Catastrophe écologique: Le vilain Danube rouge
Par Dominique Angelini, Charles Barbey, LCR-Web le Samedi, 16 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Le 4 octobre dernier un bassin de rétention des eaux usagées de l’usine d’aluminium d’Ajka à l’ouest de Budapest s’est rompu, déversant une marée de boues toxiques sur les sept villages avoisinants et provoquant huit morts et plus de 150 blessés. La rupture de la digue a entraîné une pollution du Danube et la quasi-destruction du village de Kolontar. Dans un premier temps, les rescapés qui ont vu leurs habitations ravagées ont immédiatement commencé le nettoyage, sans protection, alors que ces boues contiennent des éléments corrosifs et toxiques. Mais malheureusement leurs effets ne sont pas immédiats et c’est plusieurs heures plus tard que les brûlures se sont fait sentir. En outre, les substances toxiques risquent de traverser la peau et de provoquer des cancers ou des malformations pour les enfants. La société MAL dont les propriétaires font partie des familles les plus riches du pays, avait proposé aux victimes une indemnisation correspondant à quelque 360 euros par famille!

Il s’agit d’une véritable catastrophe écologique. L’impact sur les terres agricoles de la région se fera sentir pendant des années. Selon le WWF, dans la rivière Marcal, première touchée, tous les poissons sont morts et la vie a disparu. Puis la contamination a atteint le Danube avec des effets qu’il est encore difficile d’évaluer. Le risque que les nappes phréatiques soient touchées par infiltration existe également, mettant en danger les réserves d’eau potable dans la région.

Si la boue sèche, un autre danger est à craindre: la formation de nuages de poussières toxiques que les habitants risqueront d’inhaler.

D'après Dominique Angelini, www.npa2009.org


La catastrophe d’Ajka: annoncée, préparée

Par Charles Barbey

La catastrophe d’Ajka en Hongrie, où l’on a vu un déferlement de boues rouges toxiques polluant sur plus de 100 kilomètres jusqu’au Danube, est une catastrophe qui aurait pu être évitée. De fait, cette catastrophe était «planifiée», «annoncée». Il est parfaitement absurde – régime bureaucratique autoritaire et privatisation sauvage l’expliquent – de stocker à ciel ouvert ces boues rouges provenant du traitement du minerai d’aluminium, appelé bauxite, afin d’en extraire l’alumine (oxyde d’aluminium qui dans un deuxième temps sera traité pour en extraire le métal aluminium).

Ce n’est d’ailleurs pas le seul site à faire cela, dans les Bouches-du-Rhône, à Gardane, le stockage est identique, sauf qu’il s’agit de boues sèches dans ce cas. En allant sur Google Maps, on l’aperçoit très bien. Notons en passant que le nom de bauxite vient directement des Baux-de-Provence où elle a été découverte par le chimiste Pierre Berthier en 1821.

On sait comment contrôler des digues de retenue, on sait comment les construire et on sait même comment faire de ces boues rouges un produit stable pouvant être utilisé dans la construction. Le recyclage de ces boues est possible. Cela sous certaines réserves concernant la radioactivité qui peut être présente, mais pas dans tous les cas. En effet, certaines de ces boues peuvent contenir une radioactivité, d’origine naturelle, un peu plus élevée du fait de la concentration des produits issus du processus industriel d’extraction de l’alumine. Mais dans l’ensemble, il s’agit de questions assez élémentaires relevant de travaux de génie civil.

Quant à la question du contrôle, on peut considérer deux aspects. Le premier auquel on procède au moyen de technologies adéquates connues. L’autre, tout aussi efficace et peu coûteux – et qui devrait être légalement obligatoire – réside dans le contrôle et droit de veto exercés par les salarié·e·s de l’entreprise. Ils sont en permanence sur le site et sont capables de constater, au quotidien, l’évolution du processus industriel et de son impact sur l’environnement.

Compte tenu de l’aspect social que présentent la santé publique et le bien-être qui sont des «biens communs», ce contrôle par les salarié·e·s et les décisions qui s’imposent devraient être socialement transversales – puisque c’est le corps social dans son entier qui est concerné — et indépendant de la hiérarchie de l’entreprise. La santé publique et le bien-être doivent être au-dessus des intérêts particuliers de l’entreprise.

Cette catastrophe en particulier et les catastrophes écologiques en général qui détruisent la santé et le bien-être des salarié·e·s ainsi que la terre nourricière (au sens propre du terme et sans le ton quelque peu lyrique sur lequel on prononce parfois cette expression) doivent être intégrées aux mouvements revendicatifs et pensées sur un long terme.

En effet, dans le cas d’Ajka, ces boues rouges sont ce qui reste de l’extraction du maximum d’alumine. Ces boues contiennent un oxyde de fer qui leur donne sa couleur rouge, couleur que l’on retrouve dans l’hémoglobine du sang ou dans la couleur ocre de villages comme Roussillon en Provence.

On y trouve encore un oxyde de titane, de calcium et de silicium ainsi que certains autres métaux lourds selon la provenance du minerai et les traitements subis. Divers scientifiques considèrent que le terme «métaux lourds» sert parfois à cacher une autre facette: cette boue contient de l’hydroxyde de sodium. La solution issue de la dissolution de ce cristal est appelée soude, voire soude caustique.

Or, ces produits polluants sont des produits très stables, que l’on trouve en grandes quantités sur des terres de culture et dans des proportions que la terre ne peut pas assimiler. Ils ne vont donc pas disparaître comme cela. Ils vont rester là où ils sont et rendre les terres stériles. On peut facilement comprendre que la terre ne peut pas être traitée comme l’eau dans une centrale de dépollution.

Dans ce genre de catastrophe, comme celle d’Ajka, le long terme constitue donc une question lancinante et cauchemardesque puisqu’il va falloir traiter des espaces allant jusqu'à 100 kilomètres de long, des ruisseaux, sans parler de l’infiltration de la pollution dans la nappe phréatique.

Certes, le cas n’est pas le même, mais on peut tout de même se hasarder à faire une comparaison: l’assainissement de la décharge de la chimie bâloise, sur une surface de deux hectares à Bonfol [1] près de Bâle, a demandé la construction d’une halle couvrant plus de la moitié de la décharge ! Alors une pollution qui s’étend sur des kilomètres …

Il n’y pas que la pollution de la terre qui doit être pensée sur un long terme. Il en va de même pour les cours d’eau. En effet, la pollution d’une rivière, d’un lac ou même de la mer est une affaire à très long terme et cela pour plusieurs raisons. Les produits toxiques s’infiltrent dans les sols en provenance de l’écoulement de l’eau à partir des champs, par la pluie ou l’arrosage par exemple. Puis les fonds de rivières, des lacs ou des mers, qui ont absorbé une grande quantité de polluants. relâchent lentement ces polluants dans l’eau.

Ces polluants ont au moins trois incidences directes. Premièrement, le polluant tue directement les êtres vivants qui l’absorbent en se nourrissant. Deuxièmement, le/les polluants modifient ce que l’on appelle la «tension superficielle de l’eau». Troisièmement, ils modifient le pH de l’eau. La tension superficielle de l’eau peut être imaginée comme une sorte de «peau», plus ou moins difficile à traverser, permettant notamment les échanges entre l’eau et l’oxygène de l’air. Ce qui arrive le plus souvent, c’est que l’eau va ainsi s’appauvrir en oxygène. La vie est donc petit à petit étouffée. Le pH indique le degré d’acidité de l’eau. Ce pH est dit neutre lorsqu’il vaut 7. C’est le cas de l’eau pure. Au-dessous de 7, on considère que l’eau est acide; au-dessus, on l’appelle basique. Une eau ne serait-ce que légèrement acide a pour effet de détruire les carapaces de certains coquillages, par exemple.

L’intuition la plus élémentaire nous fait donc bien percevoir ici que ces questions ne se régleront pas en deux coups de cuillère à pot, qu’un changement social même radical ne va pas dépolluer la terre comme par miracle et que l’héritage sera très lourd…

Ce n’est pas notre propos de nous étendre ici sur la notion de catastrophe écologique. Mais il s’agit d’un domaine où le débat au sein de la gauche manque, et plus particulièrement au sein de la gauche qui se dit anticapitaliste. Les mouvements «étroitement» écologiques ne devraient pas exister en tant que tels, car ils sont le produit d’une vision partielle et «hachée» de la société et du mode de production et de reproduction de cette dernière.

Nombre de revendications écologiques peuvent (et doivent) s’intégrer dans une dynamique de santé au travail, de santé publique – donc de sécurité sociale, au vrai sens du terme – ou encore, pour illustration de base, l’exigence «de produits bios» pour les enfants dans les crèches.. Ce sont des faits d’évidence. On s’arrêtera ici, mais ce ne sont pas les exemples et les domaines qui manquent.

Alors, pour les cultivateurs de la région d’Ajka qui sont désormais des «licenciés» ad aeternam, quelle perspective humaine et sociale reste-t-il, pour eux qui ont perdu leurs terres et les cultures ? Quel sera l’avenir de toute une région avec ses terres devenues stériles et ses nappes phréatiques polluées jusqu’au Danube, y compris le fleuve lui-même ?

A cela s’ajoute ce que le docteur Terence Hale, sur le site de NewScientist, souligne: les effets à moyen et long terme sont sous-estimés. L’aluminium, par divers biais, est considéré comme un des nombreux facteurs dans le développement de la maladie Alzheimer [2]. De quoi poser la question de la «pollution» sous l’angle d’un mode de production qui «pille» la force de travail, les êtres humains qui la «portent» et le «cadre naturel», placé qu’il est sous le fouet de la concurrence entre capitaux privés et le profit accaparés par les «possesseurs» décisifs; les vrais décideurs.

1. Projet d’assainissement de la Décharge Industrielle de Bonfol, bci Betriebs-AG, 2003

2. Aluminium and Alzheimer's disease, Alzheimer's Society

Publié sur www.alencontre.org


Privatisation des profits et socialisation des pertes

L'entreprise Magyar Alumínium (MAL), responsable de la catastrophe, vient d'être nationalisée par l'Etat hongrois, qui l'avait privatisée en 1995. Ainsi, ce sont des fonds publics qui devront assurer les indemnisations, évaluées pour l'instant à 76 millions d'euros.

Cette nationalisation pour le moins rapide et précipitée a été décidée au Parlement hongrois par 336 votes pour, 1 contre et 13 abstentions. Le président hongrois, Pàl Schmitt, a immédiatement signé la loi qui, a été publié en extrême urgence dans le journal officiel.

MAL est une entreprise née en 1995 avec la privatisation du secteur public minier hongrois, après la chute du « socialisme réel » en Europe orientale. Elle emploie 1.100 travailleurs en Hongrie, détient 12% du marché européen de l'aluminium et 80% de sa production est destinée à l'exportation.

MAL a profité des politiques néolibérales pour faire un maximum de profits en exploitant le minerai de bauxite pour le transformer en aluminium, dans un contexte d'absence de régulation environnementale et, comme l'ont dénoncé des organisations écologistes, avec la complicité des autorités publiques. Ces dernières avaient détecté l'existence de fissures, mais elles n'ont pas obligé l'entreprise à les réparer afin de garantir la sécurité des habitants de la région.

Ainsi, à l'heure où l'entreprise privée doit faire face à ses responsabilités, le gouvernement vole à son secours en la nationalisant. Il ne fait pas de doute que, demain, quand l'affaire se sera « tassée » et que toutes les indemnités auront été payées avec de l'argent public, il procédera à nouveau à sa privatisation! Les « eaux glacées du calcul égoïste » capitaliste ressemblent à un torrent de boue rougeâtre. (LCR-Web)

Voir ci-dessus