FGTB Wallonne: «Dénoncer le capitalisme, ensemble»
Par Denis Horman le Samedi, 20 Décembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

La FGTB Wallonne a décidé de lancer une campagne de dénonciations, de revendications et de propositions en rapport avec la crise actuelle, «une crise globale –financière, économique, sociale, énergétique, climatique, alimentaire, idéologique, morale…-, dont les différentes facettes renvoient toutes au modèle de développement économique dominant: le capitalisme» (texte introductif à la campagne).

Une initiative qu'il faut saluer dans le contexte actuel tant elle renoue avec les meilleures traditions du syndicalisme socialiste. D'autant plus que La FGTB Wallonne a également eu la bonne idée d’associer à sa démarche, aux côtés des acteurs syndicaux, des membres d’associations, d'ONG, d’organisations de gauche, car «la reconquête des idées exige de l’audace, une volonté politique mais aussi un rapport de force…et donc une indispensable convergence à gauche des expertises de chacun».

En préparation d’une première conférence qui s’est tenue le 15 décembre à Namur avec plus d'une centaine de participant/es, la FGTB Wallonne a distribué cinq fiches, cinq pistes de réflexions prioritaires pour sa campagne de propositions et mobilisation.

L’intitulé de ces fiches est le suivant : (1) légiférer sur la rémunération du capital au profit de politique sociales ; (2) tordre le cou aux paradis fiscaux ; (3) crise financière et crise économique : impacts sur les pays en voie de développement ; (4) pensions : 1er, 2ème, 3ème piliers ; (5) du rôle des banques et leurs dérivés (ces fiches ainsi que d’autres documents seront sur le site internet www.contre-attaque.be). Les débats et les contributions de la journée de réflexion du 15 décembre ont permis d'enrichir ces fiches, voir de les compléter, ce qui sera réalisé dans les jours à venir. Les instances de la FGTB Wallonne se prononceront ensuite sur le résultat avant de lancer effectivement la campagne sur les axes et les revendications qui auront été retenus.

La LCR, présente à cette première rencontre à Namur, a adressé, à la FGTB Wallonne et à son secrétaire général, Thierry Bodson, la contribution que nous publions ci-dessous. Sensible à la démarche proposée par l'Interrégionale de la FGTB Wallonne, à savoir « une mobilisation sur tous les fronts pour rétablir un équilibre dans la distribution des richesses créées par les travailleurs et accaparées par le capital depuis 30 ans», la LCR tenait, par cette lettre, à apporter une première contribution à la campagne de l’organisation syndicale wallonne.


A la FGTB Wallonne et à son Secrétaire général, Thierry Bodson

Cher camarade,

La Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR) salue l’initiative de la FGTB Wallonne qui a décidé de lancer une campagne de dénonciations, de revendications et de propositions en rapport avec la crise financière actuelle.

Nous apprécions tout particulièrement la proposition faite par la FGTB Wallonne, à des organisations et personnalités du monde académique, social, politique et associatif de gauche en Communauté française, de contribuer à enrichir les propositions pour sa campagne dont le titre situe clairement la démarche: «Dénoncer le capitalisme ensemble, c’est maintenant ou jamais»!

C’est pourquoi la LCR tient à répondre positivement à votre démarche en vous adressant cette contribution.

La crise est celle du capitalisme et pas seulement celle de la finance

Dans sa lettre d’invitation, la FGTB Wallonne situe d’emblée le contexte de sa démarche: «La crise est la plus grave depuis 1929. Ce n’est pas un accident mais un stade très prévisible d’un système économique profondément injuste qui vise le profit maximum en un minimum de temps (…). La fragilité du système et son immoralité éclatent au grand jour».

Au cœur de la crise, il y a le recul salarial, depuis le début des années 80 et à peu près partout dans le monde. En 1975, les salaires représentaient, en Belgique, 75% de la richesse nationale (le PIB), richesse produite par les travailleurs. Aujourd’hui, ils représentent moins de 50% du PIB. Cette baisse de la part salariale a permis un rétablissement du taux de profit, à partir du milieu des années 80. Les profits des entreprises n’ont fait que s’accroître pour exploser début des années 2000. Ce qu’a confirmé le service d’études de la FGTB. Et les cadeaux à toutes les entreprises (diminution d’impôts et baisse de cotisations patronales à la sécurité sociale) ont conforté ces profits.

En Europe, de 1982 à 2005, la part des salaires dans le PIB a reculé de 66,3% à 58%. Entre 1975 et 2006, ce sont 1.200 milliards d’euros qui ont ainsi été enlevés aux travailleurs au profit des capitalistes. Au même moment, le taux de prélèvement moyen sur les bénéfices des entreprises est passé de 38% à 24%.

Mais cette ponction sur les salaires et cette manne de cadeaux n’ont pas été utilisées pour investir dans la production ou encore pour augmenter l’emploi. La masse croissante des profits non réinvestis a été principalement distribuée sous forme de revenus financiers: augmentation continuelle des dividendes à l’actionnariat des entreprisesiii, capitaux gonflant la bulle financière, circulant en toute libertéiv en quête de la rentabilité immédiate et maximale ou cherchant les placements sûrs et fabuleux dans les paradis fiscaux.

«La fragilité du système capitaliste et son immoralité éclatent au grand jour», souligne la FGTB Wallonne. La crise financière actuelle met en cause les ressorts essentiels du mode de production. capitaliste. Il n’y a pas, d’un côté, le «bon» capitalisme productif et, de l’autre, le « mauvais » capitalisme financier: ce sont les deux faces de la même médaille.

La source de cette crise financière est au fond l’écart croissant qui existe entre les besoins sociaux et les critères propres au capitalisme, basés sur le profit maximum et en un minimum de temps. En fait, une des principales sources de la financiarisation est le détournement de richesse au détriment des salariés et au bénéfice des rentiers et le refus de satisfaire les besoins sociaux majoritaires.

La concurrence pure et parfaite, débarrassée des réglementations et autres «rigidités» fait apparaître l’absence totale de légitimité de ce système capitaliste, la régression sociale étant explicitement revendiquée comme la principale condition de réussite de ce système.

Il faut une autre répartition des richesses

1. Plus pour les salaires, moins pour les actionnaires

Une répartition plus égalitaire des revenus passe d’abord par un autre partage de la valeur ajoutée des entreprises, de la richesse produite par les travailleurs. Et cela, par la «modération actionnariale», la diminution des dividendes distribués aux actionnaires-rentiers et l’augmentation des salaires. Il devrait être exclu que les entreprises continuent à verser à leurs actionnaires des masses énormes de dividendes, en même temps qu’elles continuent à faire des profits, à licencier, à précariser et à bloquer les salaires.

De plus, la sacro-sainte compétitivité n’en souffrirait pas, la hausse des salaires étant compensée par une baisse des dividendes. La finance sera ainsi siphonnée vers l’économie réelle.

2. Une fiscalité plus juste

L'exigence de justice sociale doit s'accompagner de la justice fiscale. Une modification légitime du partage des revenus doit également s’opérer par un prélèvement fiscal sur les revenus financiers, actuellement faiblement taxés, vu l’absence de cadastre des patrimoines financiers, le maintien du secret bancaire fiscal et l’absence d’impôt sur les grosses fortunes et les plus values financières et boursières.

Comme l’a rappelé à plusieurs reprises la FGTB, l’essentiel des recettes fiscales directes vient de l’impôt sur les revenus, principalement les revenus du travail, ceux des travailleurs salariés-appointés du secteur privé et des services publics (et les allocataires sociaux) dont la fiche de paie est intégralement communiquée au fisc.

Un plan d’urgence sociale

Pour rétablir un véritable index, augmenter les salaires, préserver l’emploi, réduire le temps de travail, revaloriser les allocations sociales, pour pousser à la gratuité et l’extension de tous les transports publics, pour la mise en place de politiques publiques favorisant les énergies renouvelables, pour garantir le droit au logement…, l’argent existe. Il faut le prendre là où il est!

Prélever 50 milliards d'euros, c'est possible en prenant l'argent là où il est vraiment:

C’est le Conseil Supérieur des Finances lui-même qui le dit: «Si on appliquait la piste d’une meilleure taxation des revenus du capital, on pourrait trouver jusqu’à 3 milliards d’euros de moyens supplémentaires sans aucune conséquence négative sur la compétitivité». En réalité, cette somme pourrait être plus élevée encore; taxer les dividendes aux actionnaires aurait ainsi un rendement de plus ou moins 4 milliards par an (sur base des chiffres de 2006). La suppression des exonérations et exemptions au précompte mobilier – intérêts, actions - ramènerait 8 milliards d'euros supplémentaires dans les caisses publiques.

Par ailleurs, des calculs démontrent qu’un impôt de 2% sur les fortunes de plus d’un million d’euros (hors habitation personnelle) aurait un rendement théorique de près de 7 milliards d’euros par an. Une taxation annuelle d'Electrabel de 15 euros par mégawatt/heure rapporterait 900 millions par an. Et, enfin, plutôt que de faire la «chasse aux chômeurs», faire la «chasse aux grands fraudeurs», à la grande fraude fiscale des plus riches et des grosses entreprises permettrait de récupérer les 30 milliards d'euros annuels non perçus.

«La gauche doit faire barrage et occuper le terrain dès maintenant avec des contre-propositions offensives», souligne la FGTB Wallonne. «C’est le moment de faire des propositions concrètes (…) et créer un rapport de force significatif».

Ce rapport de forces doit être exercé tant vis-à-vis du patronat que du gouvernement.

La LCR avance une série de propositions offensives pour répondre à la gravité de la situation, pour sauver les gens, pas les banquiers et les actionnaires-rentiers:

- face à la perte du «pouvoir d’achat»:

Le retour à un véritable index; un salaire minimum décent de 1 500 euros/net; un rattrapage forfaitaire de 150 euros mensuel pour tous les salaires et allocations sociales; une revalorisation des allocations sociales (pensions, chômage, invalidité): un minimum de 1 100 euros par mois pour un isolé…Les gains de productivité doivent être à nouveau consacrés à l’augmentation des salaires.

- face aux discriminations que subissent les femmes, premières victimes de la crise:

Il faut des mesures spécifiques pour garantir une égalité réelle entre les hommes et les femmes et abolir la précarité qu'elles subissent massivement; à travail égal, salaire égal; suppression du statut de cohabitant; individualisation des droits sociaux; revalorisation de leurs pensions; conversion des emplois précaires, intérimaires, à temps partiel et titres-services en CDI; pour un grand service public du troisième âge et de la petite enfance (extension et gratuité des crèches et des garderies publiques).

- face aux licenciements, à la montée du chômage et aux fermetures d’entreprises:

Abolition des politiques «d’activation» et de sanctions à l’égard des chômeurs, pas de dégressivité des allocations et leur limitation dans le temps; en cas de chômage temporaire: revenu de remplacement à 100% du salaire antérieur en ponctionnant les dividendes; interdiction des licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices, sous menace de remboursement de toutes les aides publiques; réduction légale du temps de travail à 35 heures, avec embauche compensatoire et sans perte de salaire; réductions sectorielles à 32 heures…

- face à l’inégalité du partage des fruits du travail:

Réduction radicale des dividendes distribués aux actionnaires-rentiers et leur réinvestissement dans l’augmentation des salaires, de l’emploi, des services publics sous le contrôle des travailleurs et de leurs organisations syndicales; suppression des cadeaux (baisse des charges patronales, intérêts notionnels…) donnés indistinctement et sans contrôle aux entreprises, afin de sauvegarder le financement de la Sécu; égalité devant l’impôt, progressivité de l’impôt proportionnellement aux facultés contributives; impôt sur les grosses fortunes par la levée du secret bancaire, sur base d’un cadastre des patrimoines financiers.

- face à la crise climatique, aux prix énergétiques, alimentaires et du logement:

Blocage et contrôle public des prix et loyers par les organisations syndicales, de consommateurs et de locataires; création d’un grand service public du logement pour la construction massive de logements sociaux et la rénovation-isolation des habitations; création d'entreprises publiques de matériaux isolants et pour les énergies renouvelables; plan de formation publique pour les emplois dans ces secteurs; développement et priorité aux infrastructures fluviales et par rail pour le transport de marchandises; extension et gratuité de tous les transports publics; service public de l’énergie, de la production à la distribution, développant massivement les énergies renouvelables…Ces mesures sont nécessaires pour réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40% d’ici 2020 et de 80% à 90% pour 2050, si nous voulons éviter le scénario-catastrophe climatique.

- Face à la crise spécifique du secteur automobile:

Ecrasé entre la crise économique et la crise écologique, avec des conséquences qui seront comparables à la crise des charbonnages et de la sidérurgie dans les années '70-80. On ne peut permettre que les Etats offrent des milliards d'euros d'aides publiques aux capitalistes de ce secteur pour qu'ils licencient quand même et maintiennent en l'état une production aussi nuisible pour le climat. Il faut au contraire exiger de consacrer ces sommes à la mise sous contrôle public de l'industrie automobile pour sa reconversion rapide pour une autre production, socialement et écologiquement utile (trams, wagons, motrices, bus, petites voitures électriques, matériaux isolants), avec maintien de tous les emplois et des salaires.

- Face à la crise financière et banquière: «s'approprier» et non «réguler»

Des milliards d’euros ont été octroyés aux banques, en quelques heures ou quelques jours…alors que les caisses sont «vides» pour les salariés, les chômeurs, les pensionnés, l’emploi, la sécurité sociale, les services publics, les besoins sociaux…!

«Si rien qu’en Belgique, l’Etat intervient pour 20 milliards d’euros et fait ainsi augmenter notre dette publique de 9 milliards d’euros, ainsi que les charges d’intérêt et le déficit (jusqu’à 5 milliards d’euros en 2009) et ce, sur le dos de l’ensemble des contribuables, alors nous avons le droit d’exiger des leviers» Cet extrait tiré d’un document de travail de la FGTB ouvre le débat sur un problème de fond, sur l’organisation de l’économie: par qui, au service de qui? Va-t-on laisser dans les mains des profiteurs, des spéculateurs ou encore des licencieurs le sort de milliers ou de millions de personnes dans le monde?

La crise actuelle a démontré que la finance privée conduit à la catastrophe sociale. Les nationalisations partielles auxquelles on assiste ne font que socialiser les pertes et ont pour fonction de sauver la finance privatisée, avec l’argent de la collectivité.

Cette crise financière, la plus grave depuis 1929, remet à l’avant plan de l’actualité sociale la création d’un service public banque-assurance et du crédit, par la nationalisation de toutes les banques et institutions financières, sans indemnisation pour les gros actionnaires, sous le contrôle des salariés du secteur et de la population. Un service public décentralisé et mutualisé qui aurait pour objectif de drainer l’épargne et de mobiliser le crédit pour satisfaire les besoins sociaux et environnementaux, démocratiquement décidés par la collectivité.

Une telle nationalisation permettrait seule de vraiment «ouvrir les livres de compte». C’est aussi le seul moyen de vraiment «réguler» la finance et de faire du crédit et de l’assurance de véritables services publics, d’ailleurs extensibles à l’échelle européenne.

Il va sans dire que cette nationalisation intégrale des banques et assurances doit s’accompagner de la suppression des paradis fiscaux, de la levée des secrets bancaire et commercial, du contrôle des capitaux.

Contrôle démocratique et mobilisations sociales

Le capitalisme a subi une déroute idéologique et sa rhétorique ne trompe plus personne: c’est un système inique, inefficace et dangereux. Mais chacun comprend bien que tout va être fait pour que la majorité de la population paie les pots cassés pour une minorité de délinquants.

C’est pourquoi l’idée d’un contrôle démocratique – ce que dans la tradition du mouvement syndical socialiste, on appelle «contrôle ouvrier» - est aujourd’hui fondamentale: les citoyens ont le droit de contrôler où va leur argent, les salariés ont le droit de contrôler la répartition de la valeur ajoutée, ce qui justifie les revendications porteuses de cette exigence. Par exemple, les cadeaux et les aides publiques devraient être supprimées dans les entreprises dont les salariés constatent que l’emploi n’est pas maintenu, l’investissement productif en rade et les salaires bloqués.

Le capitalisme montre sa faillite, mais financiers, gros actionnaires, multinationales et gouvernements font appel à «l’union sacrée pour une sacrée arnaque» et demandent une fois encore aux travailleurs et à la population de se «serrer la ceinture».

Alors, oui, «c’est maintenant ou jamais» le moment, ENSEMBLE, de «dénoncer le capitalisme», de remettre fondamentalement en cause son fonctionnement et de mobiliser sur des revendications concrètes pour faire en sorte que la société ne subisse plus les lois du marché et ses crises catastrophiques.

Ligue Communiste Révolutionnaire (LCR)

Section belge de la IVe Internationale

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