Marcher pour ne pas se résigner: entretien et vidéo avec les marcheurs de la Marche Saragosse-Bruxelles
Par Ataulfo Riera, Sandra Invernizzi le Dimanche, 03 Octobre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Partis de Saragosse le 14 août dernier, une quinzaine de marcheurs ont atteint Bruxelles le 27 septembre dernier pour participer à l'euro-manifestation du 29 septembre. À Bruxelles, ils et elles ont été accueilli-e-s au centre culturel Garcia Lorca le mardi 28 septembre, avec le soutien d'Izquierda Unida Belgica, Formation Léon Lesoil-LCR, CADTM, Transform et les Marches européennes. Entretien avec José Luis Martinez, porte-parole de la « Marche Saragosse-Bruxelles pour les droits sociaux ».

Comment est née votre initiative, avec quels soutiens?

José Luis Martinez: Nous venons essentiellement de l'Aragon, une Communauté autonome de l'État Espagnol, et plus particulièrement de sa capitale, Saragosse, une ville de 700.000 habitants. Dans cette ville, il existe une solide tradition de collaboration entre diverses forces politiques et syndicales de la gauche radicale.

Au printemps dernier, le gouvernement de Zapatero a adopté une Réforme du code du travail et le 8 juin, il y a eu une grève du secteur public qui a été un échec relatif. Nous avons été alors informés qu'il y avait un appel pour une manifestation européenne le 29 septembre à Bruxelles.

Nous nous sommes rapidement concertés entre membres de plusieurs organisations et avons conclu qu'il était nécessaire de faire un geste fort et symbolique pour montrer que les gens étaient prêt à lutter et à résister, qu'on n'allait pas jeter le gant. Plusieurs organisations politiques (Izquierda Unida, Izquierda Anticapitalista et un parti nationaliste de gauche aragonais) syndicales (la CGT, l'Organisation intersyndicale des travailleurs d'Aragon et la CNT) et associatives (collectifs de soutien aux sans-papiers, le Réseau d'Écologistes en Action) ont accepté de soutenir le projet d'une marche vers Bruxelles.

Au-delà de toutes leurs différences, ces organisations politiques, syndicales et associatives partagent la même conviction que l'application des plans gouvernementaux aura comme conséquence de détruire un siècle de conquêtes sociales et de droits pour les travailleurs dans notre pays, qu'il s'agit de l'attaque la plus brutale contre les salariés depuis ces cinquante dernières années. Pendant l'été, malgré les difficultés liées à cette période de vacances, nous avons monté le projet et, le 14 août, nous sommes partis de Saragosse.

Quelles sont vos revendications et motivations qui vous ont poussé à prendre l'initiative d'une telle marche?

Les revendications de la marche tournent avant tout autour du refus du paquet de mesures d'urgence prises par le gouvernement Zapatero, après qu'il se soit mis à genoux devant le Fonds monétaire international (FMI). Il s'agit d'une réforme du code du travail qui rend le licenciement pratiquement libre et gratuit, de la réforme des pensions, qui recule l'âge de la retraite à 67 ans. Il s'agit de la disparition, à terme, des conventions et des négociations collectives — une mesure prévoit ainsi qu'en cas de « difficulté économique », une entreprise peut ignorer la convention collective en vigueur dans son secteur. Il s'agit, également, d'un projet de loi de réforme et de privatisation des caisses d'épargne.

Bref, c'est un énorme paquet de mesures néolibérales que le gouvernement a adopté en suivant les recommandations du FMI. Pour ce dernier, l'Europe doit être « compétitive » face aux économies émergentes comme celles de la Chine ou de l'Inde, en rabaissant les conditions de travail et salariales aux conditions qui existent dans ces pays.

Il faut savoir qu'en Espagne, la droite et l'extrême droite mènent une campagne idéologique intensive contre les organisations syndicales et les militants syndicaux, une offensive qui n'est pas étrangère non plus aux faiblesses et au manque de fermeté des directions des syndicats majoritaires. Les syndicats sont accusés d'être des organisations frauduleuses et les syndicalistes des gens corrompus. Nous pensons que la contestation de ce discours est une question clé : si les travailleurs croient que les organisations syndicales sont corrompues, ils s'en détourneront et plus personne ne pourra les défendre.

Nous pensions que cette marche devait donner une signal : même si on peut nous traiter de fous, en aucun cas on ne peut nous taxer d'être des corrompus! Nous voulions rendre l'auto-estime de soi et l'esprit de lutte parmi les travailleurs, qui ont été très démoralisés suite à l'échec de la grève du 8 juin. Sur ce terrain là, nous pensons que nous avons atteint, à notre échelle, notre objectif. Nous l'avons constaté au cours de notre périple dans le territoire espagnol, à travers les gestes de solidarité que nous avons reçus de la part de gens qui considéraient que ce que nous faisions était juste et correct.

Quel a été l'impact médiatique dans l'État espagnol?

Au niveau de l'État espagnol, l'impact médiatique a été relatif. Par contre, au niveau de notre région, l'Aragon, l'écho a été énorme dans les TV, radios et journaux régionaux. C'est un phénomène très espagnol où les faits politiques et sociaux sont très déterminés par les contextes locaux. Le fait que la marche soit partie de la capitale de l'Aragon et soit essentiellement composée d'Aragonais a donc logiquement joué à plein dans la bonne couverture médiatique régionale.

Comment s'est déroulée la marche?

Les sept premières étapes ont été particulièrement pénibles à cause de la chaleur et des distances parcourues. Du fait de la nécessité d'arriver à Bruxelles pour le 29 septembre, on a dû faire des étapes véritablement marathoniennes! L'une d'elle, tout particulièrement, était de 57 km, en plein mois d'août et sous un soleil de plomb, ce qui n'a pas été sans conséquences pour l'état physique des marcheurs (brûlures, lésions importantes aux pieds, etc.).

Mais ces fatigues ont été grandement compensées par l'énorme sympathie que nous avons trouvée, dès le début et tout au long du trajet. Nous avons reçu un accueil qui allait de simples personnes qui nous ont hébergé-e-s, mais surtout de collectifs miliants, tant en territoire espagnol que français. En France, l'accueil a été souvent véritablement émouvant.

Le plus dur a été de combiner des journées de 8 à 9 heures de marche avec des réunions, des contacts et des rencontres. À la limite, le stress a été plus élevé que la fatigue physique! Mais cela a été fortement compensé par la solidarité reçue. En France surtout, où nous avons marché pendant des semaines, la gauche la plus engagée et les syndicalistes combatifs nous ont offert une authentique leçon de solidarité, d'hospitalité et de tendresse qui ont nécessairement changé la mentalité de ceux et celles qui ont participé à la marche.

Nous avons eu à cœur également de participer directement aux luttes sociales qui se déroulent en France en ce moment sur les retraites, en participants aux deux journées de grèves et de manifestations du 7 et du 23 septembre. Mais nous avons aussi participé aux manifestations contre la politique raciste de Sarkozy à l'égard des Roms et des sans-papiers, contre sa volonté de capter en sa faveur les électeurs de l'extrême droite.

Nous avons eu également à subir l'attention de la police française, qui nous a harcelé pendant plusieurs jours. On a pu mettre un terme à cela grâce aux organisations qui soutiennent la marche dans l'État espagnol et qui ont exercé une pression efficace sur l'ambassade française.

L'origine de ce harcèlement serait digne de figurer dans un roman policier. Pendant plusieurs semaines en effet, la brigade des stupéfiants nous a suivi. La raison? Parce qu'en entrant en territoire français, nous avons trouvé un véhicule abandonné en pleine campagne et l'avons signalé. Ce que nous ignorions — c'est l'inspecteur qui nous a interrogé par la suite qui nous l'a appris — c'est que cette voiture était chargée avec une demi-tonne de hahisch! Nous avons donc été suspecté-e-s d'avoir emmené avec nous quelques paquets. Nous avons préféré le prendre avec un certain humour, en déclarant à l'inspecteur que si nous étions des trafiquants de drogues qui avaient décidé de se déguiser en manifestants et de marcher 1500 km à pied pour écouler notre marchandise, alors il s'agissait sans doute du stratagème le plus original et créatif jamais utilisé jusqu'à présent par des narco-trafiquants…

Comment vois-tu la grève générale du 29 septembre dans l'État espagnol et ses suites?

Si nous avons initié cette marche, c'est parce que nous sommes réalistes, nous savons que la situation des travailleurs en Espagne est difficile, qu'elle est très défensive. C'est surtout du au fait d'une mentalité qui a dominé dans le pays au cours de ces 15 dernières années et qui est liée à l'immense spéculation immobiliaire. C'est une culture de « nouveaux riches » qui a profondément affecté les mentalités et la capacité de résistance.

Pour nous, la grève générale du 29 septembre n'est que le premier chapitre d'une résistance qui va durer plusieurs années contre une politique de type thatchériste. Mais nous pensons qu'il y a un élément très important. Plusieurs secteurs des travailleurs ont décidé de résister. C'est pour rendre visible et renforcer cela que nous avons initié cette marche et c'est le message que nous avons porté, un message humble et modeste d'un petit groupe, jusqu'à Bruxelles. Ce message est simple; il faut lutter, et il faut lutter tous unis parce que ce programme de réformes est un projet global qui s'attaque à l'ensemble du monde du travail, dans toute l'Europe, bien qu'il va être particulièrement dur dans notre pays.

Entretien réalisé par Ataulfo Riera. Vidéo: Sandra Invernizzi


Vidéo: soirée-rencontre avec les marcheurs à Bruxelles le mardi 28 septembre






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