Un bilan de la campagne unitaire des élections régionales bruxelloises
Par Jan Willems le Jeudi, 18 Juin 2009 PDF Imprimer Envoyer

Aux élections régionales bruxelloises, la Ligue Communiste Révolutionnaire s’est présentée sur la liste unitaire PC-PSL-LCR-PH avec le Parti Socialiste de Lutte, le Parti Communiste et le Parti Humaniste. Pour la première fois, quatre organisations de gauche radicale se sont rassemblées autour d’une plateforme politique commune sur une liste unitaire qui a récolté un résultat modeste mais sans surprise de 0,50% des voix.

Un contexte général de prudence et d’attentisme

Bien que l’économie mondiale capitaliste et la Belgique s’enfoncent plus profondément dans la crise depuis l’automne passé, ces élections régionales n’ont pas été marquées par une mobilisation et une radicalisation de la population face aux attaques patronales et gouvernementales. Cette absence de radicalisation a pu se vérifier lors des différentes luttes sociales et manifestations sur Bruxelles (Sans-Papiers, IAC-FIAT, manifestation contre la présence des troupes belges en Afghanistan, …) qui réunissaient peu de monde en dehors de militants et sympathisants d’organisation. Même la manifestation syndicale internationale ressemblant 50.000 personnes le 15 mai était essentiellement composée des délégués et permanents syndicaux. Les délégations présentes restaient très modérées, même pour les calicots, à quelques exceptions près (notamment la délégation de VW ou par la visibilité de la campagne « le capitalisme nuit gravement à la santé » de la FGTB wallonne). On n’y a pas observé de débordement des consignes des directions syndicales.

Malgré les encouragements qui nous étaient exprimés à travers les récoltes de signatures de parrainage pour le dépôt de la liste unitaire régionale ou lors de nos interventions publiques, notre meeting commun du 8 mai a rassemblé une centaine de personnes, pour la plupart militantes des organisations. Les réactions dans la campagne n’indiquaient pas non plus une radicalisation ou une mobilisation massive de la population mais plutôt un dégoût général de la politique et une inquiétude face à la crise économique. La récession n’en est qu’à ses débuts. Même si de nombreux secteurs sont déjà touchés (automobile, métallurgie, chimie, intérim), il semble que la majorité de la population reste dans l’attente et espère que les partis traditionnels trouveront des solutions à la crise. Cette attitude de prudence et d’attentisme pourrait changer soudainement avec l’approfondissement de la crise dans les mois qui viennent mais elle semblait dominer au moment du scrutin. Cela peut expliquer pourquoi le soi-disant « vote utile » a pu nuire aux listes de l’extrême droite où les électeurs préféraient des partis traditionnels. Il est probable que ce contexte de crise a également poussé des électeurs de la gauche radicale à voter PS ou Ecolo pour barrer la route au MR.

Abstention et vote « utile »

L’abstention a continué de progresser pour passer de 15,8 en 2004 à 16,1% en 2009 alors que les votes nuls sont passés de 3,15 à 3,81%. Un cinquième de l’électorat bruxellois n’a pas voté ou a voté nul. La chute du PS a été moins forte que ne le prévoyait les sondages à Bruxelles. La perte était quelquefois estimée à 50% des voix, le PS chutant jusqu’à 14,4% des suffrages. Finalement le PS passe de 33,35 à 26,24%, soit une perte de moins de 20% de ses voix. Cette performance pourrait s’expliquer par la forte mobilisation des militants du PS qui ont joué la carte de la peur de la droite et du « bain de sang social » au cas où les libéraux arrivaient au pouvoir avec un poids électoral renforcé. Comme en Wallonie, l’extrême gauche a pu souffrir à Bruxelles d’un phénomène de vote « utile » en faveur du PS.

A l’instar de ce qu’on a pu observer en Wallonie, et dans une moindre mesure en Flandre, l’extrême droite s’est effondrée en région bruxelloise, passant de 45.000 voix (VB, FN, FNB) en 2004 à moins de 18.000 voix en 2009 (20.000 voix si l’on ajoute celles de la liste De Decker). C’est un résultat extrêmement positif pour le monde du travail en général et pour les communautés d’origine immigrée en particulier.

Ecolo fut le seul vrai gagnant en doublant ses voix. La perte du PS n’explique pas l’entièreté du gain d’Ecolo (il ya donc probablement eu des transferts du MR et du CDH vers Ecolo comme le suggèrent certaines études sur ces élections). La crise n’a pas généré à Bruxelles une poussée vers la droite.

Pas de « percée » pour la gauche radicale

Dans ce contexte, le PTB a presque doublé ses voix (si l’on additionne les voix de PVDA puisque la liste était commune en 2004) pour atteindre 0,84%. La liste unitaire PC-PSL-LCR-PH arrive derrière avec 0,50% et 2.042 voix. Celle de Cap D’Orazio n’atteint que 0,13% des voix.

Le score de la liste unitaire est largement supérieur aux scores des régionales wallonnes où le PC (et les candidats PH sur les listes PC-GE) se présentaient sur le sigle PC-GE. Par contre, il correspond quasiment à la moitié des scores additionnés des deux listes européennes PC-GE et LCR-PSL qui atteignent ensemble 0,95% des voix dans la région Bruxelles-Capitale (0,33% pour la liste PC-GE et 0,62% pour la liste LCR-PSL). Cette différence avec la liste unitaire PC-PSL-LCR-PH, qui rassemble pourtant à Bruxelles toutes les composantes de ces deux listes européennes, peut s’expliquer par le phénomène du vote « utile » qui est plus fort aux régionales qu’aux européennes et qui joue en défaveur des petites listes.

Nous regrettons que la liste Egalité ait voulu se construire et se présenter à côté de la liste unitaire plutôt que de l’élargir et l’enrichir en s’y joignant. Mais nous félicitons néanmoins cette autre petite liste, la seule clairement à gauche et populaire dans ses principaux axes programmatiques qui dépasse les listes de la gauche radicale avec un score de 1,05%, et cela malgré des moyens militants et financiers très limités. Il est difficile d’identifier précisément les causes de ce relatif succès mais on peut citer l’engagement de Nordine Saïdi (qui réalise le très bon score de 1.332 voix de préférence) et d’autres membres d’Egalité pour la Palestine, les positions contre les discriminations racistes et pour l’accès à de bons services publics ou encore le fait que cette liste présente de nombreux candidats disposant d’une base sociale locale. Cette réussite nous incite d’autant plus à engager des discussions politiques sérieuses sur nos divergences et nos convergences avec les militants progressistes de cette organisation politique encore peu structurée et à inviter nos partenaires de la liste unitaire à en faire de même.

Avant les élections, il était possible de s’accorder sur une opération dite de « regroupement », qui consistait à additionner les scores de petites listes distinctes mais liées par cette opération purement technique afin de mieux affronter le seuil d’élégibilité fixé à 5% de manière totalement antidémocratique par les grands partis traditionnels. A l’époque, la LCR avait proposé à ses partenaires d’inviter Egalité à opérer ce regroupement avec la liste unitaire. Mais notre proposition n’a pas été retenue. Nous avons perçu cette attitude comme une erreur et l’avons signalé à nos partenaires, tout comme notre volonté de dialoguer avec Egalité. Il n’est évidemment pas certains que ces discussions soient fructueuses. Mais des actions communes, sur le terrain des luttes comme sur le plan électoral, avec des initiatives comme Egalité nous semblent indispensables pour que la gauche radicale ne se coupe pas d’une partie importante de la classe ouvrière et des préoccupations liées aux réalités de vie dans les quartiers populaires bruxellois. De plus, en l’absence d’une telle démarche, la gauche radicale risque très probablement de se morceler électoralement encore plus.

Les faiblesses de notre campagne

Un résultat de 0,50% n’est évidemment pas satisfaisant en soi mais il était prévisible avec des forces militantes limitées et une faible couverture médiatique. Malgré quelques passages dans la presse écrite, télé et radio, notre apparition médiatique est restée bien plus de cent fois inférieure à celle des partis de gouvernement omniprésents, tant dans les médias que sur les panneaux électoraux.

Il est clair que le fait d’avoir des alliances électorales différentes au niveau des élections européennes et régionales a freiné la dynamique unitaire et a semé la confusion dans une partie de la population. La multiplication des sigles, numéros de listes et affiches ne nous a pas aidés. Cette différence d’alliances a également diminué notre impact médiatique face au PTB puisque les interventions à la télévision et à la radio de Pierre Eyben du PC et de Céline Caudron de la LCR ne pouvaient être que partiellement unitaires.

Nous avions dès le départ souhaité une liste unitaire de la gauche radicale aux européennes aussi large que possible en incluant le PC et le PTB. Le PTB nous a signifié qu’il irait seul à ces élections. Nous continuons à souhaiter une alliance électorale unitaire sur des bases politiques claires avec le PTB et nous continueront à discuter avec ses militants dans ce sens. Le PC, lui, a clairement imposé comme condition à une alliance électorale la dénomination « GE » (Gauche Européenne) pour inscrire la campagne dans le cadre du Parti de la Gauche Européenne (PGE). Cette condition non négociable était inacceptable -et peu propice à une démarche unitaire- car le programme du PGE est favorable aux institutions européennes existantes et donne l’illusion que le Parlement européen tel qu’il existe actuellement pourrait être un outil pour défendre les travailleurs alors qu’il ne dispose d’aucun pouvoir réel. Selon nous, une campagne anticapitaliste conséquente implique au contraire de mettre en avant la nécessité d’encourager et de soutenir des luttes sociales contre les bourgeoisies européennes, leurs gouvernements ainsi que tous les traités et institutions européennes existants.

Pour les régionales à Bruxelles, par contre, le PC a accepté de discuter sans condition préalable et les quatre organisations ont pu élaborer par des délégations dûment mandatées un programme et une appellation pour une liste unitaire. Ce programme défendait les intérêts du monde du travail, de tous les exploités et opprimés et donc bien évidemment des chômeurs, des retraités, des personnes issues de l’immigration et de la colonisation, des femmes et des milieux populaires. Il a été construit sur une base clairement anticapitaliste et mettait en avant la nécessité des luttes sociales pour imposer à la bourgeoisie et à son gouvernement un plan de mesures d’urgence. C’est sur cette base que le PC a réalisé avec les trois autres organisations son meilleur score électoral. Nous espérons sincèrement que le PC tirera les conclusions politiques de ces deux élections de façon à pouvoir élargir l’unité lors des prochaines échéances électorales.

Les aspects positifs de la campagne unitaire en région bruxelloise

A travers cette liste, nous nous sommes accordés entre quatre organisations sur une plateforme politique commune anticapitaliste, prenant la mesure de la crise globale du capitalisme, refusant toute coalition avec des partis gouvernementaux, défendant des mesures d’urgence et encourageant le renforcement des mobilisations sociales. Ces positions politiques, autant que le caractère unitaire de la liste, nous ont ainsi démarqué des autres listes de gauche. Cette démarche unitaire a évité un morcellement électoral encore plus grand, peu compréhensible pour la population et qui aurait surtout profité au PTB et aux partis traditionnels. Le faible score de CAP d’Orazio à Bruxelles est significatif à cet égard. Elle permet de mieux peser électoralement face au PTB et de porter un message anticapitaliste beaucoup plus clairement qu’à travers la campagne du PTB.

Le « groupe de pilotage » de la liste rassemblant des représentants des quatre organisations a permis de coordonner notre campagne commune, tout en nous enrichissant mutuellement de méthodes et de pratiques. Cette campagne unitaire a également créé un certain enthousiasme « à gauche de la gauche » et a permis de mobiliser des gens qui ne l’auraient pas été si nous nous étions présentés de manière séparée. Elle a amélioré les relations entre les quatre organisations en créant plus de confiance et de fraternité entre des militants. Elle a donc contribué à commencer de réduire le sectarisme dans chacune des organisations et à envisager une poursuite de ce travail unitaire, sur des bases politiques claires et avec des méthodes plus efficaces et conséquentes.

Cette campagne unitaire fut donc positive et constitue un pas de plus dans la refondation des forces politiques anticapitalistes en Belgique.

Voir ci-dessus