Madame Turtelboom, les sans papiers ne sont pas des marchandises !
Par France Arets le Dimanche, 21 Septembre 2008 PDF Imprimer Envoyer
Un long combat pour la régularisation des sans papiers

Depuis 2000, nos gouvernements successifs n’ont plus mis en œuvre de politique de régularisation. C’est aussi une politique très restrictive en matière d’asile qui a été menée, générant ainsi de plus en plus de « sans papiers » voués à la précarité et à la surexploitation par le travail clandestin.

Depuis la création de l’UDEP (Union pour la défense des sans papiers) en 2004 et l’occupation de l’Eglise Saint-Boniface à Ixelles en novembre 2005, ces « sans papiers » sont sortis de l’ombre. On ne peut plus compter toutes les actions menées obtenant un soutien de plus en plus large de la société civile : autour des occupations, des grèves de la faim, dans les manifestations, les débats, les « voisins » s’impliquent de plus en plus, les organisations syndicales à plusieurs endroits, les associations… L’impact de cette mobilisation a suscité des propositions de loi relayant la proposition de l’UDEP : une commission permanente de régularisation avec des critères clairs (propositions d’ECOLO, du PS et du CDH).

Déception en cascade et accord gouvernemental

Alors que la mobilisation a gagné tout le pays au printemps 2006, en juillet la réforme de la procédure d’asile est votée et toute proposition en matière de régularisation est écartée!

Les actions se poursuivent, ponctuées d’occupations et de nouvelles manifestations nationales, jusqu’aux élections de juin 2007... S’ensuit la longue attente d’un accord gouvernemental. Au mois de mars 2008, enfin, l'accord gouvernemental - même s'il n'instaurait pas de commission de régularisation et maintenait donc le pouvoir arbitraire du Ministre et de ses fonctionnaires - répond en partie aux revendications des mouvements de «sans papiers» en prévoyant une régularisation pour longue procédure et ancrage local durable, ainsi qu'une régularisation économique pour les personnes pouvant faire état d'une promesse de contrat de travail ou d'un projet d'indépendant.

Le 27 mai, le projet de circulaire de régularisation de la Ministre Turtelboom est dévoilé et immédiatement remis en cause par tous. Il ne respecte pas l'accord gouvernemental. En effet, il exige une durée de séjour légal et privilégie le travail pour établir l'ancrage local durable... Il s’agit d’un projet qui octroie le droit de séjour en fonction d’un certain nombre de "points" obtenus ; il faut obtenir 70 points. Parmi les différents éléments- apprentissage de la langue, formation, enfants scolarisés etc.- le travail vaut 40 points! De plus, s’ajoute l'exigence de séjour légal préalable. Une poignée de sans papiers seulement seraient régularisables.

Depuis, les promesses de la Ministre se sont succédées et aucune réponse sur le fond n’a été apportée face aux situations d’urgence telles les grèves de la faim, de la soif ou l’escalade des grues… Nous savons que tout ne sera pas réglé par une circulaire, que tous ne seront pas régularisés, mais il faut qu'un pas en avant soit fait maintenant, pour la régularisation d'un maximum de personnes.

Privilégier l'immigration de travailleurs "kleenex"!

En fait, la Ministre Turtelboom rejoint les directives de l’Union Européenne : ouvrir les portes à une immigration de personnes très qualifiées d’une part, d’autre part à des personnes moins qualifiées pour des emplois « saisonniers » pendant un certain nombre de mois par année dans des secteurs comme l’agriculture, le bâtiment et le tourisme. On a vu ce que cela a donné cette année dans la convention conclue entre le Maroc et l’Espagne, engageant pour la saison estivale des femmes marocaines mariées avec enfants et maris restés au pays (afin qu’elles ne restent pas en Espagne une fois le contrat terminé). Elles ont été exploitées à travailler 7 jours sur 7 dans la cueillette des fraises par exemple, un peu mieux payées et logées que les clandestins qui les ont précédées, mais sous-payées et exploitées par rapport aux travailleurs espagnols! C’est une nouvelle forme de traite des êtres humains, légale cette fois, qui s’organise.

Madame Turtelboom est très claire : elle ne veut ouvrir les portes de nos pays qu’aux bras ou aux cerveaux, pas à des êtres humains en quête d’asile, pas à ceux qui fuient les guerres comme les Afghans et les Irakiens aujourd’hui obligés de se mettre en grève de la faim, parce que l’on considère qu’il y a des régions sûres en Afghanistan ou en Irak!

Organiser la résistance tous ensemble!

Sans doute l’automne sera-t-il chaud encore pour les sans papiers, aux côtés des autres travailleurs, victimes de la vie chère. La LCR appelle à une lutte commune contre un gouvernement qui n’apporte aucune réponse face aux revendications des travailleurs avec ou sans papiers.

 


Annemie Turtelboom, extrêmement à-droite ou extrêmement maladroite ?

Lettre ouverte de l'Union des Etudiants de la Communauté française (Unécof), de la CGSP enseignement, de la CSC enseignement et du SEL-Setca

L'Union des étudiants de la Communauté française (Unécof), la CGSP enseignement, la CSC enseignement et le SEL-Setca s'indignent devant l'avant-projet de loi modifiant la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers (art.78 de la Constitution). Ce projet de loi vise les étudiants étrangers (hors Union européenne) dans l'enseignement supérieur. Il est censé transposer la directive européenne 2004/11/CE, nettement moins contraignante. Ce n'est donc pas l'Europe qui pousse à un projet discriminatoire et en totale contradiction avec la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Il semble surtout nécessaire de rappeler à Madame la Ministre de la Politique de migration et d'asile, Annemie Turtelboom, que « toute personne a droit à l'éducation » et que cette dernière « doit favoriser la compréhension, la tolérance et la solidarité entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations unies pour le maintien de la paix » (Déclaration universelle des droits de l'homme, article 26). En effet, cet avant-projet de loi introduit plusieurs discriminations inacceptables entre (futurs) étudiants européens et non-européens. Les uns et les autres ne bénéficieraient pas d'un accès égal aux études supérieures : l'étudiant étranger se devant de montrer « patte blanche, voire immaculée ».

L'étudiant étranger doit produire une série de documents qui, d'une part, n'est pas demandée aux étudiants belges et, d'autre part, n'est pas réclamée aux étudiants belges désireux d'étudier à l'étranger. Il n'est aucunement question de politique de coopération et d'intégration dans un texte tel que celui-là au contraire, il en constitue un frein.

Parmi les documents dont l'exigence est maintenue, deux documents nous posent essentiellement problème. D'abord, l'étudiant étranger se voit dans l'obligation de fournir un certificat médical attestant « qu'il n'est pas atteint d'une des maladies pouvant mettre en danger la santé publique ». Cette mesure est purement ségrégationniste. Il serait intéressant de se demander ce qu'il se passerait dans le cas où ladite maladie était contractée sur le territoire belge ? Expulsion pure et simple de la victime menaçante?

Ensuite, l'étudiant étranger doit pouvoir procurer un certificat attestant de l'absence de condamnation pour « crimes ou délits de droit commun », s'il est âgé de plus de 18 ans.

Faut-il rappeler le principe démocratique selon lequel un être humain qui a purgé la peine décidée par la justice, a payé sa dette à la société et a le droit de s'insérer à nouveau dans le monde des humains ? Faut-il souligner l'importance de l'éducation pour une telle insertion ? Sans perdre de vue ce principe de base, faut-il rappeler à la ministre que l'on est en droit de s'interroger sur le caractère démocratique de nombre de systèmes judiciaires de pays étrangers ? Faut-il rappeler qu'en certains pays sont sanctionnés des actions ou des comportements qui ne sont pas des délits en Belgique (adultère, homosexualité) ? Inversement, des comportements inacceptables en Belgique, comme le port d'armes, sont considérés comme normaux ailleurs. Tout à fait accessoirement, la formulation choisie n'établit aucune distinction entre délits. L'avant-projet prévoit sans doute de refuser l'accès aux études pour un vol à l'étalage voire un jet de cannette. Sans le maintien ferme du principe consistant à dire qu'une condamnation ne peut avoir d'incidence sur le droit à l'éducation, on s'engagerait soit dans un déni de droit inacceptable, soit dans une casuistique impossible.

Pire encore, avant que d'obtenir le privilège – car il est question de cela – de pouvoir étudier en Belgique, l'étudiant étranger devrait fournir les preuves de sa capacité à financer, outre ses études, ses soins de santé, ses frais de séjour et bien entendu les frais inhérents à son retour « chez lui ». Là encore, il y a discrimination entre les « bien lotis » que le territoire belge accueillerait à bras ouverts et les autres… Alors que la politique belge en matière d'enseignement vise à combler certains fossés et permet à tous et à toutes d'entreprendre les études, sans distinction aucune de classe ou de fortune, la Ministre Turtelboom veut creuser un nouveau fossé entre la Belgique et le reste du monde.

Toujours relativement à ce facteur financier, tout étudiant n'atteignant pas un seuil minimal de revenus recevra son « congé ». De quoi parle exactement Madame Turtelboom lorsqu'elle évoque un revenu minimal et qui sera chargé d'établir le montant en question ? C'est une injustice profonde de refuser à une personne d'étudier parce qu'elle ne dispose pas de revenus suffisants pour se le permettre. Lui refuser de faire des études c'est aussi lui refuser une chance de s'en sortir en obtenant un diplôme, qui constitue toujours une plus-value pour l'individu et pour le pays dont il est issu. Entre autres… Paradoxalement, ironie du sort, la ministre ou son délégué s'octroie un droit de regard sur les rentrées financières d'un étudiant étranger accepté sur le territoire belge.

Pour ne rien gâter, le projet de loi inscrit explicitement l'arbitraire dans son texte puisque « le Ministre ou son délégué peut exiger toutes les preuves supplémentaires lui permettant d'évaluer utilement et valablement le bien-fondé de la demande ». Bref, le fait du Prince.

Ledit Prince veut aussi pouvoir donner « l'ordre de quitter le territoire à l'étranger » qui « progresse insuffisamment dans ses études », sans autre précision. Pour juger de ce caractère insuffisant, la ministre veut ériger les établissements d'enseignement en auxiliaires de police en recueillant « l'avis des autorités de l'établissement ». Il faudrait donc communiquer les résultats obtenus, les absences injustifiées ou les abandons au ministre. La relation d'enseignement, comme d'autres relations sociales de formation, d'accompagnement, ne peut se réaliser que dans le respect des droits de chacun et en aucun cas en confondant éducation et police.

Discrétionnaire! Arbitraire! Inhumain! Les adjectifs ne manquent pas pour qualifier un tel avant-projet de loi. L'Unécof, la CGSP enseignement, la CSC enseignement et le SEL-Setca en appellent à la responsabilité de chacun et de chacune afin qu'un tel texte prenne la direction qui lui est tout indiqué : celle de la poubelle!

Voir ci-dessus