Le rôle de la classe ouvrière dans la chute de Moubarak | |||
Par | le Dimanche, 13 Février 2011
Tant dans les processus révolutionnaires en Tunisie qu'en Égypte, la majeure partie des médias a focalisé l'attention sur le rôle de la jeunesse et des classes moyennes utilisant Internet et ses « réseaux sociaux », présentés comme les acteurs principaux de la révolte. Cette image ne correspond que partiellement à la réalité, mais surtout elle occulte complètement le rôle décisif joué par les travailleurs en tant que classe dans la fuite de Ben Ali et dans la poussée finale pour mettre Moubarak hors circuit en Égypte. Ainsi, en Tunisie, on oublie le rôle fondamental joué par les grèves soutenues par la centrale syndicale semi-indépendante UGTT (Union générale des travailleurs de Tunisie). C'est dès la fin du mois de décembre 2010, les travailleurs tunisiens ont commencé à rejoindre les soulèvements provoqués par l'immolation de Mohammed Bouazizi – jeune chômeur diplômé qui tentait de survivre dans le secteur informel comme vendeur ambulant de fruits et légumes. Si la révolte était née au sein des secteurs de la jeunesse précarisée et marginalisée, malgré le caractère collaborationiste de sa direction, la base du syndicat et certaines sections régionales et locales ont par contre joué un rôle moteur dans l'animation et la coordination des luttes - dans plusieurs localités, ce sont ainsi les locaux de l'UGTT qui servaient de point de départ pour les manifestations -, avant de déployer pleinement la capacité d'action des travailleurs par l'arme de la grève. À la différence des soulèvements passés dans le bassin minier de Redeyef et Gafsa trois ans auparavant, qui furent une sorte de répétition générale, les manifestations se sont étendues à tout le pays. Loin d'écraser la révolte, la répression brutale ne fit qu'ajouter au fur et à mesure de nouveaux secteurs à un soulèvement qui, né dans le centre et le sud-ouest "arriéré" du pays, finira par atteindre la région côtière et la capitale. Les manifestations ont très vites été rejointes par les avocats, également violement réprimés. Dans certaines localités, c'est le syndicat des avocats qui a pris l'initiative de manifestations et dirigé le mouvement. Avec la rentrée des classes au début du mois de janvier, la jeunesse lycéenne descendit aussi dans la rue dans ce qui fut le mouvement de la jeunesse scolarisée le plus important depuis le mouvement de février 1972, une sorte de « mai 68 » tunisien qui fit trembler le régime de Bourguiba. Dans de nombreuses localités, les travailleurs et les syndicalistes de base manifestèrent devant les sièges locaux de l'UGTT afin d'exiger la grève générale. Dans d'autres cas, les sections locales ou régionales de l'UGTT soutenaient les grèves déjà initiées. Le mouvement de grève ne fut toucha pas seulement les régions où la combativité ouvrière est historiquement enracinée depuis l'époque des luttes anticoloniales des années 1930 et 1940, comme le port de Sfax (poumon économique et seconde ville du pays) ou le bassin minier de Gafsa déjà cité. La protestation ouvrière s'étendit comme une traînée de poudre dans l'ensemble du pays et fut finalement animée par la majorité des secteurs syndicaux, en premier lieu ceux qui étaient les plus opposés au régime (PTT, la santé, l'enseignement). Pour Nizar Amami, porte-parole de la Ligue de la Gauche Ouvrière (IVe Internationale en Tunisie), la gauche syndicale et certaines fédérations et unions syndicales locales ou régionales de l'UGTT, sont effectivement au coeur du processus révolutionnaire, et « ce n'est pas un hasard car depuis plusieurs années on a vu plusieurs fédérations organiser des grèves sans l'accord du secrétariat général ». Hamma Hammami, secrétaire général du PCOT (Parti communiste des ouvriers Tunisiens) insiste sur le fait que, bien qu'il manqua un programme et une organisation centrale au mouvement dans sa première phase, ce dernier n'était pas entièrement spontané - dans le sens de l'absence de toute forme d'organisation ou de toute forme de conscience - car il existe une conscience politique née d'une accumulation de luttes au cours de ces vingt dernières années. Dans la ville minière de Redeyef, c'est aujourd'hui le local de l'UGTT (qui a rompu ses liens avec la direction nationale à Tunis) qui est le véritable siège du pouvoir; le maire corrompu est retenu chez lui dans l'attente de son procès, la police et la plupart des autorités ont disparu et la ville est auto-gérée par des conseils. Comme l'explique Adnan Hayi, secrétaire général de l'UGGT de Redeyef dans les « Chroniques de la révolution tunisienne: « Grâce à l'expérience de la lutte et de l'unité de ces dernières années, nous sommes parvenus à former des Conseils dans tous les secteurs pour mobiliser la population dans la défense de ses droits et pour la gestion de sa vie quotidienne. Notre organisation syndicale sert aujourd’hui de colonne vertébrale à la mobilisation populaire. » Evoquant la situation à une échelle plus globale, il souligne avec lucidité les limites et les défis du processus: « Le problème est que l'impressionante spontanéité de la révolution ne s'est pas cristallisée dans un projet politique parce que, malheureusement, le niveau d'organisation était, et est toujours, très faible dans le reste de la Tunisie. Mais je ne suis pas pessimiste. Il y a des forces et des personnalités capables d'articuler et de coordonner les politiques populaires. À Redeyef, nous sommes en train d'établir une direction régionale unique avec d'autres villages de la région. Il y a des discussions et des contacts dans ce sens avec d'autres centres urbains où l'organisation est moins consolidée. Mais il ne faut pas oublier que les négociations et les accords entre des directions locales ne servent à rien si l'on est pas capables de convaincre et de mobiliser le peuple. La révolution est incomplète et nous ne pourrons la compléter qu'en combinant l'organisation et la mobilisation. » Grâce à la pression de la mobilisation populaire, l'aile gauche de l'UGTT, très souvent animée par des militants révolutionnaires, a pu vaincre l'orientation de la direction et du secrétaire général du syndicat qui voulait servir de planche de salut pour l'ancien régime. C'est elle qui a poussé le comité exécutif de l'UGTT à soutenir les grèves générales organisées dans plusieurs régions et à appeller à la grève générale à Tunis pour la journée 14 janvier, qui a vu la fuite du dictateur. C'est elle encore qui a forcé le retrait des trois ministres UGTT dans le premier gouvernement provisoire. Malheureusement, la direction a depuis lors reconnu la "légitimité" du gouvernement remaniée du premier ministre Ghannouchi, décision fortement contestée par plusieurs fédérations, dont celle de l'enseignement. Le mouvement ouvrier égyptien Tout comme en Tunisie, le processus actuel en Égypte a été préparé par plusieurs vagues de luttes ouvrières qui ont secoué le pays depuis 2006 (voir ci-dessous les articles de Atef Saïd et Sellouma). Dans un article publié plusieurs jours avant la chute de Moubarak, l'intellectuel marxiste Samir Amin affirmait que la jeunesse diplômée urbaine était la composante essentielle du mouvement en Égypte, appuyée par des secteurs des classes moyennes cultivées et démocratiques et il ajoutait que « les choses pourraient changer si la classe ouvrière et les mouvements paysans entrent en scène, mais pour le moment cela ne semble pas être à l'agenda. » Or, à partir du dimanche 6 février, avec l'appel au retour à la normalité et au travail martelé par le régime lui-même, un tournant a commencé à s'opérer avec l'entrée progressive du prolétariat égyptien sur la scène des événements. L'une après l'autre, plusieurs villes du pays ont vu s'engager des grèves et des occupations d'entreprises. Dans une interview publiée le dimanche 6 février, Hossam el-Hamalawy, journaliste, bloggueur du site 3arabawy et membre du Centre d'études socialistes au Caire pointait déjà quatre premiers foyers: "Cela fait déjà deux jours que les travailleurs ont déclaré qu'ils ne retourneront plus au travail jusqu'à la chute du régime. Il y a quatre foyer de lutte économique. Une grève à l'usine sidérurgique à Suez, une fabrique de fertilisants à Suez, une usine de textile près de Mansoura à Daqahila, où les travailleurs ont expulsés le manager et autogèrent l'entreprise. Il y a également une imprimerie au sud du Caire où le patron a été viré et qui fonctionne en autogestion". Comme l'a informé le journal « Al-Ahram Online », les luttes ouvrères ont surtout commencé à gagner en intensité dans la ville-clé de Suez, avec en pointe les travailleurs du textile qui ont organisé une manifestation rassemblant 2000 travailleurs pour le droit à l'emploi à laquelle se sont joints 2000 jeunes. Dans le courant les jours suivants, les travailleurs ont occupé l'usine textile « Suez Trust » et 1000 ouvriers de la fabrique de ciment Lafarge entraient en grève tandis que leurs collègue de la cimenterie de Tora organisaient un sit-in pour protester contre leurs conditions de travail. Dans le ville industrielle de Mahalla, l'étincelle est partie avec plus de 1500 ouvriers de l'entreprise Abu El-Subaa, qui ont manifesté en coupant les routes afin d'exiger le paiement des salaires. Ce sont ces mêmes travailleurs qui organisent régulièrement des sit-in depuis deux ans pour leurs droits. Plus de 2000 travailleurs de l'entreprise pharmaceutique Sigma dans la ville de Quesna, se sont déclarés en grève afin d'exiger de meilleurs salaires et le versement de leurs bonus, suspendus depuis plusieurs années. Les travailleurs demandent également la destitution de la direction de l'entreprise qui menait une politique de répression brutale des activités syndicales. Le mardi 8 février, les enseignants universitaires ont réalisé une marche de soutien à la révolution qui a rejoint les occupants de la Place Al-Tahrir. Les travailleurs des télécommunications du Caire ont alors entamé une grève au Caire, tandis que plus de 1500 travailleurs du secteur du nettoyage et de l'embellissement des espaces publics ont manifesté face au siège de leur administration à Dokki. Leurs revendications incluaient une augmentation salariale mensuelle pour atteindre 1200 livres égyptiennes. Ils demandaient aussi la généralisation des contrats à durée indéterminée et le renvoi du président du conseil d'administration. L'éviction des bureaucrates syndicaux liés au régime et la conquête des libertés syndicales sont également au cœur des ces luttes ouvrières: d'après Al-Ahram, « le Vice-président du Syndicat des travailleurs égyptiens est séquestré depuis lundi (7 février) par des employés qui exigent sa démission immédiate ». Le mercredi 9 février, des journalistes se rassemblèrent au siège de leur syndicat pour exiger la destitution de leur responsable syndical nommé par le régime, Makram Mohamed Ahmed. Le personnel technique ferroviaire à Bani Souweif engagea une grève qui s'étendit à tout le reste du secteur. Au moins deux usines d'armement à Welwyn se mirent en grève tandis que plusieurs milliers de travailleurs du secteur pétrolier ont organisé une manifestation face au Ministère du Pétrole à Nasr City et à partir du jeudi 10 février, ils furent rejoint par des collègues venant du reste du pays. (1) C'est surtout à partir du mercrdi 9 février que la vague de grève se généralise dans tout le pays après l'annonce faite par Moubarak d'une augmentation des salaires de 15% pour les fonctionnaires. Ce jour là également, les trois premiers syndicats indépendants du régime (celui des collecteurs d'impôts, des techniciens de la santé et de la fédération des retraités) ont manifesté ensemble face au siège de la Fédération égyptienne des syndicats afin d'exiger des poursuites judiciaires contre son président corrompu et pour la levée de toutes les restrictions imposées à l'encontre de la création de syndicats indépendants. Ce sont ces trois premiers syndicats autonomes qui, ensemble avec des travailleurs indépendants d'autres secteurs, ont créé le 30 janvier dernier la première Fédération égyptienne des syndicats indépendants (voir leur déclaration ci dessous). Il faut souligner ici le remarquable manifeste des métallos de la ville sidérurgique d'Helwan, qui ont organisé une grande marche le vendredi 11 février jusqu'à la place Al-Tahrir. Ce manifeste demandait: "1) Le départ immédiat du pouvoir de Moubarak et de tous les représentants du régime et la suppression de ses symboles 2) La confiscation, au profit du peuple, de la fortune et des propriétés de tous les représentants du régime et de tous ceux qui sont impliqués dans la corruption 3) La désaffiliation immédiate de tous les travailleurs des syndicats contrôlés par le régime ainsi que la création de syndicats indépendants et la préparation de leurs congrès afin d'élire leurs structures organisationnelles 4) La récupération des entreprises du secteurs public qui ont été privatisées, vendues ou fermées et leur nationalisation au profit du peuple, ainsi que la formation d'une administration publique pour les diriger, avec la participation des travailleurs et des techniciens 5) La formation de comités pour conseiller les travailleurs dans tous les lieux de travail et pour superviser la production , pour la fixation et la répartition des prix et des salaires 6) Convoquer une Assemblée constituante représentant toutes les classes populaires et tendances afin d'approuver une nouvelle constitution et élire des conseils populaire sans attendre le résultat des négociations avec le régime actuel." Mais ce qui aura sans doute été déterminant dans la chute de Moubarak, c'est qu'à partir du jeudi 10 février les travailleurs de la Compagnie du Canal de Suez des villes de Suez, Port-Saïd et Ismaïlia ont lancé une grève avec occupation illimitée des installations portuaires, menacant de perturber ainsi le trafic de navires. Plus de 6000 travailleurs se sont rassemblés également devant le siège de l'entreprise jusqu'à la satisfaction de leurs revendications salariales, contre la pauvreté et la déterioration des conditions de travail. Le canal de Suez est une source vitale de devises étrangères pour l’Egypte et un milllion et demi de barils de pétrole y transitent quotidiennement. Sa fermeture obligerait les cargos à faire le tour de l’Afrique et donc à rallonger leur voyage de sept à dix jours, ce qui aurait un impact sur les prix du pétrole et tous les échanges commerciaux en Europe et dans le monde. Il ne fait aucun doute que cette vague de grèves massives et la perspective d'un Canal de Suez bloqué ont été les éléments décisifs qui ont précipité la chute de Moubarak en renforcant la pression de Washington et des chefs de l'armée, peu rassurés quant à capacité et à l'obéissance des troupes du rang d'écraser ces grèves par une répression sanglante. Quelles perspectives? Comme l'évoque Hossam El-Hamalawy dans l'article ci-dessous, les grèves se poursuivent et se multipllient toujours dans tout le pays et dans tous les secteurs. Comme dans toute lutte ouvrière contre une dictature, les revendications sociales pour les salaires, les conditions de travail sont étroitement liées aux demandes pour les libertés syndicales et démocratiques, contre un régime corrompu et parasitaire qui accapare au profit d'une élite minoritaire les richesses, plongeant dans la misère l'immense majorité sociale. Tout comme en Tunisie, la chute du dictateur provoque en Égypte une explosion de luttes sectorielles, d'autant plus fortes qu'elles furent depuis trop longtemps contenues et étouffées par l'absence de liberté syndicale. Ces luttes ouvrières exacerbent à leur tour les contradictions de classe, y compris au sein de la coalition anti-Moubarak, entre les tenants d'une révolution démocratique et sociale qui va jusqu'au bout, jusqu'à la satisfaction de l'ensemble des exigences populaires, et les secteurs bourgeois ou petits-bourgeois qui veulent au contraire y mettre un terme le plus rapidement possible. L'enjeu clé pour offrir une issue favorable aux masses dans ces deux processus révolutionnaires, qui ont remporté une première victoire magnifique, mais qui sont encore inachévés (les dictateurs ont été chassés, mais les régimes dictatoriaux sont toujours en place, bien que fragilisés), c'est bien entendu le développement, la généralisation et la centralisation de cette auto-organisation encore embryonnaire, mais déjà bien réelle, des luttes des travailleurs. Cette généralisation et centralisation peut en effet ouvrir une situation de « dualité de pouvoirs » qui posera, de facto — mais sans pour autant en garantir l'issue — la question de la prise du pouvoir par les travailleurs afin de réaliser pleinement l'ensemble de leurs exigences démocratiques et sociales face à l'incapacité de ces régimes, soi-disants « de transition », à les satisfaire. De tels objectifs ne peuvent se concrétiser qu'autour d'un programme révolutionnaire, d'une organisation et d'une direction de classe, non seulement sur le terrain syndical, mais aussi — et surtout — sur le terrain politique. L'absence actuelle de ces éléments essentiels indique que le processus de maturation et de décantation peut être relativement long, avec des phases de flux et de reflux au rythme des tentatives contre-révolutionnaires qui appelleront à leur tour une réaction et une nouvelle poussée des masses. Mais une chose est certaine: vu l'élévation inouïe de la combativité, de la conscience démocratique, sociale et de classe qui s'est condensée en quelques semaines d'une lutte colossale, qui a laissé plus de 400 morts, les processus révolutionnaires sont encore loin d'être terminés dans ces deux pays. D'autant plus que leur onde de choc dans le monde arabe n'en est visiblement qu'à ses débuts et que ses conséquences en Algérie, au Yémen ou au Maroc agiront également en retour sur ces processus initiaux. D'après les articles, reportages et interviews de Mario Hernandez: « La caída de Mubarak y el papel de los trabajadores » Wassim Azreg: Révolution tunisienne : « Le peuple veut dissoudre ce gouvernement » Alma Allende, « Chronique de la révolution tunisienne: Trois jours dans le sud du pays (Gafsa, Redeyef, Moularès, Kasserine) » Hama Hammami: « Tunisie : une démocratie en construction » Hossam al-Hamalawy: « Révolution 2.0 : un blogueur révolutionnaire sur la place Tahrir » Hossam al-Hamalawy: « Depuis 2006, notre pays connaît les plus grandes grèves ouvrières depuis 1946 » Note: (1) Pour un tour d'horizon des différentes grèves recensées le 10 février, voir ici Les travailleurs, la classe moyenne, la junte militaire et la révolution permanentePar Hossam El-Hamalawy, (Centre d'Etudes Socialistes, Le Caire) Depuis hier, et même avant, des militants de classe moyenne exhortent les égyptiens à suspendre les manifestations et à reprendre le travail, au nom du patriotisme, en chantant quelques unes des berceuses les plus ridicules du style « construisons une nouvelle Egypte », « travaillons encore plus dur qu’avant », etc… Au cas où vous ne le sauriez pas, les égyptiens sont en fait parmi les peuples les plus travailleurs de la planète déjà… [1] Cette couche militante-là veut que nous nous fiions aux généraux de Moubarak [2] pour mener à bien la transition à la démocratie – la même junte qui a constitué la colonne vertébrale de cette dictature durant les trente dernières années. Et alors que je crois que le Conseil Suprême des Forces Armées, lequel reçoit 1,3 milliards de dollars par an des Etats-Unis, orchestrera éventuellement la transition à un gouvernement « civil », je n’ai aucun doute qu’il s’agira d’un gouvernement qui garantira la continuité d’un système qui ne touchera jamais aux privilèges de l’armée, maintiendra les forces armées comme l’institution qui aura le dernier mot à dire en politique (comme en Turquie par exemple), s’assurera que l’Egypte continuera à suivre la politique étrangère étasunienne qu’il s’agisse de la paix dont personne ne veut avec l’état d’apartheid d’Israël, le passage sans risque pour la marine militaire étasunienne à travers le canal de Suez, la continuation du siège de Gaza et les exportations de gaz naturel à Israël à prix subventionné. Un gouvernement « civil » n’a rien à voir avec des ministres qui ne portent pas d’uniforme militaire. Un gouvernement civil signifie un gouvernement qui respecte entièrement les souhaits du peuple égyptien sans intervention par les chefs militaires. Et je crois que ça, ce sera difficile que ce soit mis en place ou permis par la junte. L’armée est l’institution dirigeante dans ce pays depuis 1952. Ses dirigeants font partie de l’establishment. Et alors que les jeunes officiers et les soldats sont nos alliés, nous ne pouvons pour une seule seconde faire confiance aux généraux. Par ailleurs, on doit enquêter sur ces chefs militaires. Je veux savoir plus sur leur participation dans le domaine des affaires. Toutes les classes sociales en Egypte ont pris part au soulèvement. A la place Tahrir on pouvait voir des fils et des filles de l’élite égyptienne, ensemble avec des travailleurs, des citoyens issus des classes moyennes, et les pauvres vivant dans les villes. Moubarak a réussi à aliéner toutes les classes sociales de la société y compris une bonne partie de la bourgeoisie. Mais rappelez-vous que ce n’est que lorsque les grèves de masse ont démarré il y a trois jours que le régime a commencé à vaciller et l’armée a dû obliger Moubarak à démissionner parce que le système était sur le point de s’écrouler. Certains ont été surpris de voir les travailleurs se mettre en grève. Je ne sais vraiment quoi dire. C’est complètement idiot. Les travailleurs ont organisé la vague la plus longue et la plus soutenue de grèves dans l’histoire de l’Egypte depuis 1946, partie de la grève à Mahalla en décembre 2006. Ce n’est pas la faute aux travailleurs si vous n’y avez pas fait attention. Chaque jour durant les trois dernières années il y a eu une grève dans une usine, qu’elle soit au Caire ou en province [3]. Ces grèves n’étaient pas seulement économiques, elles étaient aussi de nature politique [4]. Depuis le premier jour de notre soulèvement, la classe ouvrière a participé aux manifestations. Qu’étaient selon vous les manifestants à Mahalla, à Suez et à Kafr el-Dawwar par exemple ? Cependant, les travailleurs y participaient en tant que « manifestants » et non nécessairement en tant que « travailleurs » - ce qui veut dire qu’ils n’étaient pas impliqués de façon indépendante. C’était le gouvernement, et non les manifestants, qui avait arrêté l’économie par le couvre-feu, par la fermeture des banques et des entreprises. C’était une grève capitaliste dont l’objectif était de terroriser les égyptiens. Ce n’est que quand le gouvernement a tenté de ramener le pays à la « normale » dimanche dernier que les travailleurs sont retournés à leurs usines, ont discuté de la situation et commencé à s’organiser massivement et à bouger comme un seul bloc. Les grèves menées par les travailleurs cette semaine englobaient aussi bien des revendications économiques que politiques. A certains endroits les travailleurs n’ont pas inclus la chute du régime parmi leurs revendications, mais ils ont utilisé les mêmes slogans que ceux utilisés par les manifestants à Tahrir et dans de nombreux cas, au moins ceux dont j’ai pu être mis au courant et je suis sûr qu’il y en a d’autres, les travailleurs ont mis en avant une liste de revendications politiques en solidarité avec la révolution [5]. Ces travailleurs ne vont pas rentrer chez eux de sitôt. Ils ont fait démarrer des grèves parce qu’ils ne pouvaient plus nourrir leurs familles. Ils ont été enhardis par le renversement de Moubarak et ne peuvent retourner à leurs enfants pour leur dire que l’armée a promis de leur apporter de la nourriture et leurs droits dans je ne sais combien de mois. Beaucoup de grévistes ont déjà commencé à mettre en avant des revendications supplémentaires pour la création de syndicats libres en dehors de la fédération syndicale égyptienne, corrompue et soutenue par l’état. Aujourd’hui, j’ai déjà commencé à recevoir l’information que des milliers des travailleurs dans les transports publics sont en train de protester à el-Gabal el-Ahmar. Les travailleurs intérimaires à Helwan Steel Mills en font de même. Les techniciens du rail continuent à arrêter les trains [6]. Des milliers de travailleurs à el-Hawamdiya Sugar Factory sont en train de protester et les travailleurs du pétrole vont faire démarrer une grève demain [7] avec des revendications économiques et aussi pour demander l’inculpation du ministre Sameh Fahmy et pour arrêter les exportations de gaz à Israël. Et d’autres informations encore arrivent d’autres centres industriels [8]. Au moment où nous sommes, l’occupation de la Place Tahrir va probablement être levée. Mais nous devons porter Tahrir aux usines maintenant. A mesure qu’avance la révolution une polarisation de classe va inévitablement se produire. Nous devons rester vigilants. Nous ne devrions pas nous arrêter là… Nous détenons les clés de la libération de la région entière, pas seulement de l’Egypte… En avant avec une révolution permanente [9] qui donnera le pouvoir au peuple de ce pays au moyen d’une démocratie directe par en bas! Traduit par Christakis Georgiou [1] http://www.almasryalyoum.com/en/news/who-you-callin%E2%80%99-lazy [2] http://www.guardian.co.uk/world/2011/feb/09/egypt-army-detentions-torture-accused [3] http://groups.diigo.com/group/egyptianworkers [4] http://www.arabawy.org/2010/06/04/politicization_workers/ [5] http://www.arabawy.org/2011/02/09/jan25-public-transportation-workers-call-for-overthrowing-mubarak/ [6] http://www.youm7.com/News.asp?NewsID=350453 [7]http://ayman1970.wordpress.com [8] http://tadamonmasr.wordpress.com/2011/02/12/strikes/ [9] http://pubs.socialistreviewindex.org.uk/isj83/rees.htm (traduction française ici: http://quefaire.lautre.net/ancien/archive/reesimperialismeresistance5.html )
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