Colombie: l'Israël de l'Amérique latine
Par Sébastien Brulez le Vendredi, 04 Avril 2008 PDF Imprimer Envoyer

Le premier mars dernier, l'armée colombienne bombardait un campement clandestin des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) en territoire équatorien. Menée de manière unilatérale, l'opération était digne des "frappes chirurgicales" étasuniennes ou des "éliminations ciblées" de l'armée israélienne. Les Etats-Unis se sont empressés de défendre publiquement l’opération. Selon l’avocate vénézuélo-étasunienne Eva Golinger, la Colombie est le quatrième pays au monde en terme d’aide militaire reçue par Washington, devant le Pakistan et l’Afghanistan.

L’attaque menée le premier mars par l’armée colombienne a fait 24 victimes mais l’objectif principal était le numéro deux du Secrétariat des FARC, Raúl Reyes. Mis à part les guérilleros, cinq étudiants mexicains de la UNAM (Université nationale autonome du Mexique) se trouvaient également dans le campement. Ils avaient participé à un forum sur l’idéologie bolivarienne quelques jours auparavant à Quito et étaient venus interviewer Reyes. Une seule d'entre eux, Lucía Morett, a survécu à l'attaque. Elle a été soignée durant plusieurs semaines dans un hôpital militaire de la capitale équatorienne.

Assassinat du négociateur de Bétancourt

D’après sa description, l’opération fut un véritable massacre. Il n'y a pas eu de combat comme les autorités colombiennes l'avaient prétendu au départ, les guérilleros et les étudiants étaient tous endormis. L’aviation colombienne a pénétré en Equateur, bombardé le campement à deux reprises et débarqué des troupes héliportées pour "finir le travail" et récupérer le corps de Reyes, ainsi que d’un autre personnage qui se révèlera par la suite être un citoyen équatorien. Ceux qui ont survécu au bombardement ont été abattus par les troupes au sol, certains d’une balle dans le dos.

Reyes n’était pas seulement un dirigeant de l’organisation politique armée, il en était aussi le représentant à l’étranger et le négociateur pour un éventuel échange humanitaire entre guérilleros prisonniers et otages (parmi lesquels l’ex-candidate présidentielle Ingrid Bétancourt).

Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, avait même déploré sa mort en signalant sur France Inter : "Evidemment, ce n'est pas une bonne nouvelle que le numéro deux, Raúl Reyes, l'homme avec qui nous parlions, l'homme avec qui nous avions des contacts, ait été tué".

Lutte contre le "terrorisme": attaque pilotée par Washington

L’argument avancé par le gouvernement colombien pour cette opération est la «légitime défense» dans sa "lutte contre le terrorisme» (les FARC figurent sur la liste du département d’Etat américain des organisations terroristes ainsi que sur celle de l’Union européenne) pour défendre "la démocratie".

Un langage déjà galvaudé qui rappelle celui des faucons de la Maison blanche. Il faut dire que la Colombie est assistée militairement par les Etats-Unis, entre autre, via le Plan Colombia. Pour l’année 2008, le budget approuvé pour le financement de ce plan est de 500 millions de dollars. La raison officielle qui justifie un tel «investissement» c’est la lutte contre le trafic de drogue. La Colombie est le premier producteur mondial de cocaïne, les Etats-Unis en sont le premier consommateur.

D’après l’avocate et investigatrice vénézuélo-étasunienne, Eva Golinger, la Colombie est le quatrième pays au monde en terme d’aide militaire reçue par les Etats-Unis, devant le Pakistan et l’Afghanistan. "Il y a l’Irak, l’Egypte, Israël et la Colombie", affirme Golinger qui base ses affirmations sur des documents déclassifiés qu’elle a consulté pour ses études menées sur l’ingérence étasunienne au Venezuela (1).

De plus, l’attaque du premier mars semble avoir été directement pilotée depuis Washington. D’après une dépêche de l’agence de presse Efe datée du 3 mars, un haut responsable militaire étasunien s’est rendu à Bogotá deux jours avant le bombardement contre le campement (2). La visite ne fut mentionnée que discrètement par un site Internet des Forces militaires de Colombie, sur lequel apparaît une photo datée du 28 février. Le contre-amiral Joseph Nimmich, directeur de la Force d’Intervention conjointe (Joint Interagency Task Force) des Etats-Unis, a été reçu ce jour-là au Commandement général des Forces militaires colombiennes. D’après la dépêche citée, l’objectif de ce voyage était de "partager une information vitale sur la lutte contre le terrorisme".

Equateur et Venezuela, deux gouvernements à déstabiliser

Au lendemain de l’agression et en solidarité avec l’Equateur, le Venezuela avait rappelé son ambassadeur à Bogotá et mobilisé dix bataillons à la frontière colombienne. Quito en avait fait de même.

Après l’attaque militaire, c’est l’offensive médiatique qui fut déclenchée. En quelques heures, les autorités colombiennes affirmaient avoir retrouvé sur le site du bombardement un ordinateur portable qui aurait appartenu à Raúl Reyes, et dans lequel se trouveraient les preuves des liens entre les gouvernements de Rafael Correa, de Hugo Chávez et les FARC.

D’après Eva Golinger, "cela fait plus de huit ans que le gouvernement des Etats-Unis essaie de lier Chávez avec les FARC. Comme ils n’ont pas réussi à le faire par la voie réelle, parce que cette relation n’existe pas de la manière dont ils voudraient qu’elle existe, ils l’ont inventée afin de pouvoir porter préjudice à Chávez et l’accuser de terroriste". Golinger rappelle que ce n’est pas une coïncidence que juste au moment où ces "évidences" sont apparues publiquement, les Etats-Unis annonçaient qu’ils étudiaient la possibilité de placer le Venezuela sur la liste des pays qui soutiennent le terrorisme.

Dans le cas de l’Equateur, les enjeux sont aussi de taille pour la mainmise US sur le continent sud-américain. Les Etats-Unis disposent dans ce pays d’une base militaire dans la région de Manta, qui leur permet de contrôler, entre autre, le trafic maritime de l’Atlantique. L’accord d’occupation de cette base prendra fin en novembre 2009 et le gouvernement de Rafael Correa a d’ores et déjà annoncé qu’il ne le renouvellerait pas. L’armée US devra donc trouver un autre centre pour ses opérations, probablement en Colombie où elle dispose déjà de plusieurs bases.

"Une autre option est le Pérou. Mais au-delà de ça, une autre option serait aussi un acte de déstabilisation afin de prolonger la présence de la base de Manta en Equateur", affirme Eva Golinger. "C’est ce qu’on a vu avec l’attaque du premier mars dernier et c’est ce qu’on va continuer à voir. Je n’exclus pas que cette année nous assistions à d’autres incidents contre Rafael Correa afin de déstabiliser son gouvernement, de créer d’autres conflits dans la région et comme ça pouvoir justifier une présence dans la zone", poursuit-elle. Le 17 mars dernier, la réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères de l’Organisation des Etats américains (OEA) avait réussi à calmer les esprits en condamnant l’agression colombienne.

Cependant les accusations contre l’Equateur et le Venezuela se poursuivaient, notamment via les "preuves" retrouvées dans le soi-disant ordinateur de Raúl Reyes. Alors que le Venezuela normalisait ses relations diplomatiques avec Bogotá, le président Correa avait exigé la fin de la campagne médiatique contre son gouvernement pour que son pays en fasse de même.

Notes :

(1) Eva Golinger est l’auteur, entre autre, de Code Chávez. CIA contre Venezuela, disponible aux éditions «Oser dire», 2006.

(2) Alto mando de EEUU estuvo en Bogotá dos días antes operación contra Reyes, 03/03/2008, http://www.unionradio.com.ve/Noticias/Noticia.aspx?noticiaid=233591

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