France: Un bel été indien de mobilisation sociale. Premières leçons de septembre-octobre
Par Fred Borras, Francis Vergne, NPA le Lundi, 20 Décembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

La préparation de la réforme Woerth-Sarkozy (1) sur les retraites a engendré une des mobilisations sociales les plus importantes que ce pays ait connue, comparable sinon plus importante que celle de novembre et décembre 1995 contre le plan Juppé (2) et celle du printemps 2003 contre la réforme Fillon, portant sur les régimes de retraite. Bien que ne disposant que de peu de recul, nous pouvons d’ores et déjà en tirer quelques enseignements.

Alors qu’il n’avait pas annoncé lors de sa campagne cette réforme, qu’il avait ensuite confirmé qu’il tiendrait son engagement de ne pas toucher à l’âge légal de départ à la retraite fixé à 60 ans, Sarkozy a fait volte-face. Son projet de loi, adopté en l’état par le Parlement, vise notamment à faire reculer l’âge de départ à la retraite de 60 à 62 ans, à repousser celui de l’obtention d’une retraite à taux plein de 65 à 67 ans et à rallonger la durée de cotisations de 40 à 43 annuités pour obtenir une pension sans décote.

Pour justifier ces choix radicaux, le pouvoir a martelé un argument simple, celui de l’allongement de l’espérance de vie qui risquerait de provoquer la faillite du système français de retraite. Le but affiché, sauver le système par répartition, masque bien mal le but réel, celui d’en finir avec lui.

Les organismes qui veulent généraliser les fonds de pension en France ne s’y sont pas trompés. Le groupe Malakoff Méderic, dont l’un des principaux dirigeants est le frère du Président, Guillaume Sarkozy, également l’un des principaux dirigeants du Medef (3), a fait du lobbyisme pour pousser à la réforme et prépare le lancement massif de ses produits. Tout au long de la mobilisation, des dizaines de milliers de fonctionnaires d’État ont reçu des mails provenant de la Préfon, un organisme de prévoyance retraite qui offre des contrats de retraite complémentaire.

Polarisation sociale

Le système de retraites par répartition en France est une des branches de la Sécurité sociale, dont la création, acquise à la Libération, résulte de décennies de luttes sociales. Basée sur la solidarité, il est aux yeux de la bourgeoisie un archaïsme et un non sens dans un monde capitaliste globalisé. Du point de vue des classes dirigeantes, détruire ces restes de solidarité, c’est libérer les gisements de profits qui « dorment ». Nul n’en doute, cette offensive sur la branche retraite fait partie d’un plan d’ensemble qui vise aussi la branche maladie, une offensive globale contre la sécurité sociale, dont la couverture a déjà été réduite à plusieurs reprises. Elle intervient dans un contexte de crise économique et s’inscrit dans le plan d’austérité qui vise à purger le système pour restaurer les taux de profit.

En finir avec « l’exception française », c’est-à-dire refaçonner la société de ce pays pour l’aligner sur le reste du monde capitaliste développé, accroitre les profits, voilà la tâche que s’est assignée la bourgeoisie et qui guide la politique du gouvernement à son entier service.

Cette réforme aurait pu passer dans le silence feutré des salons de la République. Le fait qu’elle ait provoqué du bruit et du fracas constitue une première victoire pour les partisans que nous sommes de la lutte des classes. C’est aussi une première victoire du point de vue de la nécessité de faire entendre la colère, de montrer la combativité de celles et ceux qui refusent de payer la crise partout dans le monde. Avec lucidité sur le fond, et pourtant sans garantie sur les chances d’imposer un recul à ce gouvernement « droit dans ses bottes », des millions de travailleurs, de jeunes se sont mis en mouvement. La participation aux journées de grève et de manifestations est allée crescendo, en dépit des mensonges gouvernementaux visant à minorer les chiffres. Selon le journal Le Monde, par effet de turnover, ce sont 8 millions de personnes qui ont manifesté au moins une fois. C’est tout simplement colossal dans un pays qui compte 65 millions d’habitants. Le rejet du projet gouvernemental, ainsi exprimé, a été confirmé par de nombreuses études d’opinion. La durée du mouvement est elle aussi assez exceptionnelle puisque les premières journées de mai puis de juin ont déjà surpris par leur ampleur et, sous diverses formes, la mobilisation a duré au-delà même de l’adoption définitive de la loi.

A ces journées multimillionnaires s’est adossé un mouvement de grève reconductible de centaines de milliers de travailleurs et de jeunes dans un certain nombre de secteurs. Elle a ainsi concerné les ports, les raffineries de pétrole, les transports ferroviaires, les éboueurs de grandes villes comme Marseille ou Toulouse, les employés de certaines collectivités territoriales et des dizaines de milliers de jeunes, notamment des lycéens. La grève reconductible dans ces secteurs s’est combinée avec la multiplication des blocages. Des aéroports, des gares, des zones industrielles ou commerciales, des carrefours routiers, ont tour à tour été la cible de manifestants déterminés. Il s’agissait à la fois de faire monter le niveau de mobilisation, d’appuyer les secteurs en grève reconductible, d’avoir un effet sur l’économie pour infliger des pertes au patronat. Phénomène inédit à cette échelle d’un point de vue qualitatif et quantitatif, ce type d’action a permis de lever les barrières entre militants de différentes organisations syndicales, de favoriser l’unité entre organisations et la solidarités entre travailleurs et avec les jeunes.

Le gouvernement a beaucoup tenté pour désamorcer la grogne. Sa « pédagogie » n’ayant pas montré d’efficacité particulière, on a assisté à des manœuvres grossières comme la tentative avortée de détourner l’attention sur des questions sécuritaires ou sur les Roms massivement stigmatisés durant l’été, de jouer sur la peur de la violence en ciblant la répression, d’invoquer des menaces d’attentats. Rien n’y a fait. Rien, sauf l’usure.

Nécessité et difficultés de la grève générale

Bien que le mouvement ait considérablement compliqué la tâche du pouvoir, contribué à son affaiblissement et à son discrédit, il n’a pu l’empêcher de faire passer sa réforme. Cela pose des problèmes d’ordre stratégiques sur lesquels il faut s’arrêter.

Compte tenu de l’ampleur de l’attaque, du niveau de détermination du gouvernement à imposer sa réforme, il aurait fallu frapper bien plus fort. Ne pas se contenter de bloquer tel ou tel secteur d’activité mais bloquer tout le pays. Seule la grève générale reconductible l’aurait permis.

Malgré l’action consciente de dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes pour généraliser la mobilisation, celle-ci n’a pu se produire. Alors que le rejet du pouvoir et de sa politique est manifestement bien plus fort qu’en 1995, que les journées d’action étaient plus massives (5), la grève reconductible a été plus faible. Il n’existe pas de cause unique à cet état de fait. C’est une conjonction de phénomènes étroitement imbriqués qui l’explique.

Cela renvoie d’abord à un déficit de confiance dans la possibilité de gagner, d’imposer le retrait du projet de loi. Sur certains secteurs, le poids des défaites du passé pèse de ce point de vue négativement. Pèse également l’atomisation du salariat, le poids du chômage et de la précarité, l’incertitude sur l’avenir, la difficulté à « joindre les deux bouts ». Il faut noter que le taux d’endettement des ménages est aujourd’hui supérieur de 10 % à ce qu’il était en 1995. Pour surmonter ce dernier aspect, il faut que des millions de travailleurs aient acquis la conviction que la grève va taper moins fort leur portefeuille que les conséquences de la défaite, tout simplement parce que l’on est convaincu que la victoire est à portée.

Il faut aussi examiner l’attitude des directions des grandes confédérations syndicales. Nationalement, le syndicat Solidaires (6) qui a défendu de bout en bout la nécessité de la grève générale, s’est trouvé isolé sur cette ligne. N’étant pas de la même nature, ni la direction de la principale centrale, la CGT (7), ni à fortiori celle de la seconde, la CFDT (8), ne sont animées par la radicalité, la volonté de pousser les luttes à leur intensité maximale dans le but d’infliger, par le rapport de force, des reculs au pouvoir. Elles sont plutôt forgées au « dialogue social », à la négociation, au compromis. Si l’unité a pu se nouer et durer en dépit des divergences entre elles, en dépit des effets de la concurrence bureaucratique, si les appels à la mobilisation se sont multipliés, c’est d’abord le résultat de l’attitude du gouvernement qui n’a rien voulu lâcher à aucun moment.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir tendu la perche, du côté du duo Thibault-Chérèque, respectivement numéros un de la CGT et de la CFDT, qui ont tous deux demandé l’ouverture de négociations sans jamais exiger le retrait du projet. C’est aussi parce que la pression est venue de la base. Les premiers tests de mobilisation ont montré un haut niveau de disponibilité à l’action et des équipes syndicales ont voulu pousser plus loin et plus fort, conscientes également qu’il en allait de leur crédibilité, de leur utilité, de leur fonctionnalité. Preuve que le jeu n’est pas fermé, des intersyndicales locales, comme dans les départements du Puy-de-Dôme, de la Haute-Garonne ou des Ardennes ont fait preuve d’une combativité plus grande, multipliant les actions interprofessionnelles de blocage, ajoutant des journées de grève départementales aux journées annoncées au plan national. Ces journées locales ont elles aussi connu des succès, signe qu’il était possible d’aller plus loin.

L’autre faiblesse du mouvement réside dans le faible niveau d’auto organisation des luttes. Là où les luttes étaient les plus dures, ce sont les intersyndicales de boîtes qui ont poussé et dans le même temps gardé la maitrise des rythmes et des formes de la mobilisation. Phénomène généralisé, la faiblesse de la participation aux assemblées générales pour décider des suites ou organiser l’action contrastait avec la massivité de la participation aux journées de grève et aux manifestations. Ainsi, il était devenu impossible de faire sortir la lutte du cadre étriqué dans laquelle elle était maintenue par l’intersyndicale nationale et dans les branches, secteurs, entreprises, par des équipes de responsables syndicaux locaux trop timorés.

Il n’en demeure pas moins que l’attractivité des syndicats s’est trouvée renforcée par cette mobilisation. Cela se voit à l’œil nu. La CGT d’abord, mais aussi Solidaires ou la FSU (9) recrutent. Et c’est positif. Des équipes de jeunes militantEs syndicaux radicaux ont émergé et c’est un atout pour l’avenir.

L’unité et ses limites

Au-delà de leur fonction de défense des intérêts des salariés, on a pu noter également que la population investissait les syndicats d’une fonction politique d’opposition à la droite au pouvoir. Logique quand on voit la crise de crédibilité qui frappe les grands partis institutionnels d’opposition parlementaire et en premier lieu le Parti socialiste (PS). Celui-ci a cherché à surfer sur le rejet de la droite pour avancer ses pions en vue de l’alternance en 2012 (10). Les principaux dirigeants du PS étaient présents aux manifestations, à la tête du cortège de leur parti. Le fait que puisse se constituer un front large de toute la gauche politique, syndicale et associative contre la droite a joué en faveur du mouvement.

Mais en même temps, la partie a été difficile tant la proximité du PS avec le pouvoir est forte sur le fond du dossier. Sarkozy, Fillon et Woerth ne se sont pas privés de fustiger la duplicité, en évoquant les propos en appui à la réforme de l’actuel président du FMI et potentiel candidat socialiste à la future élection présidentielle, Dominique Strauss Kahn. Ils n’ont pas eu de mal aussi à souligner les contradictions du PS dont la principale dirigeante, Martine Aubry, s’est pris les pieds dans le tapis en approuvant le passage à 62 ans puis en se ravisant. Le PS n’a jamais revendiqué le retrait du projet de loi ni énoncé les mesures pour un programme véritablement alternatif, c’est-à- dire basé sur le partage des richesse, et pour cause. Le vote par des parlementaires socialistes de la disposition de la loi concernant l’allongement de la durée de cotisation, a résonné comme un aveu. Certains dirigeants PS ont poussé cette logique jusqu’au bout. A Marseille, dans la ville qui apparaissait comme la « capitale de la grève », le principal dirigeant du PS local, Guerini, a lancé un appel conjoint avec le maire de droite Gaudin à arrêter la grève…

Il n’en demeure pas moins que nombre de militants et sympathisants du PS ont participé au mouvement, comme ceux des autres partis de gauche, Front de gauche (11), Lutte ouvrière et le NPA. Une campagne unitaire de meetings, à l’initiative d’Attac et de Copernic (12), a permis d’associer toutes ces forces pour diffuser les argumentaires contre la loi et populariser des réponses à la crise alternatives au libéralisme.

Mais des divergences ont aussi vu le jour. Alors que la généralisation de la grève devenait la question clé, les responsables du Front de gauche, en premier lieu Jean-Luc Mélenchon, menaient bataille pour… la tenue d’un référendum. Cela ne constitue pas seulement un objectif inatteignable pour diverses raisons, cela révèle aussi les divergences de fond avec ce courant antilibéral et réformiste qui connaît un certain regain en France. Lors d’une crise politique et sociale d’ampleur, les dirigeants du Front de gauche cherchent une réponse institutionnelle. Cette vision de la politique est basée sur un certain partage des tâches. Aux syndicats de fixer les rendez-vous de mobilisation. Aux partis de trouver un débouché politique.

Au NPA, si nous savons qu’il existe des différences de fonction entre parti et syndicats et que ces deux types d’organisation ont leurs spécificités et leur utilité, nous rejetons cette vision mécaniste et découplée de l’action politique. Quoi de plus politique que l’irruption des masses ? Quel meilleur débouché que celui de la prise en main par la majorité de la population de son propre destin ? Affirmer la nécessité de la grève générale, c’est à la fois indiquer la bonne méthode pour gagner et favoriser la crise politique, permettre qu’elle se cristallise et que des solutions voient le jour au renversement d’un gouvernement, à la mise en échec de sa politique. Quand l’opportunité de défendre cette solution trouve l’oreille de centaines de milliers de travailleurs en lutte, alors il faut le faire. Cela ne doit certes pas être affirmé de façon atemporelle ou incantatoire, mais c’est la voie stratégique la plus fiable pour révolutionner la société. Une stratégie qui se vérifie et s’affine au travers d’expériences tirées de l’analyse du cours de la lutte des classes.

De ce point de vue, la stratégie combine à la fois la préparation patiente mais constante de l’affrontement entre la majorité de la population et la minorité de privilégiés et la recherche de l’expression, de la consolidation de majorités d’idées qui s’opposent radicalement à l’organisation même du système et préfigurent les contours d’une société de rechange. Sans en exagérer la portée, le fait qu’une large majorité de la population soit prête à défendre un système basé sur la solidarité constitue une victoire politique dans la cinquième puissance capitaliste de la planète. Car si le gouvernement a gagné sur le terrain institutionnel, celui du vote d’une loi, s’il a infligé un recul à des millions de salariés qui vont pâtir de sa politique, il n’a pas réussi à convaincre. Il a perdu sur le terrain de l’opinion. Il a perdu sur l’idée que sa politique est la seule possible, pas très enthousiasmante mais faite pour l’intérêt général. Précieux acquis en ces temps de crise.

Une droite discréditée

La droite au pouvoir sort discréditée y compris aux yeux de travailleurs qui avaient cru aux promesses du candidat Sarkozy, qui s’étaient laissés séduire par son slogan électoral, « travailler plus pour gagner plus ». A leurs yeux, Sarkozy n’est plus le président du pouvoir d’achat, il est celui des riches. Le feuilleton Woerth-Bettencourt a largement contribué à ce discrédit en même temps que cela donnait une raison supplémentaire de se mobiliser. Pendant que le ministre des affaires sociales demande au peuple de serrer d’un cran supplémentaire sa ceinture, il affiche une proximité crapuleuse avec les principales fortunes de ce pays. L’image de la corruption, de l’étalement des richesses, du favoritisme, n’est pas très bon pour la cote de popularité. Au-delà, c’est la personne de Sarkozy qui est touchée, suscitant un rejet profond et virulent. Et le remaniement qu’il vient d’opérer n’y change rien. Cela ne dit pas que sa défaite électorale pour 2012 soit d’ores et déjà acquise. Mais le nombre de celles et de ceux qui ne peuvent plus supporter qu’il demeure en place s’est considérablement accru.

Un mouvement est aussi riche de sa diversité. Parmi les manifestants de l’automne, un certain nombre a décidé d’attendre 2012 pour mettre Sarkozy dehors en le remplaçant par son challenger socialiste. Mais d’autres voient bien que le PS au pouvoir, à l’image de ce qui se passe en Grèce, dans l’État espagnol ou au Portugal, sera une autre façon de faire payer la crise à la majorité de la population.

A l’issue de ce mouvement, c’est à ceux-là que le NPA s’adresse. En pleine préparation de son premier congrès national, il élabore un document partant de l’analyse de la double crise économique et écologique d’ampleur inégalée que connaît le système capitaliste pour énoncer des réponses transitoires à cette crise. Son dernier Conseil politique national a lancé un appel au débat pour l’alternative anticapitaliste. Ce débat ne concerne pas uniquement des forces politiques organisées mais aussi ces dizaines de milliers de travailleurs et de jeunes qui cherchent une alternative aux politiques de droite et de gauche institutionnelle. Tourner le dos aux sirènes socialistes, à l’impasse que constituerait de s’en remettre à une énième mouture de coalition gouvernementale autour du PS est une condition nécessaire pour ouvrir une autre perspective. En ce sens, le NPA œuvre à ce que les cadres du débat soient trouvés pour confronter les points de vue quant à la préparation des prochaines étapes de la lutte, aux contours et au contenu d’une alternative anticapitaliste.

Toulouse, le 23 novembre 2012

Fred Borras, enseignant, est membre du Comité exécutif du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) et militant de la IVe Internationale.

Notes:

1. Éric Woerth était le ministre du gouvernement Sarkozy-Fillon, en charge de la réforme. Mouillé dans des affaires et honni, il a fait les frais du remaniement qui a suivi la mobilisation.

2. Alain Juppé était le Premier ministre du gouvernement de droite, sous la présidence de Jacques Chirac, en 1995.

3. François Fillon, l’actuel Premier ministre, était ministre des Affaires sociales du gouvernement Chirac-Raffarin.

4. Le Mouvement des entreprises de France (Medef) est l’organisation du grand patronat, dirigé par Laurence Parisot.

5. En 1995, les syndicats comptabilisaient de l’ordre de deux millions de manifestants pour les grandes journées d’action contre 3 millions cette fois-ci. A une échelle moindre, les chiffres du pouvoir indiquent la même tendance.

6. Union syndicale Solidaires est organisation syndicale minoritaire, issue en partie de l’exclusion de la CFDT à la fin des années 1980 d’équipes syndicales radicales et qui ont constitué des syndicats Sud (Solidaires Unitaires Démocratiques) devenus influents dans certains secteurs (Postes, Rail, Impôts...)

7. Fédération syndicale unitaire (FSU), principal syndicat des salariés de l’Education, de la recherche, de la culture.

8. La Confédération générale du travail (CGT) est la première organisation syndicale en France (34 % des voix aux élections prudhommales de 2008). Longtemps dirigée par le PCF, son appareil central s’est autonomisé alors que ce parti est passé au second plan sur la scène politique. Elle a intégré la Confédération européenne des syndicats (CES) et la Confédération syndicale internationale (CSI). Bernard Thibault, de la Fédération des cheminots, est son secrétaire général depuis 1999.

9. Confédération française démocratique du travail (CFDT), est la seconde organisation syndicale en France (21,8 % des voix aux élections prudhommales de 2008). Issue de la radicalisation du syndicalisme chrétien (scission majoritaire de la CFTC en 1964), radicale et autogestionnaire dans les années 1960 et 1970, elle a été « recentrée » sous la houlette d’Edmond Maire après 1978 et a exclu ses courants radicaux des secteurs des Postes et Télécommunications et de la Santé en 1988, La CFDT a soutenu contre les grévistes la réforme des retraites en 1995, puis celle de 2003, ce qui a provoqué de nouveaux départs des courants radicaux. François Chérèque est son secrétaire général depuis 2002.

10. En 2012 auront lieu les prochaines élections (présidentielle et législatives) en France.

11. Le Front de gauche réunit notamment le PCF (Parti communiste français) et le PG (Parti de gauche) créé à la faveur de la sortie du PS de groupes de militants dont le principal leader est l’ancien ancien sénateur et ministre socialiste, et actuel député européen, Jean-Luc Mélenchon.

12. Attac est une association d’éducation populaire visant à lutter contre le libéralisme et à diffuser des arguments contre les politiques libérales et en faveur d’une autre répartition des richesses. Copernic est une fondation dont les objectifs sont proches.

Inprecor n° 567-568 novembre-décembre 2010


Ce n’est qu’un début... Notes sur le mouvement social de Septembre-Octobre 2010 et sa mise en perspective

Par Francis Vergne

Le texte ci-dessous nourri les réflexions et débats en cours au sein du Nouveau Parti anticapitaliste sur le mouvement social que nous venons de connaître en France et dont a récemment discuté le Conseil politique national (NPA) du NPA, réuni les 13 -14 novembre derniers.

Une étape importante dans le renouveau de la lutte des classes

Le mouvement social que nous venons de connaître invite à échanger pour confronter les analyses mais aussi pour débattre des suites et des perspectives. Par son ampleur, sa durée, son ancrage social et populaire, ses formes et sa dynamique, il constitue sans doutes, comme le notait la résolution sur la situation politique et sociale votée par le CPN du NPAdu 13 et 14 Novembre « l’évènement le plus important depuis le congrès de fondation du NPA et depuis l’arrivée au pouvoir de Sarkosy »

Les quelques remarques que je souhaite développer viennent prolonger ces analyses dont le contenu me semble, à quelques nuances prés, à la fois juste et partagé par une large majorité de camarades du NPA mais aussi parmi les secteurs les plus combatifs et les plus mobilisés : discrédit profond et durable du pouvoir, riposte de classe sur le terrain social et politique, compréhension en acte de la nécessité – sinon de la possibilité immédiate – d’aller vers la grève générale reconductible pour faire reculer le pouvoir et gagner.

Cela est d’autant plus remarquable que l’on ne peut que pointer toutes les ambiguïtés de l’intersyndicale nationale. Elle a certes fixé une série de rendez vous unitaires qui donné des échéances de mobilisation et favorisé une forte présence dans les manifestations, mais ne s’est jamais donné pour objectif le retrait du projet. Elle n’a pas condamné les formes les plus radicales de lutte - dont les blocages – mais ne s’est pas appuyé non plus sur elles pour inciter à les généraliser et essayer de construire le mouvement vers la grève générale. Personne n’a rompu l’unité pour aller négocier avec le pouvoir – il est vrai qu’il n’y avait pas grand chose à négocier.. - mais en même temps les « grandes confédérations » ont accompagné le mouvement en évitant l’épreuve de force avec le gouvernement. La préoccupation, juste au demeurant, de gagner la bataille de l’opinion publique a sans doutes permis de poser de façon citoyenne la question des retraites comme un problème de société et de choix politique de fond mais a également servi d’alibi pour autolimiter le mouvement.

Il est intéressant également de noter, que tout en maintenant le cap sur l’unité, des organisations comme Solidaires [1] – ou dans une moindre mesure la FSU - ont su s’exprimer et faire des propositions pour impulser une autre dynamique au mouvement. Et, sur le plan local, il est tout à fait significatif que des équipes militantes ou des structures - UL voire UD – de la CGT soient allés dans le même sens.

Il est par contre vrai et cela touche aux limites du mouvement qu’il n’y a pas eu de dynamique de masse de débordement des cadres syndicaux nationaux en vue d’une généralisation durable de la grève. De même l’exaspération sociale et le rejet radical de Sarkosy et de sa bande ne se sont pas traduits par l’exigence clamée haut et fort de démission du gouvernement.

Une présence forte, visible, bien comprise et unifiée du NPA et de ses militants

La résolution citée plus haut insiste également sur le « baptême du feu » qu’a représenté pour le NPA l’intervention dans le mouvement. Ses militants ont été non seulement au cœur de la mobilisation mais, en bien des lieux, directement utiles à son développement. Et, si l’on en juge par l’accueil ces interventions ont été appréciées et comprises. En s’appuyant sur une forte aspiration unitaire le NPA a agi concrètement pour lever les obstacles. Il serait faux et prétentieux de dire que la réussite est complète ( en particulier pour faire en sorte qu’existent des AG interprofessionnelles, pour que toutes les composantes d’un salariat structurellement divisé – public/privé, grosses entreprises/PME, précaires /sous CDI, etc.. - se rejoignent ou encore pour que des formes plus affirmées d’auto organisation se mettent en place ) mais ces efforts ont été souvent reconnus et c’est sans doute là un acquis précieux pour l’avenir. Les graines semées à cette occasion pourront germer et grandir dans les têtes.

C’est aussi un acquis pour l’unité du NPA dans la mesure où les différences qui existent sur un certain nombre d’analyses et d’approches de questions politiques, électorales.. ou de rapport au religieux n’ont guère compté dans le mouvement. Toutes sensibilités confondues le NPA a travaillé dans le même sens, renforcé les mobilisations unitaires dans les secteurs en lutte et autour d’eux, par exemple en faisant vivre les collectifs unitaires et leurs initiatives.

Il faut également relever le soucis d’articuler le social et le politique et de contribuer à ce que les frontières et un partage des rôles paralysant – aux syndicats la conduite des luttes, aux partis la politique et surtout les élections – soit remis en question. Tout en respectant l’indépendance des uns et des autres, les « politiques » ne doivent pas s’autocensurer et s’interdire de s’exprimer sur les stratégies de lutte utiles pour gagner. Réciproquement les syndicats ont quelques comptes à demander à ceux qui se présentent comme la solution électorale pour 2012, sur leurs engagement précis et leur remise à plat ou pas des destructions sociales massives de la droite sur tous les terrains : protection sociale, droit du travail, service public, emploi, salaire et bien sûr retraite dont la question de l’allongement du temps de cotisation. L’idée d’un possible front social et politique à contenu anticapitaliste regroupant des partis, des syndicats et associations, et des citoyens a peut être commencé à faire son chemin. Non seulement des individus mais des « équipes militantes » peuvent être intéressés à cette perspective

Au total le NPA est bien apparu, sans sectarisme mais en toute clarté, comme le parti de ceux qui luttent et veulent dés aujourd’hui commencer à construire un avenir alternatif au capitalisme et à ses dégâts mortifères. Cela positionne bien pour expliquer sans attendre dans les élections et au delà le contenu et les principales mesures d’auto défense d’un « plan d’urgence » et de solutions à la crise fondées à la fois sur la mobilisation sociale et le contrôle du monde du travail sur le capital. C’est certainement là l’occasion de combler au moins en partie l’important fossé qui demeure entre la reconnaissance incontestable d’un rôle et d’une utilité dans les luttes d’une part et d’autre part d’une crédibilité politique et électorale encore trop faible.

Ce n’est qu’un début

Ce constat ne doit conduire ni à l’autosatisfaction ni à l’attentisme. Si le vote de la loi clôt bien une séquence de la lutte des classes, on s’accordera à dire que rien n’est réglé, ni terminé. Ce n’est certainement pas terminé du coté d’un gouvernement de classe et de combat prêt à poursuivre avec la légèreté du rouleau compresseur ses réformes destructrices de tous les acquis et de tous les droits sociaux. Le trait dominant est la fuite en avant financière et productiviste qui dessine les contours d’un monde marqué par la marchandisation et la privatisation sans limite du social et de l’écologique ( capitalisme vert...) Si changement il y a, il réside dans l’accentuation de la politique sécuritaire et de division raciste du salariat et de la population pauvre. Plus de fioriture, d’ouverture et autres attrapes gogos. Place au seul gouvernement des riches pour les riches. La seule limite à leur offensive sera la capacité collective à résister et à rendre coup pour coup.

Pour paraphraser le vieux « caudillo »- De Gaulle - dont il lui arrive encore de se réclamer, Sarkosy et les siens ont gagné une bataille mais la guerre de classe est loin d’être finie. Dire aujourd’hui : « ce n’est qu’un début... » ce n’est pas seulement une invitation à reprendre un vieux slogan de 68 dont la conclusion était : continuons le combat ! C’est aussi indiquer que nous assistons à une perte de légitimité et un ébranlement profond et durable de la domination de l’ordre capitaliste néolibéral . Celui ci tire essentiellement sa force du fric et des institutions bourgeoises à son service, mais de moins en moins d’une base sociale qui se rétrécit et s’inquiète d’un avenir imprévisible et en particulier de la menace de « paupérisation » de l’ensemble des classes moyennes qui assurent traditionnellement la stabilité des régimes en place.

Encore cette situation est-elle loin d’être un cas isolé en Europe et dans le monde : les plans d’austérité « XXL » pilotés dans une belle unité par le FMI la droite et les sociaux-démocrates se déclinent du Portugal à l’Espagne, de l’Irlande à la Grande Bretagne et suscitent rejet massif et résistances sans doute encore trop timides et trop isolées. Mais de l’Europe à l’Amérique latine et jusqu’à la Chine où la classe ouvrière se fait entendre, leur monde se fissure et des brèches s’entrouvrent découvrant de nouveaux horizons et de nouveaux espaces de lutte. Pour revenir sur la séquence liée en France à la loi sur les retraites, on pouvait craindre encore il y a quelques mois deux scénarios catastrophe : celui d’une victoire du gouvernement sans combat qui aurait sans doutes entrainé découragement et résignation et celui d’un affrontement brutal se terminant par une défaite majeure voire un écrasement, sur la mode de la défaite infligée au mineurs anglais par Thatcher en 1984. Rien de tel ne s’est produit. La loi est certes votée mais les forces de résistance sont loin d’être battues. Des affrontements décisifs sont encore devant nous auxquels nous devons nous préparer.

Unifier le mouvement du salariat et de la jeunesse autour d’objectifs anticapitalistes

Dans cet « entre deux » il est sans doute utile de repérer un certain nombre de tendances et de changements y compris par rapport d’autres périodes de luttes (1995, 2003, 2005). Un changement important et positif correspond au retour au premier plan de la classe ouvrière. Non pas qu’elle ait socialement disparue mais touchée de plein fouet par les restructurations et les politiques patronales – dont un « nouveau management » individualisant à l’extrême les relations de travail et les salaires – éclatée et syndicalement affaiblie, trahie, méprisée et parfois déboussolée, sa voix avait bien du mal à se faire entendre. Ce n’est plus totalement le cas aujourd’hui : les difficultés pour lutter collectivement dans un contexte de chômage et de précarité ne sont certes pas annulées, mais on a vu dans le mouvement la classe ouvrière, y compris dans sa composante industrielle, relever la tête et prendre progressivement conscience de sa force liée à la place encore décisive ( cf raffineries ) qu’elle occupe dans la production et la circulation des biens. Il y a longtemps en tous cas que l’on n’avait pas ressenti à cette échelle là une telle fierté et un tel désir de se faire respecter.

Cela doit conforter une activité militante plus orientée vers une expression politique régulière en direction des entreprises publiques et privés et des services. Mais plus globalement prenons au sérieux l’hypothèse d ’un nouveau cycle de lutte et de manifestations multiformes en réponse à la crise du capitalisme néolibéral, même s’il est vraisemblable que ce cycle ne se développe pas de façon linéaire et homogène. Une certaine désynchronisation des secteurs en lutte et de leur niveau de mobilisation peut perdurer. [2] C’est une raison supplémentaire pour avancer l a perspective générale de construction dans la durée et de renforcement d’un mouvement social et politique de masse qui unifie l’expression de l’ensemble des exploités et des dominées.

Il convient de le faire sans retard et sans impatience, avec détermination mais sans adopter la posture du « professeur rouge » ou du donneur de leçon. L’heure est moins que jamais à un parti qui dirige mais à un parti qui propose, aide à voir clair par l’échange, organise, accompagne la consolidation et l’unification progressive de notre classe en mouvement dans toute sa diversité - la classe de ceux qui vivent (travailleurs), ont vécu (retraités) ou vont vivre (jeunes) de leur travail. D’expérience en expérience, de défaites partielles dont on tire les leçons en résistances qui resurgissent, ce mouvement connaitra des avancées et des reculs. Il cherche et tâtonne pour trouver sa voie. Une priorité s’impose : l’aider à grandir et à prendre confiance. [3]

Articuler les échéances sociales, politiques et électorales

La conjoncture qui s’ouvre pour les mois qui viennent commande de ne pas séparer mais au contraire d’articuler les échéances sociales, politiques et électorales. Il serait bien peu responsable de faire l’impasse sur les unes ou les autres et ce serait en tous cas la négation même de la volonté d’unir le politique et le social. Ces échéances sont à la fois inscrites dans la réalité et dans la tête de tous et de chacun. Il n’est pas difficile de comprendre qu’elles peuvent se rejoindre ou se disjoindre, se synchroniser ou se désynchroniser, se répondre et se renforcer mutuellement ou au contraire demeurer séparées et isolées, engendrer l’espoir et la repolitisation ou au contraire le dépit, le sentiment d’occasion gâchée et le découragement. En bref ces échéances sont interdépendantes et nous devons être ceux qui travaillons à les clarifier, les articuler et les unifier .

Pour ne prendre que deux contre exemple, il est clair que l’attentisme social jusqu’à 2012- auquel pousse de façon intéressée le PS - conduirait à engranger défaite sur défaite sans réagir et à dégrader le rapport de force, avec comme seule perspective à l’arrivée une alternance sans aucun changement de cap politique. Mais à l’inverse une accumulation de luttes sociales qui de fait - nous venons d’en avoir la démonstration - n’aboutissent pas puisque le gouvernement de Sarkosy ne cède rien, ne saurait être dissociée d’une perspective de changement électoral et politique global. Pour résumer le dilemme il arrive de dire : « qu’il cède ou cède la place ». Mais comme il ne cède pas et ne cède pas la place non plus, immanquablement, dans la tête de toute personne normalement constituée se pose la question suivante : quels leviers utiliser pour qu’il cède la place et pour faire aboutir les exigences sociales majeures. L’échéance des élections présidentielles et législatives de 2012 – et dans une moindre mesure les élections cantonales de 2011 - mettra à l’ordre du jour qu’on le veuille ou non et ce à une échelle de masse la question de balayer la racaille sarkosiste et la droite et, en même temps, de satisfaire les revendications populaires.

La question est donc encore et à nouveau posée : comment virer la droite et mener une véritable politique de gauche ? Il importe d’avoir une réponse à la fois claire sur le programme qui doit inclure la satisfaction de ces revendications et l’engagement à défaire tout ce que la droite à mis en place en matière de régression sociale, et unitaire sur le plan de la stratégie. Pour boussole demandons nous donc ce qui renforce ou au contraire affaiblit le mouvement social et politique dans son ensemble et agissons en conséquence.

Et pour cela posons nous encore quelques questions simples : une demi douzaine de candidats aux présidentielles et aux législatives de 2012, représentatifs des différents courants sous courants voire sectes en tous genres de la « gauche de la gauche » et se livrant une concurrence « libre et non faussée » pour se partager le marché électoral de la gauche de gauche, est-ce bon, pas bon ou n’en a-t-on rien à battre ? Cela va-t-il susciter l’adhésion populaire ou au contraire l’écœurement et à l’arrivée l’hégémonie maintenue du PS ( possiblement flanquée des Verts ) sur la gauche ? Cela sera-t-il jugé « globalement positif » ou au contraire irresponsable et bien révélateur de l’incapacité chronique à s’unir de la part de ceux qui prétendent constituer une alternative à la gauche du PS ? Dit autrement : l’exigence de clarté politique anticapitaliste et d’indépendance à l’égard du PS sera-t-elle conçue comme un guide pour réaliser des alliances ou un alibi pour justifier la division et l’impuissance politique de bureaucraties petites et grandes incapables de voir plus loin que le bout du nez de leur gestion boutiquière et de leur auto reproduction nombriliste ?

Repenser et actualiser la question stratégique

La réponse apportée ne résout bien sûr pas à elle seule la question complexe d’une stratégie de transformation sociale et écologique ou si l’on préfère de révolution de la société qui reste à concevoir et à expliciter. Mais elle conditionne en partie la façon dont on avance pour la résoudre. Rappelons que l’un des principes fondateurs du NPA était de reconnaître - avec une certaine sagesse - que cette question stratégique n’était pas tranchée et qu’en tout état de cause les références idéologiques historiquement datées et grosses d’interrogation sur les possibles dérives antidémocratiques du léninisme et du trotskisme - dont la destruction de l’état bourgeois et la dictature du prolétariat comme condition de toute transformation sociale d’envergure - étaient incompatibles avec la conception d’un parti large ouvert à différents courants qui ne partageaient pas forcement cette vision de la transformation sociale. La réflexion stratégique doit donc se poursuive sans prétendre à une conclusion définitive et prématurée. Ce n’est pas un luxe : très concrètement beaucoup de ceux qui partagent la critique du capitalisme s’interrogent à juste titre sur comment le renverser et aller vers un monde plus juste socialement, respectueux des écosystèmes et plus démocratique ( et éventuellement éviter qu’il ne soit pire..)

La critique de stratégies réformistes illusoires – dont celle du PG et de Jean Luc Mélanchon dans sa version « la révolution sans peine », par les urnes et « l’insurrection citoyenne » - doit se mener. La tribune de Samy Joshua et Ingrid Hayes publiée récemment dans Le Monde [4] y contribue en faisant souvent mouche et en montrant le caractère irréalisable d’un tel projet. Mais comment ne pas être frappé par l’écart entre l’ampleur de la critique et la minceur des contre propositions stratégiques alors même que ces camarades reconnaissent – excusez du peu ! - que « les élections sont d’une importance décisive pour l’expression des évolutions politiques », que « la présence institutionnelle y est un enjeu majeur » et que « la combinaison de l’activité dans ces deux sphères est à discuter » ? Arrivé au terme de la critique, est-on vraiment plus avancé ? On voit bien ce qu’il ne faut pas faire mais pas ou si peu ce qu’il convient d’entreprendre. L’aveu de l’impasse stratégique tombe en forme de couperet : « nul ne sait à quoi ressemblerait une révolution dans le futur ».

C’est sans doute en partie vrai. Dés lors pourquoi ne pas dire que si personne n’a toutes les réponses nous avons la volonté d’en débattre et d’inventer ensemble. Ce qui ne s’oppose pas à la réflexion historique et politique et, à cet égard, un certain nombre d’analogies ( Juin 36 et la grève générale avec occupation comme prélude à des conquêtes sociales que le Front populaire en lui même n’aurait jamais amené, Mai 68 dans sa déclinaison brève du cas français associant « insurrection étudiante » et grève générale ou dans le Mai rampant italien courant sur plusieurs années ), peuvent être éclairantes. [5] A condition toutefois de ne pas sacrifier la stratégie du présent à celle du passé. La combinaison dialectique de l’intervention sociale et écologique, politique et électorale dans le mouvement social et politique telle qu’ évoquée constituerait une expérimentation grandeur nature du plus grand intérêt pour enrichir et au besoin rectifier et actualiser les références passées. C’est pour l’essentiel sur la base d’une telle expérience commune qu’un « commun stratégique » pourrait alors advenir.

Le 25/11/2010

[1] On reconnaitra en particulier la grande qualité et l’utilité du Bulletin quotidien sur la grève de Solidaires [disponible intégralement sur ESSF, ndlr).

[2] Il est ainsi notable que les secteurs qui ont joué un rôle d’entrainement et d’avant garde - Cheminots en 95, enseignants en 2003, jeunes en 2005, etc.. - ne sont pas les mêmes et peuvent dés lors que la lutte n’a pas été victorieuse connaître un découragement plus ou moins durable.

[3] Ernest Mandel, évoquait fréquemment à ce propos la « dialectique des conquêtes partielles ».

[4] Voir sur ESSF : Congrès du PG : La réactualisation de l’illusion réformiste

[5] Dans un article récent Philippe Corcuff estime que le mouvement que nous venons de connaître sur les retraites serait plus en phase avec le « Mai rampant » italien au cour duquel de 68 à 72 « luttes universitaires et luttes ouvrières locales, luttes urbaines contre la hausse des loyers, journées d’action professionnelles et journées de grève générale, manifestations localisées et manifestations nationales » se sont combinées dans un mouvement qui connait « une mobilité et une dynamique protéiforme débouchant sur une série d’acquis sociaux »... « parsemé d’une multiplicité d’affrontements avec le pouvoir politique et le pouvoir patronal, sans connaître un moment de paralysie généralisée (à la manière de notre Mai 1968) ». On appréciera cette invitation au métissage des expériences. Il nous sera par contre plus difficile de suivre Philippe dans son appel à une guérilla sociale et citoyenne – jusque là ça va - joyeuse et pacifique inspirée de l’exemple italien. Les conquêtes particulièrement portées par « l’autonomie ouvrière » du Mai Rampant italien, reposaient bien souvent sur un illégalisme de masse qui supposait un niveau d’affrontement avec le pouvoir d’état qui ne se caractérisait pas principalement par son caractère joyeux et pacifique. (La contribution de P. Corcuff est disponible sur ESSF : Pour une guérilla sociale durable et pacifique


Déclaration de la direction du NPA : à celles et ceux qui luttent et qui ne lâchent rien

A l'issue de sa réunion des 13 et 14 novembre, le Conseil politique national du Nouveau parti anticapitaliste a adopté la déclaration suivante.

En France, comme partout en Europe, les gouvernants de droite comme de gauche, « ceux d'en haut », veulent nous faire payer la facture de leur crise. Tous les moyens sont bons pour augmenter les profits, protéger les privilèges d'une minorité. Cadeaux fiscaux aux plus riches, gel ou baisse des salaires, démantèlement des services publics, suppressions massives d'emplois, licenciements, destructions des protections sociales, voilà la potion amère administrée pour soigner la grave maladie qui frappe le système capitaliste. Confrontés à une crise écologique qui menace les ressources, la bio-diversité et l'avenir de l'humanité, les puissants de ce monde se lancent dans un capitalisme vert qui ne résoudra rien et n'a pour but que de trouver de nouveaux marchés.

En France, la loi sur les retraites est l'acte I d'un plan d'hyper-austérité. En prétextant les sauvegarder, il s’agit en réalité de détruire les retraites par répartition et au delà le système de Sécurité sociale basé sur la solidarité, pour libérer les fonds qui « dorment ». De quoi ravir tous les profiteurs et en premier lieu le dirigeant du groupe Malakoff-Médéric, Guillaume Sarkozy.

Seulement voilà, des millions de jeunes, de travailleurs, de précaires ont résisté. La mobilisation que nous avons vécu a été exceptionnelle, par sa durée et sa radicalité. Manifestations multimillionnaires répétées, blocages, grèves reconductibles se sont conjugués pour faire face à l'offensive antisociale. L'ultra majorité de la population a été vent debout contre les parlementaires de droite, la clique de ministres et leurs chefs, Nicolas Sarkozy et Laurence Parisot.

Oui, c'est dans la rue que se trouvent la lucidité, la dignité, la légitimité, pas au Parlement, à Matignon ou à l'Élysée !

A la destruction, nous répondons mobilisation ! Au projet de loi contre les retraites, nous avons massivement répondu retrait ! A sa promulgation, nous répondons abrogation ! La colère sociale est durable.

Au-delà des grandes journées décidées par l'intersyndicale, des équipes syndicales, des secteurs radicaux significatifs du mouvement social ont poussé pour organiser l'afforntement. Le NPA a participé à ce mouvement.Chacun voit bien que pour gagner, pour faire reculer le patronat et le gouvernement et pas renégocier leurs réformes, il faut aller plus loin. Il fallait et il faudra la grève générale reconductible. Le mouvement de blocage de l'économie, la grève des raffineries, des transports ou des ports ont montré la force du mouvement social. En nous y mettant toutes et tous, la peur et la crainte de l'avenir peuvent changer de camp et le pouvoir être à genoux. C'est cette voie qu'il faut suivre.

Destruction des droits sociaux, mensonge, violence, répression, atteinte au droit de grève, déni de démocratie, collusion d’intérêts, la Sarkozie est ultra nocive et nous sommes des millions et des millions à en avoir vraiment ras-le-bol !

Le renforcement de l'action dans nos lieux de travail par des syndicats combattifs est évidemment à l'ordre du jour. Vouloir les virer tous le plus vite possible invite aussi à débattre en terme de programme et de pouvoir. C’est un débat qui n’est pas confiné aux mouvements politiques existants mais qui intéresse massivement celles et ceux qui sont engagés dans le mouvement.

Le Parti Socialiste présent aux manifs – et c’est tant mieux –, mais pris dans une contradiction insoluble. La position du PS ne se différencie pas fondamentalement de celle du pouvoir sur la question des retraites comme le montre par exemple le vote de ses parlementaires pour l'allongement de la durée de cotisation. Entièrement situé dans le cadre de l’économie de marché, le programme du PS est une autre façon de faire payer la crise à la majorité de la population.

La véritable rupture suppose que la société soit organisée pour satisfaire les besoins sociaux fondamentaux et échapper aux intérêts privés d'une minorité d'actionnaires et de banquiers. Ces besoins doivent être garantis santé publique, éducation, logement, protection sociale, droit à un vrai salaire, à l'emploi et mise hors la loi des licenciements.

Cette rupture suppose la mise en œuvre d’un programme anti­capitaliste, l’appropriation sociale des grands moyens de production et financiers, la répartition des richesses, la protection des ressources et la rupture avec les institutions.

Le seul gouvernement utile sera un gouvernement appliquant une telle politique, avec des structures de décision politique démocratiques, organisées pour et par la majorité de la population.

Une telle perspective n'est évidemment pas compatible avec le programme, la stratégie du PS et sa perspective d'alternance gouvernementale de 2012.

C’est pourquoi le NPA en appelle au regroupement pour construire et imposer l’alternative anticapitaliste. Nous proposons que toutes celles et ceux qui luttent et ne lâchent rien, jeunes, salariés, précaires, chômeurs, retraités, équipes de militantEs radicaux du mouvement social, formations engagées dans la lutte en débattent ensemble pour avancer dans cette voie.

Conseil politique national du NPA, Paris, le 14 novembre 2010.


Voir ci-dessus