Directive européenne sur le temps de travail: passera, passera pas?
Par Ataulfo Riera le Lundi, 08 Décembre 2008 PDF Imprimer Envoyer

Le 17 décembre prochain, le Parlement européen votera en deuxième lecture le projet de nouvelle Directive sur le temps de travail adopté par le Conseil européen des ministres du Travail en juin dernier (voir notre dossier). La Confédération européenne des syndicats (CES) s'est quant à elle souvenue qu'elle pouvait mobiliser les travailleurs et appelle à une euro-manifestation à Strasbourg le 16 décembre. Cette Directive, qui ouvre la porte à une extention hebdommadaire du temps de travail jusque 60 heures (ou 65 heures pour certains secteur) s'inscrit désormais dans un contexte nouveau avec l'aggravation de la crise capitaliste.

Fondamentalement, ce projet de révision de l'actuelle Directive sur le temps de travail (2003/88/EU), bien entendu défendu avec acharnement par le grand patronat européen, vise avant toute chose à accroître l'exploitation des salarié/es. Mais il poursuit également d'autres objectifs; flexibilité à outrance; affaiblissement des capacités de défense collective des travailleurs/euses et contribuer à préserver un niveau de chômage élevé permettant de maintenir les salaires à la baisse.

Pour rappel, trois éléments de ce projet de nouvelle Directive sont particulièrement imbuvables pour les travailleurs/euses:

1) Le redéfinition du «temps de garde»: dans les secteurs où un temps de garde est nécessaire (santé, pompiers, éducateurs, etc), on le définira désormais comme étant «actif» ou «inactif», ce dernier n'étant dès lors plus considéré comme tu temps de travail normal. C'est dans ces secteurs que le temps de travail pourra aisément atteindre 65 heures par semaine.

2) La «clause du consentement individuel»: Cette clause (dite de «l'opt-out»), déjà présente dans la Directive en vigueur mais initialement destinée à disparaître - bien que toujours appliquée dans des pays comme l'Angletterre ou Chypre - sera au contraire généralisée à tous les Etats membres. Elle permettra aux patrons de contourner les conventions collectives en imposant individuellement à leurs employés une augmentation de leur temps de travail au-delà de la norme actuelle (théoriquement) maximale de 48 heures par semaine.

3) Le calcul de la «période de référence»: Dans la Directive en vigueur, le calcul de référence pour l'extension du temps de travail par «consentement individuel» était de 4 mois. Le projet du Conseil européen vise à l'étendre jusqu'à 12 mois. Dans ce cas, un/e salarié/e pourrait théoriquement travailler 78 heures par semaine pendant 6 mois et 18 heures/semaine pendant les 6 mois suivants...

Une étude récente (1) apporte quelques éléments nouveaux sur ces questions. On y apprend qu'il y a déjà 30 millions (soit 15%) des 218 millions de salarié/es et d'indépendant/es que compte l'UE qui travaillent «régulièrement» plus de 48 heures par semaine, la Belgique se situant un peu en dessous de cette moyenne. Les secteurs les plus touchés sont l'agriculture, la construction, l'Horeca et les soins de santé. Les chiffres sur l'impact du temps de travail sur la santé confirment ce qui relève de l'évidence: plus ce temps de travail augmente, plus les risques d'accidents ou de maladies augmentent en proportion. Ainsi, ces risques passent de 25,5% pour une semaine de travail équivalente ou inférieure à 48 heure à 45% pour une semaine de plus de 48 heures. Sans surprise également; l'impact négatif sur la vie familiale et sociale passe respectivement de 15,9% à 44,6% et l'étude souligne que les problèmes de stress, d'absentéisme, de démotivation et de «burn out» augmentent sinificativement à mesure qu'on allonge les horaires.

Réduire ou augmenter le temps de travail?

Dans un contexte de croissance économique, l'allongement du temps de travail, outre qu'il permet depuis toujours une extorsion de la «plus-value absolue», constitue une option idéale pour le patronat puisque cela permet de répondre aux hausses de production tout en n'engageant pas d'effectifs supplémentaires.

Mais l'affaire se complique lorsqu'éclate une crise de surproduction... Commme on peut le constater quotidiennement dans plusieurs secteurs, la production est alors fortement réduite et le patronat en profite pour «dégraisser» les effectifs en s'attaquant en premier lieu aux salariées les plus précaires, intérimaires et temporaires. Lorsque le «volant» de travailleurs/euses aisément jetables est épuisé, le patronat utilise alors le mécanisme du chômage temporaire. Mais ce dernier n'existe pas dans tous les pays et ne pourra pas non plus se prolonger indéfiniment. Les charettes de licenciements «secs» ne sont plus loin, mais une autre solution consiste tout bonnement à réduire provisoirement le temps le travail... et les salaires bien entendu! Bref, hier nous devions absolument travailler plus en gagnant la même chose, et aujourd'hui, dans certains cas, il faudrait absolument travailler moins, pour gagner encore moins!

Ainsi, à l'encontre du courant dominant depuis quelques années, certains chefs d'entreprises envisagent désormais de recourir à la réduction du temps de travail; aux Pays-Bas, des discussions gouvernement-syndicats-patronat ont débuté en novembre dernier à huis clos pour évoquer la généralisation des 36 heures/semaine afin d'éviter l'explosion sociale que provoquerait des vagues massives de licenciements secs. Certains secteurs du patronat allemand - le champion depuis 2003 de l'allongement du temps de travail sans augmentation du salaire - envisagent à présent eux aussi de le réduire, comme c'est déjà le cas dans l'équipementier Bosch.

La Directive sur l'allongement du temps de travail, conçue et élaborée en des temps meilleurs pour les capitalistes semble donc encore plus inacceptable dans le contexte actuel. Mais si certains secteurs patronaux ne font plus de cet allongement une priorité absolue ou une «loi naturelle», l'adoption du projet de nouvelle Directive sur le temps de travail reste bel et bien leur objectif: dès que la «croissance sera à nouveau au rendez-vous», ils pourront l'utiliser au maximum.

La question du temps de travail illustre bien toute l'absurdité du mode de production capitaliste et des dogmes néolibéraux. La seule position réaliste et raisonnable sur cette question revient au contraire à exiger une réduction généralisée du temps de travail à 32 heures dans toute l'Europe, sans perte de salaire, ni augmentation des cadences et avec embauches compensatoires.

Un euro-vote et une euro-manif

Le 5 novembre dernier, la Commission de l'Emploi et des Affaires sociales du Parlement européen a adopté une série d'amendements qui vont à contre-sens de ce projet de Directive, en gommant ses aspects les plus régressifs. Par 35 voix pour, 13 contre et 2 abstentions, cette Commission, présidée par le social-démocrate espagnol Alejandro Cercas, a voté une série d'amendements qui réaffirment la limite théorique maximale des 48 heures semaine et qui rejettent la définition du temps de garde comme «actif» ou «inactif».

Mais concernant la clause du consentement individuel («l'opt-out»), qui permet justement de dépasser cette limite des 48 heures, on ne peut absolument pas parler d'un rejet pur et simple puisque l'amendement adopté accepte qu'elle soit appliquée pour une période de 3 ans. Les dégâts seront donc considérables, cette limitation dans le temps poussera certains patrons à exploiter au maximum cette clause pendant cette période. Et rien ne dit également que dans trois ans cette limitation dans le temps ne sera pas, d'une manière ou d'une autre, contournée. Un exemple typique de compromis néfaste dont est riche le Parlement européen et la logique parlementaire en général...

De plus, rien ne peut garantir que ce compromis sera d'une quelconque utilité puisqu'une majorité de 393 euro-députés (la moitié plus un) est nécessaire afin d'adopter tous les amendements (sans exception!) de la Commission «Emploi» lors du vote en séance plénière du 17 décembre. Une majorité qu'il sera en outre difficile d'atteindre vu le poids prépondérant de la droite pure et dure ou des députés sociaux-libéraux dans ce Parlement-croupion. Sans oublier que le projet de nouvelle Directive est l'une des priorités de la présidence française de l'UE, qu'elle est activement souhaitée depuis de nombreuses années par la Grande-Bretagne et qu'elle a été le fruit d'un compromis difficilement échaffaudé par tous les ministres européens du Travail qui l'ont votée à la majorité qualifiée... Dans un tel cadre, seule une pression maximale par la mobilisation active du mouvement ouvrier européen peut forcer les parlementaires à aller à l'encontre de leurs intérêts habituels.

Jusqu'à présent, on ne peut pas dire que cette nécessaire mobilisation soit au rendez-vous. En Belgique, l'information et la sensibilisation ont été minimes dans les organisations syndicales. Quant à la CES, mis à part le travail de lobbying courtois dans les couloirs feutrés des institutions européennes, elle s'est contentée d'un appel à des arrêts de travail de 5 à 15 minutes le 7 octobre dernier pour ensuite, et bien tardivement, se souvenir qu'elle avait également la possibilité de mobiliser les travailleurs/euses dans la rue. Elle appelle donc à une euro-manifestation le 16 décembre prochain à Strasbourg à la veille du vote parlementaire (2). Mais, si cette initiative est somme toute positive, son objectif est pour le moins modeste: 10.000 syndicalistes européens sont attendus, essentiellement des permanents donc puisqu'à l'échelle européenne aussi aucun travail de mobilisation ne semble être mené dans les entreprises.

Puisque cette révision de la «Directive temps de travail» s'inscrit dans la procédure d'adoption dite de seconde lecture (le processus en première lecture s'étant déroulé en mai 2005), plusieurs cas de figure, très complexes comme tout le fonctionnement des institutions européennes, sont possibles suite au vote du 17 décembre. S'il n'y a pas de majorité pour adopter tous les amendements de la Commission «Emploi» du Parlement européen, le projet approuvé par le Conseil des ministres du Travail sera donc adopté. S'il s'avère qu'une majorité d'euro-députés se dégage sur tous les amendements, le Conseil pourra de toute façon les rejeter et enclencher une procécure de «conciliation» pouvant aboutir à une troisième lecture sur base d'un projet de révision remanié... Même en cas d'échec «définitif», la Commission européenne et le Conseil pourront revenir à la charge quelques temps plus tard avec un «nouveau» projet de révision et réinitier ainsi tout le processus...

On ne pourra en finir une bonne fois pour toutes avec ce genre d'offensives à répétition contre les salarié/es qu'en brisant définitivement la logique capitaliste qui fonde cette Union européenne et ses instances illégitimes.

(1) «Revisions to the European working time directive: recent Eurofound research», European Foundation for the Improvement of Living and Working Conditions, Background Paper, 2008

(2) http://www.etuc.org/a/5549

 

Voir ci-dessus