France : un mouvement inédit qui s'affirme malgré la répression
Par Sandra Demarcq, Olivier Besancenot, Christine Poupin, Axel Persson le Samedi, 23 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Depuis mai dernier, la situation en France est marquée par la mobilisation contre le projet de loi sur les retraites. Journée de mobilisation après journée de mobilisation, le mouvement contre la réforme des retraites continue de se développer, de s’enraciner. C’est la confirmation d’un mouvement profond, rejetant massivement non seulement la réforme des retraites mais plus largement l’ensemble de la politique antisociale, raciste et sécuritaire de Sarkozy. Mais aussi des injustices accumulées et accentuées par la crise, tant chez les jeunes que dans le salariat.

C’est ce qui explique que les manifestations bien que répétitives ne diminuent pas et même battent des records en particulier les 12 et le 19 octobre dernier où 3,5 millions de personnes sont descendus dans la rue. Les cortèges sont de plus en plus combattifs et radicaux. Le secteur privé est très mobilisé et désormais la jeunesse (à cette étape essentiellement les lycéens) est aussi entrée dans la mobilisation. Car les jeunes ont compris que l’accès à un emploi à court terme et à une retraite à taux plein et en bonne santé, étaient, pour eux, fortement compromis par cette réforme.

Peu à peu l’ambiance a changé, nous sommes nombreux, très nombreux à penser que gagner est possible, que nous pouvons faire reculer Sarkozy.

Dores et déjà, à cette étape de la mobilisation, le gouvernement a perdu la bataille de l’opinion. En effet, 70 % de la population soutient les mobilisations et est opposée à cette réforme. Aujourd’hui, la majorité des travailleurs, des précaires, des jeunes savent que la question des retraites n’est ni une question démographique ni une question de financement comme essaye de nous croire le gouvernement depuis des mois.

Peu à peu, la grève s’est installée dans le paysage. A chaque journée de grèves et de manifestations, il est apparu de plus en plus évidemment pour de nombreux secteurs que des journées espacées ne suffiront pas à faire reculer le gouvernement. De fait, on n’a jamais autant discuté de grève reconductible que ces dernières semaines dans tous les secteurs d’activités, au point que 61% des sondés se disent favorables à des grèves prolongées. Il manque juste les directions des confédérations syndicales qui, même si elles sont poussées par la base pour continuer, se gardent bien d’appeler à la grève générale. Depuis le début du mouvement, l’unité syndicale est sans aucun doute un atout, un point d’appui dans la réussite des journées de grèves et de manifestations. Mais non seulement l’intersyndicale n’appelle pas à une confrontation sociale majeur avec ce gouvernement mais ne réclame pas non plus le retrait du projet de loi, seulement de nouvelles négociations, des amendements.

Pourtant des secteurs clés de l’économie ont décidé de se lancer ou d’amplifier les grèves reconductibles. C’est le cas par exemple des cheminots, de centres EDF, ou des raffineries. Concernant ce secteur, c’est du jamais vu depuis Mai 68. En effet, depuis le 14 octobre dernier, les 13 raffineries sont en grèves reconductibles avec arrêt total des installations et des expéditions de carburant vers les stations services et dépôts. La grève est extrêmement massive, reconduite à l’unanimité ou presque.

Mais ce qui est aussi marquant dans ce mouvement c’est que ça bouge de partout, chaque jour des initiatives, des actions de blocages (péages, routes, aéroports, zones industrielles...), des manifestations locales ont lieu de façon unitaires et interprofessionnelles. Des assemblées générales des différents secteurs mobilisés ont lieu également chaque jour, petites au début, elles sont de plus en plus importantes aujourd’hui. Il faut noter également que si il y a de nombreuses grèves ici et là dans le public comme le privé, les grèves reconductibles restent encore trop éparpillées, trop minoritaires et que les taux de grèves lors des journées nationales de grèves sont élevées mais pas extraordinaires.

Depuis quelques jours et en particulier depuis la journée de grèves et de manifestations du 19 octobre, la jeunesse est de plein pied dans la mobilisation, avec des cortèges très importants et dynamiques et des lycées nombreux bloqués. Il y a une détermination et une politisation chez eux, qu’on n’avait pas senti comme cela dans les mobilisations précédentes. Plus on les dit manipulés et plus on leur conteste le droit de manifester, plus leur détermination grandit. La mobilisation dans les universités est en train de prendre, petit à petit. C’est l’enjeu des jours qui viennent, à la veille des vacances scolaires des lycéens.

Face à cette situation, la droite, le patronat, le gouvernement et Sarkozy restent droit dans leur bottes pour défendre cette réforme injuste. Sarkozy installe le pays dans une situation de blocage, d’une épreuve de force. Le passage en force est patent comme l’illustre l’intervention policière contre les grévistes des raffineries ou contre les lycéens, les passages en force parlementaire et refus de toute discussion ouverte même avec les plus modérés des dirigeants syndicaux. Leur détermination s’explique car cette réforme est pour eux le cœur de leur politique d’austérité pour faire payer leur crise à ceux et celles qui n’en sont pas responsables.

Réussir cette réforme, c’est doner des gages aux marchés financiers mais c’est aussi l’occasion, en France, de changer les rapports de forces et la répartition des richesses en faveur des plus riches. C’est aussi l’occasion de se débarrasser du « fardeau social et fiscal » conquis par les luttes des anciens et de mettre à genoux les secteurs les plus résistants. L’enjeu, pour Sarkozy, est aussi de rassembler son propre camp en vue de l’élection présidentielle. On le voit, aujourd’hui à travers la mobilisation contre la réforme des retraites, se jouent les rapports de forces globaux entre les classes. Sarkozy est loin d’avoir gagné. Il n’arrive toujours pas à briser ou à faire taire les résistances. Lui qui au début de son quinquennat se vantait que quand il y avait des grèves personne ne les voyait, a été démenti par la rue depuis mai dernier.

L’ampleur de cette mobilisation indique la possibilité de faire subir au gouvernement une défaite. C’est pourquoi l’unité de l’ensemble de la gauche sociale et politique dans cette lutte est impérative. C’est le sens de l’engagement du NPA dans toutes les initiatives unitaires et politiques permettant de regrouper nos forces et en particulier à travers le collectif national initié par la fondation Copernic et Attac. Mais cette unité autour du mot d’ordre « retraites à 60 ans et retrait du projet de loi » ne cache pas certains désaccords tant sur le fond que sur la stratégie d’action en particulier avec le Parti Socialiste. Ce dernier défend la retraite à 60 ans mais vote avec les députés de droite l’augmentation du nombre d’annuités à 41,5 annuités, ce qui dans les faits ruine l’idée de défendre la retraite à 60 ans.

De plus face à la mobilisation grandissante, le PS nous refait le coup des promesses électorales pour 2012, préparant ainsi l’alternance. Quand aux divergences avec la gauche de la gauche, en particulier avec le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, elles portent essentiellement sur la stratégie d’action. En effet, ce dernier défend la perspective immédiate d’un référendum déplaçant ainsi la mobilisation de la rue sur le terrain institutionnel alors que l’épreuve sociale est encore devant nous !

Le NPA apparaît depuis le début de la mobilisation comme un parti d’animateur des luttes, unitaire cherchant à unifier la population autour d’objectifs revendicatifs et politique : le retrait et sans doute à partir de la semaine prochaine l’abrogation de la loi et la démission des responsables de la crise sociale Sarkozy et Woerth. Nous développons également, indépendamment, des perspectives anticapitalistes, de rupture, un plan d’urgence social et politique face à la crise.

Les jours qui viennent vont être déterminants. La loi sera votée mais ne fera pas taire ou arrêter cette mobilisation car pour tous ceux et celles qui aujourd’hui sont dans la rue, en grèves, ce pouvoir est illégitime. De plus, nous sommes nombreux très nombreux à savoir qu’une loi même votée peut être retirée dans ce pays. Cela a été le cas avec le Contrat Première embauche en 2007.

A suivre donc....

Paris, le 22 octobre 2010

Sandra Demarcq est membre du Comité exécutif du Nouveau Parti Anticapitaliste (France) et du Bureau exécutif de la IVe Internationale. Cet article a été écrit pour la revue allemande de la IVe Internationale, Inprekorr n° 468/469 de novembre-décembre 2010.


Aux côtés des grévistes menacés par Sarkozy

A l’occasion du conseil des ministres du 20 octobre, Sarkozy a ordonné le déblocage des dépôts de carburants bloqués par les grévistes.

Après la répression contre les lycéens, l’utilisation de flash-ball qui a blessé gravement au visage un lycéen à Montreuil, par exemple, la réquisition illégale de grévistes dans les raffineries, c’est maintenant au tour des salariés en grève qui bloquent les dépôts de carburant d’être dans la ligne de mire du ministre de la répression, B. Hortefeux.

Ayant perdu la bataille de l’opinion qui massivement considère que la réforme des retraites est injuste et soutient les manifestations, y compris après le vote de la loi, le gouvernement s’apprête à matraquer le camp de la résistance à sa « réforme ». Le droit à la retraite à 60 ans, à taux plein, et en bonne santé, est, à juste titre, considérée comme une question vitale, une liberté fondamentale et un droit légitime après une vie passée à galérer pour trouver un emploi stable, à souffrir de la pénibilité au travail, du stress, notamment.

Tous les salariés ont bien compris que le gouvernement ment sur toute la ligne quand il prétend que sa réforme c’est pour garantir le niveau des pensions versés.

C’est pourquoi Sarkozy veut casser le mouvement social. Ne le laissons pas faire. Organisons la solidarité avec les grévistes. Le NPA est et sera aux côtés des travailleurs en grève. Pour bloquer la réforme des retraites, il faut bloquer les activités économiques de ce pays.

Communiqué du NPA, le 20 octobre 2010


L’armée mobilisée contre les éboueurs à Marseille : une atteinte intolérable au droit de grève

Le gouvernement, non content de réquisitionner de manière illégale des ouvriers des raffineries relevant du droit privé, se fait maintenant briseur de grève direct, abandonnant ses grands discours démocratiques. Au lieu de répondre à la demande qui monte du pays de retirer son projet de loi, Il vient de mobiliser l’armée, comme en temps de guerre !

Gageons que cela ne suffira pas à décourager les grévistes, ni les nouveaux secteurs qui rejoignent la grève, ni d’ailleurs à résoudre le problème de l’enlèvement des déchets.

Eugène Caselli, président socialiste de MPM, et responsable à ce titre de la majorité des secteurs du nettoyage à Marseille, a t-il demandé cette intervention ? En a t-il été informé ? Il faut espérer que non, pour lui qui était à nos côtés dans les manifestations pour la défense de nos retraites. Et si ce n’est pas le cas, on est en droit d’attendre une condamnation ferme de ces méthodes de provocateurs.

Communiqué NPA 13, le 20 octobre, 18h30


Déclaration d'Olivier Besancenot: Ensemble défendons nos luttes, nos exigences sociales

Le responsable de la CGT du groupe Total vient d’appeler la population à se rendre à la raffinerie de Grandpuits (Seine-et-Marne), qui est menacée d’une intervention de la police.

Ce matin, Sarkozy a donné le feu vert aux forces de répression et à leur ministre , B. Hortefeux, pour débloquer les dépôts de carburant. Faute d’avoir convaincu la population du bien -fondé de sa réforme des retraites, il reste à Sarkozy, la matraque, les gaz lacrymogènes, les provocations policières, les flash-ball. Il ne cherche plus à convaincre mais à casser la résistance sociale.

Ne laissons pas faire. Ne laissons pas les grévistes isolés.

Je soutiens l’appel lancé par Charly Foulard, responsable de la CGT Total. Pour défendre le droit de grève bafoué par le gouvernement Fillon, les militants du NPA sont prêts à répondre aux demandes faites par les travailleurs en grève et leurs organisations pour ensemble défendre notre lutte et notre exigence : le retrait de la réforme des retraites.

Déclaration d’Olivier Besancenot, le 20 octobre 2010.


Vidéo: à la raffinerie de Grandpuits juste avant l'intervention de la police


Les raffineries TOTALement bloquées

Du jamais vu depuis Mai 1968, les douze raffineries du pays sont en grève reconductible avec arrêt total des installations. La crise provoquée est à la mesure de la place démesurée occupée par le pétrole. Le capitalisme est puni par là où il… gaspille!

Cette grève vient de loin. Depuis l’annonce de la loi et surtout depuis début septembre, la coordination des syndicats CGT du groupe Total et la fédération chimie se sont engagées dans sa préparation. Dans les raffineries Total, la grève de plusieurs jours au printemps dernier a montré l’impact d’un tel mouvement. La leçon a été retenue. Depuis des semaines, tracts, tournées syndicales, prises de parole se sont succédé. Dès le 23 septembre, la grève a duré plus de 24 heures dans de nombreuses raffineries et plusieurs jours à Donges (Loire-Atlantique).

La grève est extrêmement massive, reconduite à l’unanimité ou presque. À cela plusieurs raisons, en plus du travail acharné des militants syndicaux: l’organisation du travail – comme dans toute la chimie elle aussi largement en grève reconductible – est un facteur important. Le travail est pénible, toujours en continu, le matin, l’après-midi et la nuit. Cela rend insupportable toute idée de travailler plus vieux exposés à des produits dangereux, et ruine tous les discours sur l’allongement de la vie. Mais en même temps cela engendre une grande solidarité car un travailleur posté passe beaucoup de nuits, de dimanches, de jours fériés au boulot, avec ses collègues et pas avec sa famille. Mais la raison la plus évidente, c’est le sentiment de puissance justifié des salariés de ce secteur, la conscience d’être en mesure de bloquer, de faire mal au portefeuille des actionnaires, aux profits de l’ensemble des patrons et plus généralement au pouvoir, par la crise que le mouvement peut provoquer. Cette conscience de sa propre force est un acquis précieux alors que les salariés sont de plus en plus dévalorisés, méprisés, privés de l’estime d’eux-mêmes et de leur travail. Il faut rappeler haut et fort à ceux qui disent que la classe ouvrière est morte, qui produit les richesses, et donc qui détient le pouvoir d’arrêter de produire.

Enfin et surtout, cette grève est une grève pour gagner, pour engager l’épreuve de force, pour faire céder le gouvernement. Celui-ci l’a bien compris et met la pression maximum sur les grévistes: chantage à la fermeture, interventions policières, commandos de cadres pour briser la grève, procédure de réquisition illégale de trois puis cinquante salariés pour les contraindre à charger des camions sous la menace de cinq ans de prison à Grandpuits (Seine-et-Marne).

Heureusement et très justement, la mobilisation des salariés des raffineries est depuis le début une mobilisation à vocation interprofessionnelle. Ils mettent leur force au service de la mobilisation de toutes et tous. Grâce à cette orientation, ils peuvent compter sur la mobilisation immédiate des autres secteurs en cas de menace sur leur mouvement. C’est ce dont témoigne l’élan venant des jeunes, des enseignants, des cheminots, des autres salariés du privé… pour bloquer les dépôts de carburant dans tout le pays. Il y a encore plus efficace: la protection des grèves par leur généralisation à l’ensemble des secteurs d’activité.

Christine Poupin


SNCF. Voie libre pour la grève reconductible!

Depuis la forte journée de grève du mardi 12 octobre, où 53, 8% des cheminots, tous collèges confondus, ont cessé le travail selon le décompte de la CGT, les cheminots poursuivent la grève. Celle-ci se maintient à des taux très élevés chez les roulants (conducteurs, contrôleurs) pour qui la direction est obligée de reconnaître une participation majoritaire à la grève reconductible dans la plupart des régions. Dans les services sédentaires, les taux de grévistes sont plus fluctuants. Un fort rebond du taux de grève était attendu dans l’ensemble des services pour le nouveau «temps fort» interprofessionnel du mardi 19 octobre. Dans bien des endroits, la participation aux assemblées générales est plus forte qu’au premier jour du conflit et les cheminots sont nombreux à grossir les rangs des manifestations à l’appel des organisations syndicales.

Il ressort des discussions dans les assemblées générales un ras-le-bol qui va bien au-delà du rejet du projet de loi sur les retraites. À l’image de ce qui se passe dans l’ensemble du monde du travail, c’est une contestation globale de toute la politique de casse sociale menée contre la classe ouvrière qui s’exprime et s’enracine. La conscience qu’un «tous ensemble» est nécessaire pour faire plier le gouvernement est largement acquise chez les cheminots en grève.

De ce point de vue, la grève dans les raffineries, l’entrée en jeu de la jeunesse des lycées et des universités, la mobilisation croissante des routiers, les débrayages dans plusieurs entreprises du privé, confortent la combativité des cheminots. Bien souvent, des actions sont organisées en commun avec ces autres secteurs: assemblées générales parfois communes, manifestations unitaires, blocages de points stratégiques, visites de délégations de grévistes, etc.

C’est l’une des caractéristiques les plus prometteuses de la grève en cours: les cheminots sont sortis de l’isolement qu’ils ont pu connaître lors de précédents conflits. Des contacts et noyaux militants se constituent au-delà des divisions sectorielles. Le «tous ensemble» nécessaire pour gagner prend forme. À l’heure où sont écrites ces lignes, nous ne savons pas quelles seront les suites à la journée du 19 octobre décidées par l’intersyndicale. Ce que nous savons en revanche, c’est que dans bon nombre d’endroits, les cheminots se sont donné des points d’appuis sérieux pour organiser eux-même la poursuite et l’extension de la grève à d’autres secteurs.

Axel Persson

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