Italie: Le racisme se déchaîne à Rosarno avec la bénédiction du gouvernement Berlusconi
Par Freddy De Pauw le Jeudi, 21 Janvier 2010 PDF Imprimer Envoyer

La petite ville de Rosarno en Calabre est devenue le symbole de la montée du racisme en Italie. L’Italie serait-elle raciste? C’est l’impression qu’elle donne depuis peu au monde extérieur, même si les attentats, rafles et meurtres racistes y étaient déjà monnaie courante depuis quelques années. Le fait qu’un parti xénophobe, la Lega Nord, ait reçu des portefeuilles-clés sous Silvio Berlusconi, avait à peine retenu l’attention du reste de l’Europe. Un parti frère du Vlaams Belang qui fournit le ministre de l’Intérieur d’un grand Etat membre de l’UE, ce n’est pourtant pas rien. Rosarno en est le fruit amer.

Rosarno se trouve dans la Piana di Gioia Tauro, une région où la 'Ndrangheta (terme qui englobe les clans mafieux de Calabre) est très puissante. Ces clans recrutent des travailleurs africains depuis près de 20 ans. Celui qui travaille 12 à 14 heures par jour peut gagner jusqu’à 20 € dont il faut retirer 5 € de ‘pizzo’ (la fameuse “taxe de protection” de la mafia) pour le recruteur, l’homme qui vient le matin chercher la main d’œuvre pour la journée. Certains de ces travailleurs saisonniers ont des papiers, la plupart n’en ont pas. Mais même les travailleurs avec papiers ont été chassés de Rosarno. Et avec ou sans papiers, tous ont dû décamper sans leur paye de plusieurs journées de travail et en laissant derrière eux leurs maigres possessions comme un vieux vélo, une petite valise avec quelques vêtements, une paire de chaussures.

Ils viennent de toutes les régions d’Afrique, après avoir payé des trafiquants d’êtres humains, pour travailler dans des conditions qu’ils n’osent pas raconter aux leurs restés au pays. Ils cueillent le raisin en septembre en Sicile, les olives en novembre dans les Pouilles (Bari) d’où les trafiquants les expédient en Calabre pour atterrir en été dans les serres et les jardins de Campanie (Naples). Dans la Piana di Gioia Tauro tous les vergers appartiennent aux ‘ndrine’, les clans mafieux; y travailler revient automatiquement à travailler pour un groupe mafieux.

La mafia était-elle aussi derrière les violences contre les immigrés et leur mouvement de protestation? Les premiers coups de feu tirés sur eux l’auraient été par des jeunes issus de la mafia. Mais presque tout le monde a une arme à feu dans cette région. On est vite enclin à y voir la main de la mafia, mais quel intérêt les chefs mafieux y auraient-ils? Pour donner une bonne leçon aux immigrés après qu’ils sont descendus en masse dans les rues pour protester, y compris contre leur exploitation? L’intérêt des chefs mafieux est de pouvoir continuer à exploiter les immigrés, et donc qu’ils restent. Le problème est plus profond, l’explosion à Rosarno survient après une période de tensions racistes qui ont agité l’Italie du Nord au Sud.

Banalisation

Depuis près de vingt ans dans la clandestinité! Toutes les autorités le savent bien mais ne font rien contre ces formes extrêmes d’exploitation et violations des droits humains élémentaires – comme le droit aux soins de santé et à une hygiène minimale. Les conditions de vie inhumaines signifient encore plus de profits pour les entrepreneurs mafieux ou protégés par la mafia. Presque personne ne se soucie du sort des travailleurs surexploités à part quelques syndicalistes et organisations liées à l’Eglise.

Mais les dernières années ont vu une banalisation du racisme en Italie. C’est devenu particulièrement grave au début du siècle quand la Lega Nord a organisé des marches dans ses bastions du Nord contre la construction de mosquées, contre les immigrés des Balkans (Roumains, Albanais), contre les Tsiganes. La Lega Nord était, dès sa fondation dans les années quatre-vingt, un parti inspiré par le racisme; au début elle s’en prenait surtout aux “terroni”, les “immigrés” du Mezzogiorno, le sud de l’Italie. Ils appelaient à ne pas engager de terroni et à les licencier en priorité lors des suppressions d’emplois. Ils ont joint le geste à la parole dans les villes et communes où ils avaient leur mot à dire.

La Lega Nord

La Lega Nord a évolué de la droite à l’extrême droite. Elle a fait appel à de pseudo-scientifiques pour prouver que les Italiens du Nord avaient un patrimoine génétique celtique, différent de ceux du reste du pays. Dans les années nonante, elle a substitué le Vlaams Blok à la Volksunie comme partenaire flamand.

Lors des élections de 2001, les partenaires de l’UE se sont inquiétés de la possibilité de voir la Lega Nord rejoindre le gouvernement de Berlusconi. “Il n’en est pas question”, dit Berlusconi aux ambassadeurs des pays de l’UE manifestement soucieux. Mais quelques semaines plus tard, la Lega Nord recevait même le ministère de la Justice. Berlusconi a formé un axe avec son leader Umberto Bossi au grand dam de Gianfranco Fini, le leader de l’Alliance Nationale, héritière du MSI néofasciste.

On assiste depuis lors à une recomposition remarquable au sein de la droite. La Lega Nord et Forza Italia de Berlusconi ont viré tellement à droite que les héritiers du fascisme sont devenus les modérés de la droite! Cela s’est encore fortement exprimé au sein du troisième gouvernement Berlusconi – au pouvoir depuis deux ans. C’est Fini qui s’y est dressé contre les mesures ouvertement racistes du ministre de l’Intérieur Roberto Maroni, le numéro 2 de la Lega Nord.

Ce troisième gouvernement Berlusconi (les précédents: 1994 et 2001-2006) porte plus que les précédents la marque de la Lega Nord. “C’est comme si la Lega avait eu 40% des voix et le PDL seulement 15%, a grommelé Fini. PDL signifie "Popolo della Libertà", le parti issu de la fusion de Forza Italia et de l’Alliance Nationale. Le PDL a eu 40%, la Lega 10%, mais les rapports politiques sont tout autres.

La Lega Nord a fait adopter des lois que l’UE et l’ONU ont stigmatisées comme autant d’atteintes aux droits de l’homme. Cela vaut pour la loi qui fait de l’entrée illégale sur le territoire un délit passible de peines de prison et d’amendes. A une proposition d’accorder la nationalité italienne après cinq ans de séjour légal (dix ans actuellement), le gouvernement a répondu par une mesure visant à limiter à 30% le nombre d’“élèves étrangers” dans les classes.

Cette politique gouvernementale a exacerbé toutes les formes de racisme. Le gouvernement dépeint les immigrés comme une cause d’insécurité et autorise les patrouilles des “rondes citoyennes”. Chaque délit qui implique un immigré ou un Tsigane prend des proportions démesurées pour susciter un climat d’angoisse. Les politiciens locaux de la Lega Nord multiplient les provocations qui font l’amalgame entre immigration et criminalité.

Lorsqu’un ministre (Maroni) trouve que les immigrés clandestins n’ont pas droit aux soins médicaux de base et propose de mettre des canons sur la côte pour repousser les embarcations des illégaux, les groupes racistes se sentent autorisés à attaquer les camps tsiganes comme ce fut le cas à plusieurs reprises l’année passée. La presse de droite utilise des termes ouvertement racistes – comme “Bingo-Bongo” pour désigner un Africain noir. Le nombre de meurtres racistes augmente; c’est angoissant de voir la chape d’indifférence qui les couvre. Ce racisme militant est même devenu banal. L’été dernier le journal La Repubblica a publié des photos de touristes à Naples qui flânaient tranquillement devant les corps de deux fillettes tsiganes noyées. C’est aussi très inquiétant de voir le soutien que la Lega Nord obtient dans ses bastions parmi les ouvriers et les employés avec son programme raciste.

Résistance

Ce racisme officiel suscite de la résistance. Si l’Eglise pouvait compter sur Berlusconi et la droite sur les questions éthiques (contrat de vie commune, recherche sur les cellules souches, limitation du droit à l’avortement…), le Pape Ratzinger a tancé la politique xénophobe après la tragédie de Rosarno. “Les immigrés ont droit au respect, aux mêmes droits que les autres. Halte à la violence”, dit le message de Benoît XVI. Tandis qu’il disait ça, les pompiers étaient déjà en train de démonter les campements des travailleurs en fuite. Il y a eu aussi la réplique de Fini qui est membre de la coalition de droite. Mais Fini, donc l’héritier du néofascisme, plaide depuis un petit temps déjà pour le droit de vote aux immigrés extra-européens qui résident légalement depuis un certain temps dans le pays. Il se met ainsi clairement en porte-à-faux par rapport à la Lega Nord.

L’opposition du centre-gauche – il s’agit surtout du Parti démocrate (PD) issu de l’ancien Parti communiste (PCI), et de la Démocratie chrétienne – proteste mais n’organise aucune action. Les condamnations les plus sévères viennent en fait des milieux catholiques non politiques. On peut lire l’une des critiques les plus incisives de la politique d’immigration et de sécurité dans ‘L’avvenire’, l’organe de la Conférence épiscopale italienne (CEI).

Mais personne ne peut contourner le fait que l’exploitation à grande échelle des immigrés – légaux et clandestins – dure depuis vingt ans (et même plus dans certains cas) et qu’aucune autorité ou organisation ne s’y est attaquée. La tragédie de Rosarno est le résultat d’années de cécité consciente face à ces formes pourtant extrêmes d’exploitation. Une exploitation par des entrepreneurs qui sont non seulement des capitalistes, mais aussi des mafieux dans ce cas-ci.

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