SETCa BHV: Comment ils nous ont « limogés ». Entretien avec Martin Willems
Par Guy Van Sinoy, Ataulfo Riera le Lundi, 20 Septembre 2010 PDF Imprimer Envoyer

Nous publions ci-dessous un entretien réalisé avec Martin Willems, un des cinq secrétaires syndicaux du SETCA-BHV (Secteur Industrie), « licenciés » par le Secrétariat fédéral du SETCa prétendument pour  "faute grave". Pour rappel, le vendredi 3 septembre, l'ensemble des secrétaires syndicaux du secteur Industrie du SETCa Bruxelles-Hal-Vilvorde (Eric Van der Smissen, Bernadette Mussche, Hendrik Vermeersch, Ria Cerulis et Martin Willems) ont été convoqués par le Secrétariat fédéral du SETCa pour s'entendre dire qu'ils étaient licenciés collectivement et sur le champ pour "faute grave". D'emblée il saute aux yeux que la faute grave invoquée n'existe pas; elle n'est qu'un prétexte pour se débarrasser de secrétaires syndicaux qui posaient trop de questions et qui ont, par ailleurs, été élus démocratiquement par leur base, soit l’assemblée professionnelle, le comité exécutif et le Congrès régional.

Vous trouverez, ci-dessous en format PDF, la lettre de licenciement adressée par le Secrétariat fédéral ainsi que le mail adressé par Eric Vander Smissen aux membres du Comité exécutif fédéral du SETCa, mail qui détaille l'enjeu des choix à faire en matière de rénovation des bâtiments situés Place Rouppe (siège du SETCa-BHV) et ce, avant que ce comité et même que le comité exécutif régional ne prennent position.

Le secteur Industrie du SETCa BHV regroupe près de 14.000 employés syndiqués, compte quelque 2.000 délégués syndicaux et plus de 400 entreprises. Soutenus par les délégués syndicaux de leur secteur, les cinq secrétaires licenciés mènent la bataille pour leur réintégration. Vendredi 17 septembre à midi, un meeting de soutien aux Cinq licenciés s'est tenu Place de la Chapelle, face au SETCa fédéral. Il a rassemblé plusieurs centaines de participants (300 selon la police).

Dans quelles circonstances avez-vous appris votre licenciement?

Martin Willems: Le jour même, nous avons été convoqués devant une espèce de tribunal composé des secrétaires fédéraux. Ce n'était pas un véritable tribunal dans la mesure où il n'y avait pas de réquisitoire ni de droit à la parole pour les accusés. Ils nous ont simplement dit que nous étions licenciés pour faute grave. Dans les minutes qui ont suivi, notre GSM a été coupé, notre adresse mail a été désactivée, notre accès au réseau syndical a été bloqué et notre badge d'accès au bâtiment de la Place Rouppe a été neutralisé. Peu de temps après, les serrures de nos bureaux ont été changées. Tout le personnel administratif du secteur Industrie, Place Rouppe à Hal et à Vilvoorde, a aussi été coupé du réseau et a été prié de quitter les bureaux. C’est comme si des scellés avaient été mis sur les bureaux.

Nous avons demandé à pouvoir exercer notre droit à la défense, et donner notre point de vue. Cela a systématiquement été refusé, par le Secrétariat fédéral, tant le 3/9 que lors du comité exécutif régional du 9 septembre.

Il y a eu une véritable volonté d'effacer l'existence du secteur Industrie. Depuis deux semaines, toutes les lignes fixes des téléphones du secteur sonnent dans le vide, tant à Hal, qu'à Vilvorde, et qu'à Bruxelles. Etant donné qu'à Hal et à Vilvorde il n'y avait que le secteur Industrie, ces bureaux sont véritablement fermés. Les affiliés s’y rendant pour n’importe quel problème trouvent porte close et une affichette leur demandant de venir Place Rouppe à Bruxelles. Le personnel administratif de Hal et de Vilvorde doit venir chaque jour à Bruxelles où on lui donne des travaux annexes à effectuer (ex: classement d'archives). Sur le site web de la régionale du SETCa, le secteur Industrie a complètement disparu. Il est clair que cela a été préparé quelques jours à l'avance.

Le ministère, les commissions paritaires et les organisations patronales ont été avertis par le Secrétariat fédéral que nous ne représentions plus le SETCa. Par exemple, j'ai été automatiquement « effacé » du conseil d’administration du FEMB (Fonds social de formation pour les employés du métal du Brabant).

En même temps que nous recevions une lettre de licenciement, Agoria (ex-Fabrimétal, la fédération patronale du Métal), recevait une lettre l'informant que nous ne représentions plus le SETCa et que nous serions remplacés par d'autres personnes. La plupart des délégations de notre secteur ont ainsi appris par la direction de leur entreprise que "leurs permanents avaient changé". C'est incroyable!

Nous on ne reçoit pas par voie syndicale la liste des nouveaux directeurs d'entreprises et on n'appelle pas les cadres de ces entreprises pour les informer que leur direction a changé. Les représentants syndicaux ne sont pas des diplomates qui reçoivent des lettres de créance auprès des autorités du pays dans lequel ils résident. Nous n'avons pas à être reconnus par les directions d'entreprises. Quand un nouveau secrétaire permanent arrive ou quand un autre s'en va, il n'y a jamais de lettre à Agoria ou à la FEB pour signifier qu'il y a un changement de secrétaire permanent. Ce sont les délégués d’entreprise qui, lorsqu'ils le jugent nécessaire, appellent leur permanent à venir à une réunion dans l'entreprise. Ce sont donc les délégués d’entreprise qui présentent celui ou celle qu’ils considèrent comme « leur » secrétaire permanent à la direction de l'entreprise dans laquelle ils travaillent. Et la direction doit faire avec ! C'est la même chose dans l'autre camp. Quand on nous présente un nouveau directeur d'entreprise, nous ne commençons pas par dire: "Montrez-nous les statuts ou les documents officiels de votre entreprise qui prouvent qu'il s'agit du directeur véritablement mandaté par les actionnaires". Cela ne se passe pas comme ça.

Par conséquent nous ne considérons pas que nos mandats sont réellement révoqués. Les mandats nous permettant de représenter les travailleurs sont conférés par la base, c’est un principe de base de la FGTB. Ce n’est pas la "direction" du syndicat qui nomme. Nous sommes une organisation "bottom up" et non "top down" (comme une entreprise ou l’armée). Les affiliés et délégués qui nous ont élus n’ont pas été consultés pour entendre d’éventuels reproches à notre sujet, et donc ne se sont pas prononcés pour nous enlever nos mandats. Encore moins pour nommer d’autres permanents à notre place. Nous continuons donc à exercer ces mandats, avec l’appui des militants. La direction fédérale dit qu’il y a une "rupture de confiance", mais la confiance de nos militants, nous l’avons toujours, et c’est la seule chose qui importe.

Quelles sont les conséquences directes pour les délégués d'entreprise?

Martin Willems: Ils essaient d'appeler le personnel du SETCa qui est normalement à leur disposition, que ce soit le personnel administratif ou les secrétaires permanents. Plus personne ne répond: ni aux numéros de téléphone, ni aux adresses mail qu'ils connaissent. Ce n'est que parce que nous leur avons envoyé, par la suite, de nouveaux numéros de GSM et de nouvelles adresses mail qu'ils peuvent à nouveau nous contacter.

Selon toi, au-delà de la FGTB, pour l'ensemble du monde du travail quelles sont les conséquences les plus préjudiciables des actes posés par le Secrétariat fédéral du SETCa?

Martin Willems: Tous les militants syndicaux relèvent d'abord le mauvais exemple que notre syndicat donne au patronat et la contradiction entre cet acte du Secrétariat fédéral et la réalité quotidienne de nos délégués dans les entreprises. D'une manière générale, les fautes de travailleurs cela peut arriver, y compris des fautes importantes. Quand ils sont confrontés à de tels problèmes, les délégués tentent en général d'intercéder auprès de la direction, s’il y a réellement faute, afin d'alléger la sanction. Car rien n'est pire que de priver un salarié de sa rémunération et de faire régner la peur du licenciement arbitraire. En sachant en plus qu'un licenciement pour faute grave a des conséquences sociales particulièrement graves pour l'intéressé. Or ici le Secrétariat fédéral du SETCa fait exactement l'inverse ! Il invente de toute pièce une faute grave pour se débarrasser de secrétaires syndicaux qui ne lui plaisent pas. De surcroît, de façon collective! Personnellement, je ne connais pas d'autre exemple, si ce n’est celui de patrons qui inventent une faute grave pour se débarrasser de délégués syndicaux gênants! Un comble!

Ce qui est aussi nouveau, c’est le concept de "faute grave collective". Dans le cas qui nous concerne, le mail "qui fâche", attirant l'attention du Comité exécutif fédéral sur les problèmes soulevés par la rénovation des locaux du SETCa-BHV a été envoyé par l'un de nous, Eric Van der Smissen, en son nom. C'est une idée totalement réactionnaire que de considérer que pour l'acte posé par un membre d'une équipe, toute l'équipe doit être punie. Sans quoi on retourne à l'époque des empereurs de Chine où quand l'un mourrait toute sa cour devait se suicider avec lui. En disant cela, je rajoute aussi directement que toute manière, envoyer un e-mail argumenté et courtois, aux personnes qui doivent connaître les avis en présence, ce n’est PAS une faute, ni grave ni légère.

Le pire est donc qu'il n'y a pas de faute. C'est vraiment gravissime que le Secrétariat fédéral du SETCa s'aventure sur le terrain contestable de la faute grave. D'abord parce qu'il n'y a pas le moindre élément tangible pour invoquer une faute grave. Il y a eu volonté de notre part d'avoir un débat sur un certain nombre de questions sur les perspectives de notre section. Et pas seulement sur cette affaire de bâtiments. Cela ne date d’ailleurs pas d’hier, nous avons toujours eu une culture de débat dans la section, et même si cela énerve certains, c’est la base d’un fonctionnement démocratique.

Si le syndicat invoque l'idée que le fait de formuler des critiques ou des opinions divergentes constitue en soi une faute grave, alors c'est du pain béni demain pour le patronat. C'est tout-à-fait contraire à l'esprit syndical qui dit: "Dans l'entreprise, on ne peut pas entendre qu'une seule voix, celle de l'employeur. Il faut aussi que des voix divergentes puissent s'exprimer. Il faut un contre-pouvoir syndical. Il faut que l'autorité soit tempérée par des militants qui mènent une certaine opposition dans le sens positif du terme. C'est d'ailleurs la raison d'être du syndicat."

Par exemple, à force de discussions, nous avions obtenu que soit organisé le 24 septembre un Congrès régional (ce qui normalement se fait sans problème, vu que c’est une obligation statutaire tous les 4 ans au moins). A peine a-t-il prononcé notre "licenciement", que le secrétariat fédéral annule notre congrès régional. Est-ce cela "pérenniser" la section et garantir la démocratie ?

Le danger n'est-il pas aussi le fait que le secrétariat fédéral du SETCa aille en justice pour plaider la faute grave et créer ainsi une jurisprudence favorable au patronat?

Martin Willems: Tout à fait. Il est syndicalement inconcevable que le SETCa fédéral engage, avec l'argent des syndiqués, des avocats chargés de rédiger des conclusions et de plaider pour justifier la faute grave. Demain, cette pratique perverse peut se retourner contre tout travailleur. Et quand je dis tout travailleur, je pense aussi aux délégués dans les entreprises qui sont protégés contre le licenciement, mais pas contre la faute grave. Bon nombre d'employeurs peu scrupuleux invoquent d’ailleurs souvent la faute grave pour se débarrasser d'un délégué combatif.

Les arguments développés dans la lettre de licenciement veulent accréditer l'idée que le débat que nous soulevions était un acte d'insubordination. Demain tout employeur pourra utiliser l'argumentation du SETCa fédéral pour se débarrasser d’un délégué syndical qui conteste le point de vue de la direction d'entreprise.

As-tu quelque chose à ajouter?

Martin Willems: Oui. Je regrette la volonté manifeste de nous discréditer et de nous humilier. Ainsi la façon dont ont été traités Eric Van der Smissen et Bernadette Mussche, des secrétaires qui ont consacré toute leur vie à militer au SETCa et à le faire vivre. Leurs bureaux à Hal ont été "nettoyés" par une équipe venue "trier" les dossiers, les archives (certains documents de la FGTB qui ne sont plus disponibles), des archives juridiques et peut-être aussi des affaires personnelles. Sur les photos que j’ai vues, on voit des dizaines de sacs poubelle remplis de ces documents, entassés dehors et puis jetés dans un container. Des documents précieux, mais aussi des années de travail, des souvenirs de combats ont ainsi été mis à la poubelle.

Propos recueillis par Ataulfo Riera et Guy Van Sinoy

- Lettre de licenciement adressée aux cinq permanents licenciés (PDF)
- Le mail incriminé dans la lettre de licenciement comme constitutif de la preuve d'une « faute grave » (PDF)
- Pétition de soutien aux "5 permanents licenciés" (en format RTF)


Site internet de soutien et appel aux dons

Un site de soutien, avec la pétition en ligne et plusieurs infos, a été lancé:

http://www.reintegrationnow.be/site/

Soutenez les 5 victimes avec une aide financière dans leur lutte contre l'injustice. Si vous le souhaitez, il y a un compte bancaire sur lequel vous pouvez verser de l'argent  :

979-7886992-24 au nom de reintegration now



Photos du rassemblement de solidarité avec les « 5 » devant les bureaux de la FGTB le vendredi 17 septembre

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