très peu contrôlé. Il démontre par cette conclusion le lien entre les discussions institutionnelles actuelles et les dossiers socio-économiques. Il éclaire les convergences d’intérêts entre les nationalistes de la NVa (10) et les fossoyeurs libéraux en tête, d’un État doté d’un service public performant.

Le monde du travail n’a rien à gagner dans une aventure institutionnelle dont certains annoncent déjà qu’elle leur permettra de faire de nos régions des oasis fiscaux pour le capitalisme financier et des déserts sociaux pour les travailleurs.

Égidio Di Panfilo est secrétaire général du SETCa-Liège.

Notes

1. Ph. Lawson, ArcelorMittal : 500 € d’impôts, La Libre Belgique du 29 septembre 2010

2. Ph. Lawson, ArcelorMittal : impôt nul !, La Libre Belgique du 8 octobre 2010. Ph. Lawson indique ainsi qu’ArcelorMottal Belgium (produisant des aciers plats carbone) a payé 0 € d’impôts pour un bénéfice de 4 millions en 2009, ArcelorMittal Stainless Belgium également 0 € pour 12 millions de bénéfices en 2009, ArcelorMittal Liège Upstream 0 € pour 5,7 millions de bénéfices en 2009, ArcelorMittal FCE Belgium 0 € pour 6,4 millions de bénéfices en 2009, Aval Metal Center rien également pour 1,5 million de bénéfices et Sidarfin rien également pour 1,45 millions de bénéfices en 2009.

3. Les intérêts notionnels ou « déduction pour capital à risque » sont une disposition de la fiscalité des entreprises et professionnels, appliquée à ce jour de manière généralisée seulement en Belgique. Cette disposition permet à des sociétés extérieures à la Belgique, au travers de la création des filiales belges, d’éviter de payer des impôts sur les bénéfices dans leurs pays… grâce à des conventions de prévention de la double imposition (car même si les bénéfices en Belgique ne payent pas des impôts grâce à cette disposition, ils sont considérés comme ayant été déjà soumis à l’impôt !).

4. J-M. Lauwers et Ch. Scharff, Rush français sur les intérêts notionnels, L’Echo du 27 juillet 2010

5. M. Damry et A. Fourquet, La Belgique oasis fiscal pour les multinationales, Le Vif-L’Express du 27 août 2010

6. Ch. Valenduc, Les intérêts notionnels : une réforme fondamentale et controversée, Courrier hebdomadaire, CRISP, n°2018, 2009, p.52

7. La Déclaration Libératoire Unique permettait aux contribuables belges de régulariser leurs capitaux et valeurs mobilières non déclarés au fisc, moyennant le payement d’une pénalité forfaitaire unique de 6 % ou 9 %, les sommes ainsi déclarées avent le 31 décembre 2004 bénéficiaient d’une amnistie fiscale, sociale et pénale !

8. Didier J. L. Reynders, ministre des finances depuis le 12 juillet 1999, président du Mouvement réformateur.

9. B. Colmant, La déshydratation fiscale des intérêts notionnels, Trends-Tendances du 2 septembre 2010, p.18.

Repris du site Inprécor: http://orta.dynalias.org/inprecor/home

Voir ci-dessus